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 LibreSens
Critique athée d’une certaine "athéologie"


Marcel Bolle De Bal

Dans le champ philosophico-religieux, quel est l’auteur à la mode ? ... Michel Onfray, preux chevalier militant de l’athéisme, Don Quichotte déconstructeur, vaillant pourfendeur de ces moulins-à-vent que sont des croyances et des siuperstitions depuis longtemps démystifiées, critiquées, dénoncées, lacérées. Ecrivain surmédiatisé, auteur à succès d’un imposant « Traité d’athéologie » (1) ... Au point que l’on peut légitimement se demander si ce n’est pas ce succès lui-même qui constitue le fait le plus intéressant, le phénomène le plus digne de retenir notre attention.

Naguère cet essayiste dans le vent a été accueilli comme le Messie de l’athéisme dans le grand amphithéâtre de l’Université libre de Bruxelles pour y faire une conférence précisément intitulée ni plus ni moins que
« l’avenir de l’athéisme ». Plusieurs milliers de personnes se pressaient dans les travées de ce temple du libre-examen (comme disent les Belges), de la libre-pensée (selon l’expression plus familière aux Français) pour y écouter et si possible y entendre la Bonne Parole attendue. Personnellement, désireux de ne rien perdre du message espéré, j’ai relu le soi-disant « Traité » avant de me rendre à ce que l’on pouvait considérer, si vous me permettez l’expression, comme une « messe athée».

Seconde lecture qui, malheureusement, confirmait mon impression initiale : tant de pages (260 !) pour démolir (« déconstruire » comme il est de bon ton de dire aujourd’hui) les théologies en général, les théologies monothéistes en particulier, sans rien de « constructif » à proposer au terme de cette brillante analyse (6 pages seulement, et encore...).

La conférence, hélas, a été du même tonneau. Forte et longue critique argumentée ; faible et brève réflexion bâclée sur ce qui était pourtant le thème racoleur de cette rencontre : « l’avenir de l’athéisme »… Au sein du public considérable attiré par ce sujet aguichant : sans doute des athées convaincus en quête de réassurance et/ou d’approfondissement, mais aussi des croyants curieux, désireux d’affronter le Satan post-chrétien. Je crains que les uns et les autres ne s’en soient retournés profondément déçus, en leurs respectives chapelles spirituelles.

Personnellement, athée humaniste et libre-exaministe, franc-maçon et libre-penseur, je dois vous avouer avoir été obligé de m’inscrire dans cette cohorte de frustrés et déçus. En lisant ce prometteur « Traité », j’avais été séduit par la décapante démonstration de l’emprise des religions et surtout de leurs Eglises sur la vie politique et culturelle de nos sociétés occidentales. Mais à la fin j’étais resté sur ma faim : cet esprit de déconstruction/destruction révélait sa faiblesse lorsque surgissait le moment de construire ou reconstruire. Point de réel manifeste post-théologique. Mais la caisse de résonance médiatique fonctionne à plein rendement. : en peu de jours le livre est devenu un « best seller » (comme l’on dit en français d’aujourd’hui). Révélateur en quelque sorte des interrogations existentielles de nos concitoyens, meurtris par l’écroulement des idéologies et des traditions religieuses.

J’ai donc écouté attentivement celui que je croyais quand même susceptible de devenir le prophète d’un athéisme porteur d’avenir.Quelle déception ! Comme dans le livre le sujet n’a pas été traité. Du propos entendu ne subsiste que la démolition – non originale - des erreurs, ambivalences, ambiguïtés, contradictions, forfaits et péchés de toutes les religions - en particulier de la judéo-chrétienne - en leurs théories et pratiques. Une « athéologie » mobilisatrice, source d’une logique existentielle revivifiée, d’un nouvel art de vivre ? Rien du tout. Bref un athéisme dénonciateur du passé et du passif religieux, mais point d’athéisme bâtisseur d’un monde meilleur, porteur de valeurs humanistes, vecteur d’engagements désaliénés.

J’aurais aimé poser oralement deux questions à Michel Onfray. Cela ne m’a pas été permis. Je les lui ai donc transmises par courrier électronique.

La première concernait sa conception du libre-arbitre. Pour lui, ce dernier serait le produit d’une croyance judéo-chrétienne justifiant la possibilité de choix, la responsabilité, la culpabilité, la punition et l’expiation. D’où ma question (demeurée sans réponse) : croit-il ou non au libre-arbitre ? Si la réponse devait être non, ce qui supposerait que pour lui tout est déterminé, que deviennent alors les notions de droit et de justice ? Pourrions-nous encore condamner un Dutroux, non responsable de ses actes puisque totalement déterminé par des forces extérieures à sa volonté ?

Ma deuxième question : il stigmatise les valeurs chrétiennes qui imprègnent notre civilisation occidentale et plaide pour la mise en œuvre de valeurs post-chrétiennes …mais en quoi consistent alors, pour lui, de telles valeurs ?

À ces deux questions il m’a répondu … qu’il ne voulait (pouvait ?) pas répondre. Dommage. Athée certes imprégné de valeurs chrétiennes (mais pas seulement chrétiennes), franc-maçon épris de tolérance et d’ouverture d’esprit, je demeure perplexe et désappointé face à cette
« réponse » paradoxale. Plus crédible – en tant qu’athée - dans ma critique que ne peuvent l’être les théologiens ulcérés, auteurs d’inévitables et virulentes contre-attaques, j’estime devoir affirmer publiquement que l’athéologie et l’athéisme – pour moi porteurs de sens et d’avenir – méritent des avocats plus convaincants que ce rédacteur d’un « Traité » douloureusement insatisfaisant.

N’encourons pas le même reproche que celui que nous lui adressons à juste titre : déconstruire sans construire. Attelons-nous, nous francs-maçons, si nous nous définissons comme athées, à bâtir, pierre après pierre, un athéisme constructif, à la fois humaniste, spiritualiste, personnaliste, laïque, éthique, lucide face aux aléas de l’existence et serein face à l’approche de la mort.. Tout en sachant que nous n’aurons jamais la prétention de produire un quelconque « Traité d’athéisme », ni aucun « Texte Sacré », source potentielle de dérives théologiques. Tout au plus, cet athéisme dont nous pouvons rêver, que nous pouvons construire, devrait-il s’inscrire tout naturellement dans la perspective de ce but ultime de notre engagement maçonnique : le Progrès de l’Humanité ...

Marcel Bolle De Bal, professeur émérite de l’ULB, 22 février 2006 

(1) Michel Onfray, Traité d’athéologie », Paris, Grasset, 2005.
(2) Voir notamment Mathieu Baumier, L’anti traité d’athéologie, Paris, Presses de la Renaissance, 2005 ; René Rémond, Le nouvel anti-christianisme, Paris, Desclée de Brouwer, 2005.



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