Daniel Parotte
Les éditeurs placent sans cesse Raoul
Vaneigem au cœur
de l’actualité puisque des éditions nouvelles
et des rééditions marquent les années 2003
et 2004. L’auteur est un situationniste, s’inscrivant
en-dehors de tout cadre institutionnel, fut-il situationniste.
J’ai trouvé plaisant
et pour tout dire un moyen de laisser libre cours à ma subjectivité tout
en respectant la pensée de Vaneigem de le prendre au mot,
lui, et son hagiographe, Pol Charles (« Vaneigem l’insatiable », éd.
L’Age d’Homme, Suisse, 2002) : réaliser un texte
qui ne serait constitué que de citations juxtaposées,
extraites - pour corser la difficulté - d’un seul
livre, « Adresse
aux vivants. Sur la mort qui les gouverne et l’opportunité de
s’en défaire » (je le cite dans l’édition
Paris, Seghers, 1990).
Je me réserve de consacrer bientôt d’autres développements à l’ensemble
de son œuvre - du moins dans sa composante libertaire - car
il n’a pas été possible de le faire ici, sans
quoi il eut fallu multiplier l’espace par quatre ou cinq.
«
En fait, je ne suis pas étranger au monde, mais tout m’est étranger
d’un monde qui se vend au lieu de se donner (...) » (p.9) « Ils » me
gênent aux entournures de mes plus humbles libertés
avec leur argent, leur travail, leur autorité, leur devoir,
leur culpabilité, leur intellectualité, leurs rôles,
leurs fonctions, leur sens du pouvoir, leur loi des échanges,
leur communauté grégaire où je suis et où je
ne veux point aller. » (p.9 et 10)
« À quoi reconnaît-on la fin d’une époque
? A ce qu’un présent soudain insupportable condense
en peu de temps ce qui fut si malaisément supporté par
le passé. De sorte que chacun se convainc sans peine ou qu’il
va naître à lui-même dans la naissance d’un
monde nouveau, ou qu’il mourra dans la crise d’une société de
moins en moins adaptée au vivant. » (p.15) « Jamais
le pouvoir n’a disposé d’aussi grands moyens pour
imposer sa souveraineté et jamais il ne lui est resté,
pour les appliquer, aussi peu de forces. » (p.122) « Pour
qui se réjouit qu’il n’y ait plus ni drapeau,
ni maître à penser, ni rôle à soutenir,
voici le temps de l’authenticité, et d’un style
de vie où les êtres renaissent à eux-mêmes, à la
jouissance de ce qu’ils désirent vivre. » (p.113)
«
La religion n’a-t-elle pas été la première
entreprise à prospérer dans le traitement retors du
refoulement et du défoulement des pulsions ? Une fois les
libertés de nature soumises aux exigences du travail quotidien,
c’est une faute que d’y céder, une faute contre
l’esprit économique. Le prêtre a su se faire très
tôt le contrôleur et le comptable de la « faiblesse
humaine ». Il guette la chute de l’homme dans l’animalité et
se poste à la sortie pour négocier le prix de la pénitence
et du rachat. S’étonnera-t-on que l’Eglise de
Rome, qui a hérité des vertus boutiquières de
l’Empire, insiste tellement sur le caractère faillible
de l’homme en proie aux tentations ? Plus le pécheur
succombe et mieux il acquitte en argent, en obédience, en
débilité résignée la taxe de péage
qui lui accorde le salut de l’âme. » (p.132 et
133) « Ce n’est pas sans raison, qu’ils ont, des
siècles durant, adoré, sous le nom de Dieu, un marchand
d’esclaves qui, n’octroyant repos qu’un seul jour
sur sept, exigeait encore qu’il fût consacré à chanter
ses louanges. » (p.19)« Il n’y a d’autre
genèse de l’humanité et de l’inhumanité qu’en
l’homme qui s’est créé de la terre et se
détruit au nom du ciel. » (p.36)
«
L’inhumanité est ainsi agencée que la plupart
des biens acquis remplacent désavantageusement les maux qu’ils
suppriment. Ainsi voit-on, à mesure que la justice atténue
ses rigueurs, les hommes de l’économie se punir eux-mêmes
de fautes dont ils s’incriminent en secret, substituant le
suicide à l’échafaud, la maladie à la
torture, l’angoisse au pilori. (p.145)
«
L’histoire de l'émancipation des hommes n’a jamais
entériné de libertés qui ne soient sources de
revenus accrus. » (p.146) « C’est le profit, plus
que la générosité, qui prescrit d’échanger
les prisonniers de guerre contre rançon ou de les vendre comme
esclaves au lieu de les supplicier jusqu’au dernier, en recouvrant
sur eux les traites de la vengeance. L’humanisme prend sa source
ici même. » (p.147)
«
Qui a résolu de vivre selon ses désirs devient insaisissable.
Il n’a ni rôle, ni fonction, ni renommée, ni richesse,
ni pauvreté, ni caractère, ni état par lesquels
on le puisse agripper et prendre au piège. Et s’il doit
comme chacun payer tribut au travail et à l’argent,
il ne s’y engage pas vraiment, étant engagé ailleurs
où il a mieux à faire. » (p.127) « Prendre
d’instant en instant le temps de se sentir vivre, c’est
se trouver libéré du droit et du devoir conjoint d’obéir
et de commander.» (p.128)
Et comment mieux conclure que par ces mots
toujours plus actuels : « L’Etat européen a déjà la disgrâce
d’avoir sur les bras une armée que l’absence de
guerres et d’émeutes condamne au chômage, que
ferait-il de sa justice, de sa magistrature et de sa police, de sa
bureaucratie s’il perdait le terrorisme politique et le forfait
de droit commun ? « (p.156)
Daniel Parotte, athée,
Liège
le 4 novembre 2004
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