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 LibreSens
Une nouvelle arche de Noé


E. Drewermann

"Quand la religion fait injure à la raison,
elle répudie sa propre justification."
Rabindranath Tagore

Quand nous arrivons à croire que nous possédons Dieu parce que nous appartenons à telle ou telle église, nous sommes parfaitement aisés de penser que Dieu sert uniquement à nous permettre d’assommer avec plus de componction les gens qui, pour leur bien ou pour leur mal, se font de lui une idée différente de la nôtre sur quelques détails théoriques.

Ayant ainsi casé Dieu dans le royaume des ombres d’un quelconque credo, nous nous sentons libres de réserver à nous-mêmes tout l’espace dans le monde de la réalité, et nous débarrassons ce monde du merveilleux de l’Infini, en faisant quelque chose d’aussi trivial que le reste de notre mobilier. Une vulgarité aussi entière ne devient possible que si, dans notre esprit, nous ne doutons plus de croire en Dieu, tandis que dans notre vie nous le négligeons totalement.

Le pieux fidèle de ces églises doctrinaires ou dogmatiques est fier parce qu’il se sent le droit de posséder Dieu. Le dévot est humble parce qu’il sent que Dieu a sur sa vie et sur son âme le droit d’amour. Or, ce qui est l’objet de notre possession doit nécessairement devenir plus petit que nous, sans l’admettre implicitement, le sectaire bigot entretien la croyance inconsciente que ses pareils et lui peuvent tenir Dieu dans une cage qu’ils lui ont forgée. C’est de la même manière que les superstitieux attribuent à leurs rituels une influence magique sur les dieux.

Et ainsi chaque religion commence comme agent de libération et finit par être dans une vaste geôle. Édifiée sur le renoncement de son fondateur, elle devient entre les mains de ses “prêtres” une institution d’accaparement, revendiquant l’universalité, elle devient un centre actif de déchirement et de schismes. Au lieu d’être libérée par une vision de l’Infini dans sa foi, l’imagination timorée et ratatinée des masses est tenue captive par la bigoterie; elle est torturée et exploitée par les “prêtres” et les fanatiques et cela à des fins que n’avaient guère prévues les initiateurs de religions.

À l’esprit arrogant du sectarisme, qui si souvent, au moindre prétexte, emploie des méthodes de persécution actives ou passives, violentes ou subtiles, il faut rappeler que la foi, tout comme la poésie, n’est pas une simple idée. C’est une expression. Dieu s’exprime dans une infinie variété de la création. Et notre attitude envers l’Infini doit aussi avoir, dans son expression, une variété d’individualité incessante et sans fin.

Lorsque des religions ont la prétention d’imposer leurs doctrines à l’humanité entière, elle se dégradent en tyrannie et deviennent une forme d’impérialisme. C’est pourquoi, en matière religieuse, nous voyons régner dans la plus grande partie du monde, une méthode fasciste implacable, qui écrase sous son talon insensible tout épanouissement de l’esprit humain.

Les hommes enclins au sectarisme veulent naturellement que leur propre doctrine domine tout, dans le temps et dans l’espace. Ainsi se sentent-ils offensés lorsqu’on leur dit que Dieu distribue son amour sans parcimonie et que les moyens de communication dont il dispose avec les hommes ne se limitent pas à une étroite impasse qui prend fin abruptement en un point donné de l’histoire.

Si jamais l’humanité se voyait submergée une fois de plus par le déluge universel de l’exclusivisme et de la bigoterie, Dieu devrait prévoir une nouvelle arche de Noé pour que ses créatures échappent à la catastrophe de la dévastation spirituelle.

E. Drewermann dans Dieu en toute liberté 



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