Luc Nefontaine
Depuis le dix-huitième siècle, dans les pays européens
catholiques, les relations entre la franc-maçonnerie et
le monde catholique ont généralement été très
conflictuelles. C’est une histoire mouvementée qui
peut être déclinée en trois grandes étapes.
- D’abord une excommunication papale qui
surgit en 1738, dictée
par des motifs religieux mais surtout par des motifs politiques.
Une condamnation renouvelée tout au long des dix-neuvième
et vingtième siècles, par une foultitude de papes
et d’évêques.
- Puis l’apothéose du conflit, dans le dernier quart
du dix-neuvième siècle jusqu’à la Seconde
Guerre mondiale, où l’on fait flèche de tout
bois en diabolisant l’adversaire.
- Enfin, des tentatives de pacification et de dialogue de part
et d’autre qui n’éludent cependant pas la question
de savoir si l’on peut, aujourd’hui, être catholique
et franc-maçon.
Où en est-on en Belgique ?
Les historiens ont bien travaillé, qui ont montré que
l’Eglise catholique a longtemps excommunié les maçons
par peur du secret et du serment, par sa crainte du relativisme
religieux, pour des motifs politiques variables selon les époques.
- Les théologiens catholiques ont bien travaillé,
l’excommunication
n’existe plus depuis 1983 mais l’Eglise (celle du Vatican)
décourage toujours fortement ses fidèles de devenir
francs-maçons.
- Les maçons ont bien travaillé, surtout les maçons « réguliers » (ceux
qui obligent les nouveaux membres à professer une croyance
théiste), puisqu’ils se mettent, bon gré mal
gré, à accueillir dans leurs loges des catholiques – pas
trop papistes, encore moins « opusdéistes »…
Hormis le cas de quelques esprits dérangés ou de
nostalgiques des guerres de religion, l’époque n’est
plus où les « cathos » pouvaient imaginer que
les « francs-macs » se réunissaient pour piétiner
avec hargne des hosties consacrées. Et les francs-maçons
ne croient plus que les catholiques veulent diriger toute la société.
Encore que… si l’anticléricalisme
n’est
pas mort, c’est que le cléricalisme agit toujours
comme repoussoir. Mais ce n’est plus la première cause à défendre
chez les maçons. Pensez : des ecclésiastiques eux-mêmes
se disent anticléricaux ! De quoi y perdre l’Orient…
Reste la question de l’enseignement. La guerre scolaire,
c’est de la vieille histoire, pourtant les catholiques comme
les laïques savent bien qu’il suffit d’une étincelle
pour la rallumer. Alors, une majorité de loges en Belgique
préfèrent ne pas accepter de candidats dont les enfants
fréquenteraient l’enseignement libre catholique. Question
de principe. Et nombreux sont les catholiques qui se méfient
encore des francs-maçons, trop rapidement assimilés à des
militants laïques rabiques ou à des affidés
d’une secte d’autant plus redoutable qu’elle
est secrète.
Chaque camp vit sur ses mythes, et le mythe maçonnique
en particulier a la vie dure. Rien n’y fait : on multiplie émissions
télé et radio, on écrit livres et articles,
on tourne en conférence à travers le pays, on organise
des journées « portes ouvertes »… la franc-maçonnerie
reste méconnue et l’avalanche
d’informations et d’explications semble attiser la
curiosité et le sentiment que l’on n’a rien
dit si l’on n’a pas tout dit !
Pour un peu, on placerait
volontiers des caméras de surveillance dans les loges…ou
dans les confessionnaux !
Vive la transparence, pourvu qu’elle
ne s’applique qu’à l’autre…
Ce qu’il reste de trois siècles de cohabitation tumultueuse,
c’est cette méfiance réciproque, cette propension à prêter à ceux
d’en face des intentions qu’ils n’ont pas, ou
qu’ils n’ont plus. Ajoutez à cela les clivages
politiques, la pilarisation de notre pays qui s’atténue
mais ne disparaît point, les fractionnements linguistiques
(la maçonnerie est surtout implantée à Bruxelles
et en Wallonie), vous aurez compris que tous les ingrédients
sont réunis pour former un breuvage d’amertume dont
il faudra bien encore boire quelques gorgées…
Luc Nefontaine, Ans (Belgique)
|