Pierre-Jean
Ruff
- 1 La vision chrétienne classique
- 2 La vision chrétienne dualisante
- 3 Quelle est la vraie foi ?
Par nature, la foi est irrationnelle.
Elle est de l’ordre de la conviction intime et non de la logique déductive.
Pourtant, il est légitime et indispensable de se demander:
quelle incidence ma foi a-t-elle sur ma représentation du
monde et sur son devenir ? Si je crois que Dieu est amour, en quoi
cela oriente-t-il mon regard et ma perception des choses ? Comment
imaginer qu’un chrétien puisse faire l’économie
de ces questions ? En schématisant, donc
en simplifiant beaucoup, deux types de réponses ont été
apportés à ces questions. La première a été
officialisée par toutes les églises. Elle tient donc
lieu de référence classique de la foi chrétienne.
La seconde a souvent été revendiquée par des
minorités de chrétiens que les plus nombreux ont toujours
qualifiés d’hérétiques, donc de dangereux
pour le message évangélique.
1 - La vision chrétienne classique
Dieu est tout-puissant et amour.
Il est donc créateur
universel et auteur d’une œuvre parfaite. Si aujourd’hui
tout ne reflète pas cette perfection originelle, c’est
que le mal a vicié cette création belle et bonne (ce
mal est l’œuvre d’un ange révolté
contre Dieu, à moins qu’on ne dise seulement qu’il
vienne du cœur de l’homme). Dès lors, le monde
comme le cœur de l’homme sont partagés entre le
bien et le mal et cette partition n’aura pas de fin puisque
cet enseignement officiel chrétien induit la croyance à
l’enfer et aux peines éternelles.
Ainsi tout part d’un monde merveilleux (le Paradis
aujourd’hui perdu, encore appelé l’Éden).
Symboliquement, cela est aussi attesté par la vision qui
nous est proposée du monde, avant que les hommes ne construisent
la Tour de Babel: “ils avaient alors une langue et les mêmes
mots”. Le mythe de l’unité merveilleuse perdue
se trouve aussi au début du Livre des Actes (elle est ensuite
reprise dans tous les catéchismes classiques) lorsqu’il
nous est dit que les chrétiens de l’église primitive
vivaient une communion exceptionnelle, qu’il nous faudrait
aujourd’hui retrouver.
Tout cela est-il authentique
ou sommes-nous en présence
d’une tentative désespérée de se fabriquer
un passé mirifique pour pouvoir croire à la splendeur
possible de demain ?
On remarquera que, au travers
de la création
initialement belle et bonne, cette vision des choses cherche à
magnifier la force et la gloire de Dieu. Malheureusement, ce n’est
pas pour autant une perspective très optimiste pour le présent
et l’avenir du monde et de l’humanité, ni finalement
l’expression d’une confiance bien grande en l’amour
de Dieu.
En effet, ce faisant, on
vit l’assurance d’un passé merveilleux dont la restitution
sera possible pour certains seulement. Le tout assorti d’un
fort sentiment de culpabilité, puisque selon cette lecture
de l’histoire, l’homme est le seul responsable de la
perte du bonheur initial que quelques-uns seulement retrouveront
plus tard.
2 - La vision chrétienne dualisante
Pour les chrétiens dualistes, le monde n’a
jamais connu une perfection et une unité originelles. La
représentation du paradis perdu, symboliquement, relève
de la même démarche que lorsque chacun de nous se rappelle
avec émotion, tendresse et reconnaissance les moments de
sa petite enfance. Le paradis perdu, c’est la sécurité
que l’on projette facilement sur le monde qui a entouré notre
naissance et nos premiers pas dans la vie.
Pour les dualistes, qu’ils cherchent à
donner une explication des causes premières ou non, les origines
sont dans la diversité (non dans l’unité) et
dans la dualité (le mal n’est pas intervenu ultérieurement
dans une création bonne).
En revanche, les dualistes
sont tous des hommes de foi. Ils croient en l’homme et en
l’Esprit. Pour eux, l’homme peut et doit, au travers
la connaissance, tendre vers l’accomplissement de sa mission
(l’arbre de la connaissance du bien et du mal est béni
et non maudit). Par ailleurs, leur foi en l’Esprit de Dieu
et en son action dans le monde, fait d’eux d’invétérés
optimistes. À cause de leur foi, l’issue de toutes
choses ne fait pas de doute pour eux. Ainsi, par exemple, les Cathares
ne doutaient ni de la purification progressive de toutes les âmes,
ni d’un salut universel.
3 - Quelle est la vraie foi ?
Le christianisme officiel défend contre vents
et marées la toute-puissance absolue de Dieu, donc sa fonction
de créateur universel.
En occident du moins, cela a
généré
un christianisme pessimiste sur l’homme, sur le salut promis,
valorisant d’autant le sacrifice physique du Christ et ses
souffrances pour compenser une situation aussi détériorée.
C’est ce qui fait dire à Elaine Pagels (1): “Depuis
le Ve siècle, les visions pessimistes d’Augustin sur
la sexualité, la politique et la nature humaine sont devenues
le courant de pensée dominant dans le christianisme occidental”.
Et encore: “Comment un message aussi austère, dans
toutes ses versions, a-t-il pu attirer autant de gens? Comment la
chrétienté parvint-elle à devenir la religion
de l’Empire romain”.
Qu’est-ce qui paraît le plus fidèle
à l’enseignement de Jésus? Est-ce de croire
en un Dieu tout-puissant, créateur universel mais dont l’action,
pour quelque raison que ce soit débouche sur un mode duel
avec une félicité céleste éternelle
pour certains et des peines éternelles pour d’autres?
Ne serait-ce pas plutôt de croire inversement en un monde
originel où Dieu ne régit pas tout, mais où
l’impact de Son amour et de Son Esprit progressivement amendent
toutes choses et les conduisent à une joie universelle dans
la réconciliation ? Faut-il favoriser un monisme originel
qui débouche sur un dualisme éternel (c’est
la théologie occidentale officielle)? Faut-il au contraire
faire valoir une dualité originelle qui donnera naissance
à un monisme final, ce qui est la position de la plupart
des dualistes?
De ces deux démarches, laquelle est la plus
porteuse de foi et d’espérance, en même temps
que la plus fidèle à notre représentation d’un
Dieu amour ?
Il n’est sûrement pas anodin de se poser
de telles questions. Il est tout aussi important de s’interroger
sur les questions qui ont pu conduire le christianisme occidental
officiel à se focaliser sur un message aussi austère
assorti d’une grande intransigeance à l’égard
de ceux qui n’adhèrent pas.
Pierre-Jean Ruff, revue Vivre, 93/3, Lillois, 1993
1. Adam, Eve et le
serpent. Flammarion 1989. p. 227 et 72
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