Michel Duquesnoy
De quelques fanatismes protestants
petit-bourgeois
Il m’arrive d’animer l’une ou l’autre
causerie dont l’axe majeur “tourne”, bien sûr,
autour de mes recherches sur les chamanismes mexicains, amérindiens
ou autres. Toutefois, une passion de jeunesse continue à
occuper mes temps libres -trop rares. Je veux parler de l’islam
dont j’assure les cours à l’Institut Calvin à
Bruxelles. Quelques années séparent ce billet des
deux anecdotes rapportées plus bas. Les lecteurs de Vivre comprendront sans doute très vite pourquoi celles-ci
me sont restées au travers de la gorge, à l’image
de l’arête célébrée par une chanson
de François Béranger.
Les conférenciers connaissent et apprécient
les contacts entretenus avec l’auditoire. Ces échanges
clôturent leurs exposés, souvent avec bonne humeur.
C’est heureux! Ces apartés adoptent parfois le ton
de la confidence, d’un sens comme dans l’autre. Les
retardataires -que rien n’assouvit- prolongent des discussions
que les organisateurs mettent à profit pour jauger l’intérêt
suscité. Les réflexions se prolongent, les critiques
se précisent: seules l’extinction des feux et la clôture
des portes mettent un terme aux débats. À moins qu’ils
ne se prolongent autour d’un pot.
Voici quelques années, deux associations -on
me permettra de taire les noms et les lieux évoqués-
m’avaient confié des entretiens sur l’islam d’Europe
et les islamismes. Aborder l’islam, qu’on le veuille
ou non, c’est renvoyer l’auditeur aux confins de sa
propre tolérance. Soit au seuil de son intolérance.
L’islam, comme les chamanismes d’ailleurs, offre l’engouement
particulier du miroir de l’altérité.
Les sous-titres en italique
reflètent mes sarcasmes…
«Qui suis-je?»
«Oh moi, un zélateur : on me confie des paroisses!»
Me voilà en scène avec un couple de
protestants. Madame s’approche, le visage radieux, m’interpelle
(1), avec fierté (ne suis-je pas son frère?):
- “Vous qui aimez tellement les diverses expressions
religieuses et qui les connaissez bien, vous devez quand même
(sic!) aimer le christianisme?” (Inquiétée
par ma présentation islamophile, il convient de se rassurer).
- “Bien sûr, lui répondis-je un peu surpris,
le dialogue et la réflexion sir les autres m’apprennent
au moins à apprécier mes propres questionnements et
à affiner mes réponses. cela me permet de percevoir
leurs limites et surtout leurs failles.”
- “Ah…! (soulagement) Alors cela ne peut
que vous donner la certitude que c’est nous (i.e les protestants) qui tenons le bon bout! N’est-ce
pas?”
- “Non, je n’en suis pas sûr! Je crains
les gens imbus de leurs convictions.” J’évoque
les missionnaire aux mille chapelles, leur zèle acharné,
dévastateur, à l’exact opposé du Règne
d’amour qu’ils annoncent, etc. Silence.
Arrive l’époux, pasteur de son métier
-de vocation: fossoyeur d’église!- à la rescousse
(?), il attaque:
- “Vous n’aimez guère les missionnaires? (2)
Ben, c’est quand même grâce à eux, etc.”
J’ai envie d’être ailleurs. Mais
la médiocratie fanatique de renchérir:
- “Il y a bien eu quelques massacres ici et là chez
les Papous ou chez les Indiens. Voilà qui est bien dommage
pour eux (resic!) mais puisqu’ils
venaient d’entendre parler du Christ…”.
Je m’écarte,
je ne relève pas le défi, je suis déçu,
irrité. Je fuis. C’est trop c… Des jours durant,
j’analyse cet épisode. Le cynisme féroce de
ces pittoresques “boutades” me tourmentent. Aujourd’hui,
elles deviennent le prétexte à cette publication.
«Je suis fonctionnaire protestant. Je fonctionne
mal!»
Autre conférence, autre public. Pas de dialogue.
Une critique, vive, un reproche, vitriolé, sort de la bouche
de l’organisateur-modérateur:
- “Je vous avais invité avec un musulman
pour lui donner la réplique (i.e pour
lui clouer le bec), non pour évoque un possible dialogue
avec les chrétiens! Et les valeurs du protestantisme, vous
les mettez où, après ça?”.
Même dans la tribu pastorale,
on n’avait pas voulu de celui-là.
«Tenir le bon
bout»
J’ai
appris à ne plus être surpris par ces remarques stériles
mais dangereuses. Ne sont-elles pas le premier vecteur des intolérances
en tous genres? Parler de l’autre, quel que soit le milieu
d’écoute, dérive souvent en apologétique
mièvre, engrenage des vociférations inquisitoriales
dont notre siècle camoufle le secret.
Tactique du tigre et du chien de berger. Ein, zwei,
corpus Christi! Attaquer, se
défendre; s’ouvrir, se cloisonner! «Dites-moi
que je tiens le bon bout…»: tel retentit le cri de désespoir
d’une foi mal assurée que le «c’est bien
dommage» renverse en un diaphane soubresaut intemporel.
Et pourtant? Que voilà un puissant manifeste,
caractéristique de la certitude apologétique de nombreux
coreligionnaires? (3) Pierre,
que font-ils de la question fondamentale que tu posais dans les
colonnes de cette revue : «Moi, je cherche où le Christ
est concrètement à l’œuvre»? (4)
Ne crois-tu pas qu’ils le recherchent là où
il est complètement mortifère? Ne seraient-ils que
des vautours se délectant d’âmes dénuées
de leur libre-arbitre?
Que le sbire inquiet des valeurs
de son protestantisme se rassure: je ne suis pas comme lui! Ma
conception des valeurs
est trop dépendante de ce que m’apprennent les Nahua
du Mexique et mon maître chamane. L’Occidental judéo-christianisé,
même à son grand dam, vit dans une conception étroite
du temps. Passé, présent, futur. Le tout en flèche,
de gauche à droite. C’est un peu idiot: on doit toujours
aller de l’avant. Toujours cette certitude de progresser…
La belle affaire! De quoi se couper de toutes les virtualités
humaines et spirituelles que seul l’instant présent
me permet de vivre.
Être dans
le présent, n’est-ce pas vivre instantanément
et spontanément avec toutes les forces vives qui m’environnent?
N’est-ce pas (apprendre) à les connaître et à les
respecter?
Je pose la question. En fait
mon désarrois
est grand. L’Occident, pétri par son monothéisme
intransigeant, martelé par son rationalisme qu’une
certaine laïcité érige en panacée dogmatique,
l’Occident me déplaît. Sa civilisation de chewing-gums
hollywoodiens, ses comédies d’hospitalité, son
urbanisme de pacotille n’ont jamais caché ses maladies
et sa rapacité.
Perpétuels conquérants,
inépuisables colons, il nous manque l’essentiel: la
Terre. Nous irons sur Mars. Au Paradis ou en Enfer. Jamais sur Terre.
Pas de cycle occidental de mort/vie/mort/vie. Seulement l’apparition,
l’extinction, la punition, ou la vie éternelle. Le
pied, quoi. Mais jamais sur la Terre sacrée.
Michel Duquesnoy, protestant, VIVRE 199/1
1. Les dialogues ne sont
pas des reconstructions. Je les ai retranscrites tels quels
dans
mon journal, le soir même des deux exposés. je les
ai retranscrits tels quels dans mon journal, le soir même
des exposés, éloignés par quelques mois d’intervalle
l’un de l’autre.
2. Cela est entièrement vrai !
3. Je laisse les autres
de côté. Je lave mon linge sale en famille.
4. Pierre Le Fort, VIVRE,
III, 1995/4, p.15. L’auteur venait de poser la question “savoir
reconnaître la vraie Église”.
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