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 LibreSens
Personnaliste… et franc-maçon ?


Marcel Bol de Balle

Le CAPP (Centre d’Action pour un Personnalisme Pluraliste), qui a récemment vu le jour, se veut, comme son nom le signale, « pluraliste ». Louable intention. Réalité en construction. Innovation à la fois relative et remarquable, car le personnalisme est – depuis longtemps et malgré certaines aspirations d’Emmanuel Mounier – généralement catalogué « catho », et à tout le moins chrétien pour l’essentiel. Et pourtant… son idéal et son système de valeurs sont, contrairement à ce que beaucoup croient, très proches de ceux qui inspirent et animent la Franc-Maçonnerie. Et ce même dans la version libérale, a-dogmatique et laïque de celle-ci (version franco-belge tout particulièrement, par opposition à la maçonnerie anglo-saxonne, déiste, majoritaire à l’échelle planétaire).

Pour étayer cette thèse qui est la mienne, quoi de plus logique que de partir du livre fondateur du néo-personnalisme, celui du président du CAPP, Vincent Triest (VT) , « Plus est en l’homme. Le personnalisme vécu comme humanisme radical » ( Bruxelles, Presses Interuniversitaires Européennes, 2000),  et de le prolonger par la confrontation à certaines idées présentées dans cet autre ouvrage d’un membre du CAPP, en l’occurrence celui que j’ai commis sous le titre « La Franc-Maçonnerie, porte du devenir. Un laboratoire de reliances »(Paris, l’Harmattan, 1998) ?

VT.19 : « le paradigme personnaliste…(c’est) le puits de la rencontre des hommes …où se reconstruit le lien social » défait par le paradigme individualiste. L’on peut en dire autant de la Franc-Maçonnerie que j’aime définir comme un laboratoire de reliances, c’est-à-dire, précisément, comme une sructure qui œuvre à remédier aux phénomènes de dé-liances (=de destruction des liens sociaux) par des initiations à un travail de re-liance (à soi, aux autres et au monde).

VT.19 : « seul ce qui construit l’humanité de l’homme a pour lui du sens ». Tel est, en effet, une partie de ce que recouvre la notion de « Progrès de l’Humanité » , à laquelle les franc-maçons sont très attachés, car en principe finalité permanente de leurs actions quotidiennes.

VT.74 : le travail de « déconstruction » du paradigme individualiste, réalisé dans la première partie de l’ouvrage, a préparé « l’entreprise de recomposition du lien social, fondé sur une autre vision de l’homme… » qui sera celle de la suite de l’étude. Tel est exactement, selon moi, l’essentiel du projet maçonnique : déconstruction des aliénations sociales (« laisser ses métaux à la porte du Temple », fondement du processus de l’initiation maçonnique, premier travail de l’Apprenti nouvellement initié, travail par ailleurs jamais achevé) et reconstruction des liens sociaux et humains (travail du Compagnon, « celui qui partage le pain »). En d’autres termes, encore une fois : travail de dé-liance, préparatoire à un travail de re-liance.

VT. 97 et 98 : « …entre Autrui et moi, il subsiste une séparation originelle qui est irréductible…il faut qu’Autrui et moi soyons séparés par la distance infinie de l’altérité pour que la relation puisse se nouer, au-delà de cette séparation… ». À rapprocher de ma définition normative du projet (maçonnique, mais pas seulement) de reliance : « le partage des solitudes acceptées, l’échange des différences respectées… ».

VT. 98 : « La proximité définit ce lien qui s’établit au-delà de la séparation. On peut utiliser les mots de religion et d’alliance pour exprimer ce lien humain qui n’est pas de l’ordre du théologique tout en s’inscrivant dans une dimension de sacré… ». S’il avait rencontré plus tôt le concept de reliance, Vincent Triest n’aurait-il point fait l’économie de cette association entre religion et alliance ? Peut-être. Après tout, religion et reliance n’ont-elles pas toutes deux la même racine sémantique (religare, relier), et donc le même sens profond : relier les êtres séparés ? Et la devise de base de la Franc-Maçonnerie, son « ordre de mission » en quelque sorte, n’est-elle pas « réunir ce qui est épars » , relier ce qui est délié ? Pour moi, la religion constitue un cas particulier de reliance, qui implique une référence transcendantale…

VT. 98 : « …Une conception laïque de ce sacré, mais aussi de la transcendance, de l’infini et du mystère, trouvera ainsi sa source dans cette approche du lien humain respectueux de l’altérité… ». Un franc-maçon initié se reconnaîtra sans difficulté dans cette définition d’une conception laïque du sacré : pour lui, la transcendance existe bien, mais c’est une transcendance immanente, émanant d’en bas, par la grâce de cet égrégore que constitue la loge maçonnique.

VT. 19 : « …existentiellement la fraternité fait vivre alors que la solitude est ressentie comme une forme de mort… ». Ma thèse : non seulement la Franc-Maçonnerie est un laboratoire de reliances (notamment aux autres), mais elle constitue une expérience initiatique de fraternité. Expérience vécue, initiatique dans la mesure où elle nous fait (re)découvrir , affronter, assumer les dimensions contradictoires de cette fraternité, à la fois fraternelle (Castor et Pollux) et fratricide (Abel et Caïn). La plupart des profanes qui frappent à la porte du Temple, souffrant de solitude dans la cité, expriment l’intense désir d’être initiés avec l’espoir d’enfin pouvoir vivre des relations amicales, chaleureuses et fraternelles (sur ce thème, voir Marcel Bolle De Bal, La fraternité maçonnique, Paris, Edimaf, 2001).

VT. 19 : « …le paradigme personnaliste renouvelle profondément l’horizon, ouvrant ainsi la voie à une « seconde modernité », dont l’avènement accomplirait enfin cet appel à « refaire la Renaissance » qui fut prononcé prophétiquement , voici plus de cinquante ans déjà, par Emmanuel Mounier ». Comment ne pas être tenté de relier ces trois formules convergentes : refaire la Renaissance (Emmanuel Mounier), (re)créer des reliances (Marcel Bolle De Bal), vivre la relationnalité (Vincent Triest) ? Ajoutons à ceci que le fondement de l’initiation maçonnique – semblable à cet égard à celui de la plupart des initiations – réside dans un processus de mort (déliance) et de renaissance (reliance), d’apprentissage de nouvelles relations (relationnalités, reliances)…

VT. 115 : « …Dans la philosophie de l’Autre, le chiffre clé qui exprime l’appel exigeant de la « relationnalité » n’est donc pas le deux du face-à-face mais le trois où intervient le possible d’un Autre à venir…
La « relationnalité »…correspond à cette capacité de nouer… un lien au-delà de la séparation, ne forme donc pas une structure binaire, mais ternaire. Le lien social n’émerge pas dans la relation à deux mais à trois… ». Lorsque l’on sait – et ils sont rares ceux qui l’ignorent (le langage courant ne se complaît-il pas à qualifier les franc-maçons de « frères trois-points » ?) – l’importance essentielle du nombre trois et du ternaire en Franc-Maçonnerie, la convergence entre cette dernière et le néo-personnalisme saute aux yeux, renforçant ainsi la thèse que j’ai voulu présenter ici.

VT. 125 : « …Grégoire de Naziance affirmait que deux est le nombre qui sépare, trois le nombre qui dépasse la séparation… ». La Franc-Maçonnerie, nourrie du trois , œuvre à dépasser les séparations, les déliances et à construire des reliances…

VT. 109 : « …Mon « Je » relationnel et existentiel justifie mon « Je » rationnel… ». Le franc-maçon, par la réflexion sur sa personne et son existence (travail de l’Apprenti), puis par son expérience des relations (travail du Compagnon) va ouvrir la porte pour construire une personnalité et une humanité douées de raison (travail du Maître)…

VT. 127 : « … à travers cette philosophie (personnaliste.) se dessinent les contours d’une autre religion, une religion des hommes qui pourrait être qualifiée de laïque… ». Comment un franc-maçon humaniste, libéral et a-dogmatique pourrait-il ne pas adhérer sans réserves à une telle prise de position ?

VT. 176 : « …Le personnalisme affirme une confiance dans la capacité de dépassement des personnes qui passe par la révolution intérieure… ». La Franc-Maçonnerie également…

VT. 176 : « …Pour Berdiaeff, c’est la fraternité personnaliste qui fonde la véritable démocratie, la démocratie réelle, qui est celle de l’autonomie humaine de la liberté venant d’en bas… ». Remplaçons « personnaliste » par « maçonnique » dans cette phrase, et celle-ci conservera toute sa valeur…

Comprenons-nous bien. Nulle intention perverse, nul prosélytisme dans mon chef, nulle volonté de plaider pour que Vincent Triest – qui, sauf erreur de ma part, n’est actuellement point initié franc-maçon – le devienne. J’ai simplement tenu à souligner avec intérêt certaines correspondances frappantes entre son approche du personnalisme et mon expérience de la Franc-Maçonnerie…ce qui risque de surprendre – mais pourquoi pas ? – certains lecteurs de Profils de libertés

Marcel Bolle De Bal, professeur émérite de l’ULB



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