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 LibreSens
Violentes, les religions ?

Jacques Chopineau

En finir avec cette idée fausse

On entend dire que les religions seraient, de soi, porteuses de violences. Il s'agit d'un contre-sens à la mode en certains milieux. Les lignes qui suivent voudraient réagir à cette affirmation. Le danger serait d'ailleurs surtout, dit-on, du côté des monothéismes. On semble penser que les polythéismes seraient plus tolérants. Les exemples contraires ne manquent cependant pas. La religion romaine, avant le christianisme, n'est certainement pas un exemple de tolérance. Et pas davantage, l'hindouisme, ni la religion des aztèques ni les animismes de nombreuses contrées du monde.

En fait, la violence est inscrite dans la nature humaine et toute religion peut se dévoyer… si les circonstances s'y prêtent (et elles s'y prêtent souvent). Comme le rappelle Montaigne : « Notre religion est faite pour extirper les vices ; elle les couvre, les nourrit, les incite » (1).

D'autre part, on peut affirmer qu'il est un sujet généralement ignoré de l'homme d'occident : il ne sait guère ce que signifie le mot « religion ». Certes, s'il est cultivé, il a lu des ouvrages sur la question et a souvent une opinion à ce sujet. Mais, réellement, il ne sait pas ce que le mot signifie.

Le langage courant est d'ailleurs, sur le sujet de la religion, empli d'approximations. Un « mythe » devient une chose irréelle. Un rite ? Une pratique étrange et ancienne. La foi ? Une croyance. Le « salut par la foi » cher aux protestants serait-il un salut par la croyance ? Funestes habitudes langagières ! On peut ainsi « croire » sans « pratiquer » ou pratiquer un rite sans en comprendre le sens. Quant aux formulations, il faut faire semblant d'y croire si l'on se veut « croyant », lors même que l'on ne comprend pas ce qui est affirmé « par tradition ». Ainsi fait-on la part belle aux critiques.

En définitive, nous sommes en présence d'une montagne de contresens ou, au mieux, d'approximations quasi journalistiques. C'est ce qu'on nomme la culture « religieuse ». En matière de religion, l'homme occidental est une sorte de primate, sûr cependant, le plus souvent, de la justesse de ses vues.

Il faut en finir avec cette idée fausse selon laquelle les religions seraient violentes. C'est le contraire qui est vrai. A moins de confondre le corps et le vêtement. A moins de prendre pour argent comptant ce que les tenants du pouvoir disent être leur « religion »… Souvent, l'absence de religion est plus destructrice qu'une religion vécue.

Les crimes de Staline sont-ils dus à sa « religion » ? Les barbaries nazies sont-elles dues à la religion ? Ou encore les massacres ordonnés par un Pol Pot ? Le seul trait commun de tous ces massacreurs est qu'ils sont des doctrinaires. Mais que les violences s'avancent masquées d'idéologie ou de religion : le résultat est identique pour les victimes.

Elles sont nombreuses, les atrocités commises par les humains et elles n'ont, parfois, rien à voir avec « les religions » même lorsque ces atrocités se parent d'un prétexte « religieux » Ainsi, de nos jours, les luttes en Croatie ou en Irlande du nord. Aux Etats-Unis même des millions de « chrétiens », sûrs de leur bon droit, soutiennent une politique aberrante. Plus près de nous, l'ignorance de l'Islam est colossale et cette ignorance est véhiculée par nos médias. Ce qui ouvre la porte à tous les amalgames…..

Les sociétés humaines sont violentes parce que l'homme, en tous temps et en tous lieux, est un animal violent. Et il est arrivé plusieurs fois dans l'histoire que la « religion » serve de prétexte pour exercer des violences, pour plus de profit ou pour plus de pouvoir.

Ainsi est l'humain. Par contre, humilité, pardon, droiture… ne sont pas des pentes « naturelles ». La pesanteur « logique » est la seule pente naturelle des humains. Au-delà des discours, cette logique, surtout en occident, est une logique du profit. Est bon ce qui est bon pour moi, pour ma carrière, pour ma tribu, pour ma cause, pour mon profit… Combien de comportements violents n'ont-ils pas, en définitive, le profit pour cause ?

Telle n'est pas une attitude religieuse. Ici, suivre sa pente, c'est la remonter. Le critère véritablement humain n'est pas dans la rationalité, mais dans la fraternité, la responsabilité.

Des sommets de la barbarie nazie ont été conçus et mis en ñuvre aussi par des gens cultivés. Un médecin tortionnaire n'est pas moins formé à la science qu'un médecin dévoué aux faibles. Les mêmes écoles peuvent produire un général massacreur ou un militaire respectueux de la dignité humaine. De même, l'Evangile a pu inspirer ou servir de paravent à un grand inquisiteur. Là aussi les doctrinaires peuvent prendre le pouvoir !

Dans le même temps, des gens « religieux », non toujours en paroles, s'efforcent de montrer que l'homme peut être fraternel. Non seulement en paroles, mais en actions concrètes. Ainsi, les religieux ne sont pas toujours ceux qui se déclarent tels. C'est même parfois le contraire….

Le siècle des religions  

On a prêté à Malraux ces paroles selon lesquelles le siècle qui vient sera religieux ou ne sera pas. Et peu importe ici qu'il ait ou non tenu ces propos. Quel qu'en soit l'auteur, cette parole est, en soi, éclairante. Il faut seulement en préciser la portée.

Ou bien le siècle qui vient sera « religieux » ou bien il sera « normalement » un monde divisé entre deux forces antagonistes par nature : d'une part, cette partie du monde vouée à la logique du profit et, d'autre part, une partie de l'humanité vouée à la misère. Les uns feront de bonnes affaires ; les autres devront se soumettre la logique (la loi) des premiers. La « religion » des uns sera étrangère à la religion des autres. Le Dieu des riches n'est pas le Dieu des pauvres. Et les besoins commandent les guerres.

L'injustice est de tous les temps, certes, mais la multiplication des humains donne un poids nouveau au phénomène. Dans un télégramme adressé à Dieu, la grande romancière Christiane Rochefort se référait au verset de la Genèse qui ordonne aux hommes de « croître et multiplier ». De là, ce télégramme : « Croissez et multipliez/ Mission accomplie/ Et maintenant : qu'est-ce qu'on fait ? »

Ainsi est la source du problème : la terre est pleine. Et la soi-disant « globalisation » met en premier la concurrence et non la solidarité. Malheur à ceux qui ne font pas de profit.  

Le vrai scandale est là, dans cette gigantesque injustice. Là est la source du mal. L'injustice est le terreau de violences sans nombre. En bien des lieux de la terre, et non seulement dans les pensées ou dans les convictions philosophiques ou religieuses, le problème est bien vivant. Eternellement vivant même, puisqu'il vit de la mort des hommes. Aussi longtemps qu'il y aura des hommes, ce problème sera vivant.

Une grande partie de l'humanité meurt de faim. Sans parler de la maladie et des guerres. Et ici du manque d'eau potable, là de la pollution, ailleurs de la violence de puissants… D'autre part, les banlieues des pays riches ont aussi leurs masses pauvres, deux fois pauvres, d'ailleurs, puisqu'ils vivent dans des sociétés d'abondance, mais que la consommation leur est refusée.

Pour ce qui touche l'Europe, d'autres problèmes se profilent. Un problème à venir pour les européens n'est pas dans l'immigration de plus pauvres, et plus féconds, vers une Europe-terre d'accueil, mais dans les délocalisations vers des pays plus pauvres (et moins coûteux) d'activités jadis fécondes d'emploi et de biens nécessaires. De cela, nous ne voyons que les débuts -que l'on minimise volontiers. Pour le profit de quelques uns (« pour Mammon », dirait un religieux chrétien), le sud nous envahit et l'Est attire nos biens. La roue tourne…

Mais cependant, loi du profit oblige, nous ne parlerons guère de cela dans les commentaires experts diffusés par les médias. D'autant que les hommes politiques sont plus soucieux de leur élection ou réélection que de ces problèmes à long terme.

L'information, d'autre part, a elle aussi besoin du public, lequel a besoin d'informations qui ne le dérangent pas trop. La misère n'est d'ailleurs pas un créneau porteur. Sauf parfois, à l'occasion d'un combat spectaculaire ou d'une détresse gigantesque, le temps où elle se révèle à nos yeux.

Misère, vieillesse, souffrances doivent donc être cachées ; pourquoi parler de ce qu'on sait et qu'on préfèrerait ignorer ? Nos indignations sont à la fois sélectives et épisodiques. Nous avons les informations que nous attendons, bien enveloppées, comme il se doit. Il y a d'ailleurs des professionnels pour cela. Mais dans tous les cas, la justice est la parente pauvre des débats qui passionnent les foules. Cela n'est pas nouveau, certes, mais le phénomène prend des proportions jamais atteintes. Sur ce point, le regard des « religions » est incontournable.

Jacques Chopineau, Genappe, 12 avril 2004

(1) Montaigne, Essais, Livre II, chapitre 12.

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