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Profession de foi d'un athée

Daniel Parotte

Etre athée, c'est ne pas croire en Dieu… ou, plutôt, croire qu'il n'y a pas de Dieu(x).

C'est là une croyance, une foi, au même titre que la croyance au divin; comme elle, cette conviction ne repose pas sur un fondement scientifiquement incontestable. Seul l'agnosticisme (philosophie professant l'impossibilité de se prononcer certainement sur l'(in)existence de Dieu) échappe à ce travers; aussi me qualifierais‑je volontiers d'athée agnostique.

Mais je fais le pari inverse de celui de Pascal : je conduis ma vie en fonction de l'hypothèse qu'il n'y a pas de Dieu ni “d'ailleurs” à notre monde. Pourquoi ? Parce que cette approche me paraît plus stimulante, plus féconde. Parce que, aussi, je ne crois pas aux êtres fabuleux : licornes, centaures, sphinx ou monstre du Loch Ness. Je me refuse en effet à demeurer dans l'indétermination prudente quant à ces "êtres", comme l'exigerait un agnosticisme conséquent par rapport à de telles fables, les religions ne s'en distinguant guère que par un plus haut degré d'élaboration, du moins dans nos cultures modernes.

Ceci dit, je suis tout prêt à appeler “Dieu” le principe de vie ou le principe de mouvement ou la matière elle-même. Cependant, il ne s'agit alors que d'un mot pour désigner quelque chose dont la science peut ou pourra un jour rendre compte. Cela n'affecte pas ma vie au quotidien. Le Dieu auquel je ne crois pas, c'est celui en fonction de qui je devrais adapter mes pensées et mes actions; celui qui s'ingérerait - lui‑même ou par prêtres interposés ‑ dans ma vie de tous les jours.

Mais je regrette l'absence d'un tel Dieu, si du moins il s'agissait d'un Dieu bon. Par contre, je ne désirerais pas croire à un Dieu mauvais ‑ hypothèse certainement aussi plausible que la précédente ‑ mais s'il existait, je voudrais en être avisé pour y adapter ma manière de vivre.

L'athéisme laisse celui qui y souscrit dans une assez large indétermination au plan moral. Cela n'implique pas pour autant nécessairement un désordre des pensées ni des moeurs, n'en déplaise à ceux qui stigmatisent les athées stupides ou licencieux; mais cela n'implique pas non plus, il est vrai, une vie sans désordre. En fait, tout est fonction gènes, d'environnement culturel, historique, familial, affectif, spirituel, etc.

Mais en va‑t‑il différemment pour les croyants? Je pense, en effet, me référant moins à un strict déterminisme qu'aux théories du chaos (dans la mesure de ce que j'en comprends), que nos croyances sont moins le fruit d'une démarche intellectuelle froidement maîtrisée que la résultante d'un jeu d'interactions complexe dont nous sommes le lieu et l'enjeu.

A l'instar du philosophe matérialiste André Comte-Sponville, je considère seulement que les croyants devraient se défier d'une croyance qui répond si bien à leurs attentes, fût-ce au prix d'une certaine exigence morale ou intellectuelle. Le même auteur se plaît à citer Saint Augustin: "Les hommes aiment tellement la vérité que, quoi qu'ils croient, ils veulent que ce soit la vérité."

Je ne puis m'empêcher d'être heurté par l'affirmation que tout homme qui réfléchit voit s'imposer à son esprit l'idée simple de Dieu ou que l'idée de finitude, liée à la mort, implique l'idée d'infini ou d'une transcendance, d'un au‑delà. En effet, je ne peux me résoudre à me voir comme ne sachant réfléchir, ni manier une logique élémentaire voire comme n'étant pas même un homme. Et je ne vois pas une évidence mais seulement une profession de foi dans l'affirmation qu'«avec l'idée d'homme est nécessairement donnée l'idée de Dieu. On ne saurait les séparer et abolir l'une sans abolir l'autre. Elles sont nouées».

Quant à croire qu'il n'y a qu'une morale certes pas toujours bien connue ni toujours bien respectée c'est pour moi une illusion car les morales reposent sur des valeurs et non des faits et sont donc questions de consensus et point de démonstration. Le fait que l'illusion que je dénonce soit largement partagée par tous les horizons de pensée n'en change pas le caractère.

Je pourrais encore développer d'autres réflexions mais je choisis de me limiter et de ne plus aborder qu'un seul point qui me tient particulièrement à coeur : je critique cet esprit de symétrie, si souvent mis en avant par les médias, qui voudrait qu'à l'extrémisme des intégristes religieux corresponde l'extrémisme des athées.

En fait, ce qu'il convient d'opposer à l'extrémisme religieux, c'est l'extrémisme athée, qui est l'image inversée du premier. Mais je n'expérimente pas personnellement un extrémisme inhérent à l'athéisme, pas plus qu'il n'y a un extrémisme inhérent à la religion : dès le début de mon texte, j'ai souligné que l'athéisme était une croyance, ni plus, ni moins que toute foi religieuse.

Ce dont l'esprit doit seulement se garder, c'est de leur vocation à devenir une pensée systématisée, totalisante, car alors le risque grandit de les voir développer un intégrisme. Le garde‑fou de l'athéisme c'est la ou plutôt les morales laïques, fondées sur le respect de l'altérité et de la pluralité, mais les analyser systématiquement serait l'objet d'une autre réflexion et pourquoi pas d'un autre texte.

Daniel Parotte, Vivre 96/2   



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