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Mon identité laïque


Marcel Bolle De Bal

Je déclinerai ma profession de « foi » athée et laïque successivement sur trois plans : le philosophique, l’éthique et le politique.

Pour une philosophie athée

Je commencerai par un propos quelque peu provocateur. J’ai en effet tendance à percevoir – affirmation certes contestable et contestée - l’athéisme comme un stade avancé de l’évolution spirituelle des êtres humains, correspondant à une réelle maturité psychique (« péché d’orgueil » affirmeront certains chrétiens ? outrecuidance ? peut-être … quoique … disons que cela mérite discussion), rendue possible notamment par les progrès de la pensée dans les domaines scientifiques. En d’autres termes, l’athéisme constitue, selon moi et au niveau individuel, un progrès semblable à celui qu’a représenté, sur le plan collectif, l’avènement du Siècle des Lumières et de la « dé-théocratisation » de l’Etat. L’athéisme peut en effet apparaître – vu sous un certain angle - comme le résultat d’une maturation intellectuelle et psychologique conduisant la personne à mieux se connaître elle-même, à rejeter des doctrines sans fondement autre que métaphorique, et surtout à accepter que certaines questions restent et resteront toujours sans réponse.

En ce sens je le ressens personnellement comme source de sérénité et de plénitude, car dégagé des fausses espérances et angoisses liées à la mort, ainsi qu’à une improbable survie. En ce sens aussi, je crains qu’il ne soit pour longtemps réservé à une avant-garde : sur le plan sociologique, il s’accompagne d’une réduction du besoin d’identification collective et d’une plus grande autonomie de l’individu. L’athée ne peut ontologique-ment être un fanatique ou un prosélyte…mais il risque d’être submergé par les totalitarismes politiques et/ou religieux supposés sécurisants et consolateurs.

Fidèle à cet égard aux thèses de Camus, je suis convaincu que « l’homme est un animal qui veut du sens »…mais que le monde est absurde, et n’a de sens ni « en soi », ni par l’effet d’une volonté divine. Le sens de la vie, pour moi, ce n’est pas celui qui me vient d’ailleurs ou d’en haut, mais c’est celui que je me donne, que la personne (individuelle ou collective) lui donne. « Ce n’est pas parce que nos enfants ont du sens que nous les aimons, c’est parce que nous les aimons qu’ils ont du sens » (André Comte-Sponville). C’est à nous de donner du sens à notre vie et à notre monde.

Pour moi la vie est à la fois merveilleuse et révoltante, heureuse et triste : elle est belle, mais nous n’avons qu’elle. À nous de « faire avec » et de l’aménager au mieux, à faire qu’elle soit engagement actif. Pour l’athée libre-exaministe, humaniste et spiritualiste que je crois être, il y a bien un certain « au-delà », mais seulement ici sur cette terre : un au-delà de ma personne, quelque chose qui m’incite à améliorer la vie de mes semblables, un engagement à prendre au nom de certaines valeurs.

J’accepte l’immanence intégrale, ou, si l’on préfère, la transcendance immanente : celle qui vient d’en bas et non d’en haut. Je n’ai pas besoin de Dieu pour aimer mon prochain. Le sociologue ou le psychosociologue en moi sait que le groupe, l’égrégore, est plus (et parfois moins) que la somme des individus qui le composent. Par delà cette transcendance sociale, il y a, de façon également immanente, au cœur de la personne individuelle, une transcendance intellectuelle, fondement de la spiritualité athée. Car être athée, cela ne signifie nullement l’absence de toute vie spirituelle. Cela n’empêche pas de vivre des expériences de plénitude, de mystère, de silence et d’éternité (le présent, c’est l’éternité : André Comte-Sponville). Dieu ne me manque pas : bien loin de m’amputer de toute expérience spirituelle, son absence me renvoie à ce que cette expérience a de plus fort, la sensation de participer à quelque chose d’énorme, d’infini, d’impalpable, qui dépasse ma petite personne…mais qui n’implique aucunement, pour moi, la nécessaire référence à un mythique pouvoir surnaturel. La nature est en soi suffisamment « merveilleuse »…et n’exige aucune explication par une soi-disant Toute-Puissance extérieure, de toute façon inexplicable, elle.

Au cœur de mes conceptions philosophiques, je situe le principe du libre-examen, celui-ci étant entendu comme « l’arrachement à l’idéologie » (Guy Harscher), comme la méthode scientifique appliquée/adaptée non seulement à toute question scientifique, mais également dans les matières humaines, parfois dites « non-scientifiques». L’option philosophique de base de la laïcité est, à mes yeux, de mener sa vie à la lumière du libre-examen, pris comme valeur essentielle.

Autre principe fondamental de ma philosophie : la tolérance. Être tolérant, c’est certes respecter les personnes, mais cela n’implique pas nécessairement respecter leurs idées. Les idées n’ont pas pour vocation d’être respectées, mais bien d’être écoutées, analysées, discutées, améliorées, voire abandonnées ou intégrées.

Le rationalisme dont je me prévaux ne suppose nullement un quelconque mépris ou refus de l’irrationnel. La raison, bien au contraire, peut et doit comprendre l’irrationnel, en saisir et décrire la logique. Dans cette perspective, je me réfère aux pertinentes analyses de mon maître Henri Janne. Celui-ci, fidèle en cela aux théories de son propre maître Eugène Dupréel, a bien montré que dans le champ humain, il existe à côté de la technique A (issue des sciences physiques et base des progrès techniques) une technique B (laquelle tente de répondre aux besoins existentiels non résolus par la première : la magie, les sciences occultes, la parapsychologie, et, à certains égards, la religion, etc.). Les théologies, dans cette optique, me paraissent bien relever de cette seconde catégorie.

En résumé

Le fait de renoncer, en tant qu’athée libre-exaministe, à toute forme d’espérance de survie, de salut et de récompense dans un au-delà imaginaire, n’implique nullement, à mes yeux, que ce « dés-espoir » (André Comte-Sponville) ne puisse s’accompagner, voire favoriser, d’intenses sentiments de béatitude, face – comme je l’ai déjà dit - à l’expérience de l’infini de l’univers, dans le temps et dans l’espace.

Pour une éthique athée  

Pour moi – et pas seulement pour moi – les principales valeurs « laïques » sont, de façon non exhaustive : le raisonnement, l’esprit critique, le doute, la tolérance, le refus de tout dogme, la démocratie, les droits de l’homme, l’autonomie de la personne, le respect de l’autre, l’exigence de justice, le métissage des cultures. Certaines sont partagées par la plupart des chrétiens, des juifs, des musulmans et/ou des bouddhistes, certaines ne le sont pas en leur essence profonde.

Je m’élève avec force contre le préjugé qui voudrait que l’athée soit un homme – ou une femme - sans morale. Il s’agit là d’un stéréotype un peu facile : il est des athées vertueux et des croyants qui le sont peu.

Je considère que la morale doit résider en un choix libre et lucide – toujours susceptible de révision - de chacun en fonction de ce qui lui paraît bon pour sa vie personnelle en tant qu’être social, et donc bon pour les siens, pour les autres, pour le groupe ou la société dans laquelle il vit … à l’inverse donc de toute soumission à des impératifs supposés édictés par des Pouvoirs Supérieurs ou à des intérêts purement égoïstes.

Pour reprendre des notions qui me sont chères : une telle morale implique notamment une action de « reliance » humaine (c’est-à-dire de reconstruction des liens défaits par la société techno-bureaucratique), axée sur le partage des solitudes acceptées, l’échange des différences respectées, la rencontre des identités affirmées, le dialogue des valeurs assumées, la revitalisation des racines détériorées.

En résumé

Il s’agit bien d’une morale de l’autonomie personnelle fondée sur le principe du libre-examen appliqué à tous les domaines de l’existence humaine.

Ceci étant dit et affirmé, je suis convaincu que, en matière de valeurs, nul ne peut prétendre avoir raison, ni que ses adversaires ont tort. Une telle attitude ne constitue-t-elle point la base même de la tolérance, d’une tolérance réelle et humaine ?

Pour une politique athée  

Je souhaite que la Belgique devienne un réel Etat laïque, se rapprochant de la laïcité à la française, tout en approfondissant celle-ci. Bref qu’elle s’émancipe par rapport à la tutelle de n’importe quelle religion ou Eglise

Dans le cadre d’un enseignement laïque et philosophiquement neutre, dégagé de toute influence religieuse (« rendons à Dieu ce qui est à Dieu, à César ce qui est à César »), je suis favorable au développement de l’apprentissage d’une morale civique, d’une formation à la citoyenneté, d’une information sur l’histoire des religions et des diversités culturelles.
Je me déclare en faveur d’une école pluraliste, structure de nature à favoriser la reliance, la tolérance et le dialogue entre les communautés culturelles, philosophiques et religieuses.

Je suis partisan d’un dialogue réel, fondé sur la recherche de la vérité au risque d’y perdre ses convictions les plus fortes. Point de prosélytisme de ma part. Le dialogue humaniste et athée, social et politique, pour moi, n’a pas à reproduire les pratiques de certains croyants, militants fondamentalistes, qui le conçoivent essentiellement dans une perspective d’évangélisation,de conversion, de mission spirituelle, de propagation de la Foi, de la Bonne Parole, de la Vérité Révélée. Le respect de chacun en sa vérité personnelle : tel est mon « credo » philosophique, éthique et politique.

En résumé

Je préfère de loin un croyant qui questionne sa foi avec persévérance et lucidité à quelqu’un dont l’athéisme n’aurait aucune répercussion sur ses actes pratiques.

Si la religion n’est pas divine, elle est en tout cas humaine en son essence (selon moi), et rien de ce qui est humain ne doit nous laisser indifférents. L’athée doit s’informer, essayer de comprendre, œuvrer à se doter d’une théorie de la religion qui puisse rendre compte du phénomène en évitant l’appel inévitable au divin.

Je suis convaincu qu’il serait vain de songer à « déconvertir » un croyant. Je n’entends nullement importuner les fidèles en me transformant en apôtre errant de l’athéisme.

Marcel Bolle De Bal, professeur émérite de l’ULB (Bruxelles)  



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