Nadine de Vos
Si
Feuerbach, Nietzsche et autres philosophes, écrivains ou théologiens,
déclarent que Dieu est mort, ne les croyez pas car « Dieu
respire encore » – nous dit Michel Onfray. « Il
n'est ni mort ni mourant parce que non mortel. Une fiction ne meurt
pas, une illusion ne trépasse jamais, un conte pour enfants
ne se réfute pas. » (1) Il y a quelques
années, lorsque j'ai commencé à converser
sur un forum dit chrétien – qui est en fait catholique – c'était
pour préciser mes propres idées et tenter de les affiner.
J'étais toute disposée à me laisser convaincre
que mon athéisme alors naissant – il était en
gestation depuis fort longtemps – était un mauvais choix,
une fausse route. J'ai fréquenté assidûment un
bon nombre d'auteurs, protestants surtout mais aussi quelques catholiques,
et je suis allée pointer mon nez dans d'autres religions ou
philosophies. Nulle part, cependant, je n'ai même entrevu
l'ombre de ce Dieu dont tout le monde parle trop.
Dans un second
temps, je me suis demandée
pourquoi ce concept, né à l'aube des temps, avait
si bien réussi à traverser
les siècles – certes en se démodant un peu
et au prix de quelques rides – et restait au centre des
préoccupations
du plus grand nombre de mes contemporains. Car tout le monde
en parle ! Mes arcanes cérébrales étant
ainsi faites, une association d'idées se chargeant du
reste, je me suis souvenue de Jeanne Moreau et Guy Béart
chantant, il y a vingt-cinq ans déjà : « Parlez-moi
d’ moi Y a qu’ ça
qui m'intéresse… ».
Et j'ai pensé que
j'avais peut-être un semblant de réponse.
Mais tout
le monde peut se tromper, n'est-ce pas ? Les croyants d'aujourd'hui,
me dis-je,
parlent en fait d'eux-mêmes, de leur propre petit ego et,
en vénérant ce qu'ils nomment Dieu,
ils adorent la part d'eux-mêmes qu'ils ont idéalisée,
magnifiée,
ce à quoi ils aimeraient tant ressembler. Et
ce Dieu, figurez-vous, les aime tels qu'ils sont ! Que peut-on
imaginer de mieux comme système
? Dernièrement, j'ai entendu lors d'une conférence
: Dieu, c'est ce qu'il y a de meilleur en nous.
Puissant ! C'est ce que j'appelle un flagrant délit de contemplation de
nombril. Un peu comme dans l'amour du (de la) prochain(e)… (2) Ce Dieu dont je parle à mon tour
et qui pour moi n'est qu'une construction humaine, est d'abord,
bien évidemment, le Dieu
des religions monothéistes mais aussi cette abstraction
si évasive,
si individuelle, si vaste que, forcément, celui qui
le désire
peut le trouver – ou, plus exactement, le placer – n'importe
où et même partout. Il est même fréquent
de voir des frères ennemis opiner du bonnet de concert
en entendant le mot magique. Forcément, l'un et l'autre
parlent d'autre chose! Certains vont même jusqu'à l'écrire
différemment. J'ai lu récemment « D.ieu »,
chez un catholique désireux – je suppose – de
se distinguer des autres croyants, y compris de ceux qui écrivaient
déjà « "D." », pour la
même
raison. Et j'ai pensé à Prévert qui disait
que « La
théologie, c'est simple comme Dieu et Dieu font trois. »
Dieu au sens large donc. Mais lorsque, de
façon étriquée
cette fois, tel croyant avance qu'un athée est quelqu'un qui
nie l'existence de Dieu et que, ce faisant, il adhère à une
autre forme de croyance, ce n'est pas tout à fait vrai. André Comte-Sponville,
cet « athée fidèle » (sic) écrit
: « Si tu rencontres quelqu'un qui te dit "Je sais que
Dieu n'existe pas" : ce n'est pas un athée (…)
c'est un imbécile qui prend son incroyance pour un savoir
(…) Si tu rencontres quelqu'un qui te dit "Je sais que
Dieu existe" : c'est un imbécile qui a la foi. » (3)
Autrement dit, l'athéisme qui se présente comme détenteur
d'une vérité incontestable, peut être une croyance
aussi absurde que son homologue théiste. Se limiter à cette
compréhension de l'athéisme relève de la même étroitesse
d'esprit qui pousse certains court-penseurs à mettre tous
les christianismes (et surtout les protestantismes !) dans le même
sac, et de préférence celui de la tradition. Vous trouvez
que je défonce des portes ouvertes et que tout cela est obvie
? Et bien, ce ne l'est pas pour tout le monde. Pas plus tard que
l'été passé, un protestant libéral érudit
(mais ils le sont tous !) m'écrivait qu'il contestait la dénomination « athée
agnostique » précisant que – je cite – l'agnosticisme
(qui ne sait pas) quoiqu'il professe l'ignorance métaphysique,
n'est pas forcément dépourvu de quête spirituelle.
Faut-il comprendre que pour cette personne l'athée serait
un drôle d'animal dépourvu de spiritualité ?
Nier Dieu est, en réalité, chose impossible car il
faudrait commencer par savoir de quoi on parle. Comment pourrait-on
globalement nier Dieu ?
Et quel Dieu, d'abord, il y en a tant ! Si,
comme certains, bien connus de tous, le défendent, de Dieu
on ne peut rien dire sinon ce qu'il n'est pas,
de Dieu on ne sait
rien… d'où leur vient cette conviction que le concept
dont ils parlent pourtant abondamment est bien Dieu, en tant qu'Absolu
? La seule évidence – à mes yeux hypermétropes
et presbytes – est que tous parlent de leurs propres projections,
relatives, aléatoires, subjectives. Le problème survient
lorsque ces incertitudes sont imposées comme autant de vérités
auxquelles le reste du monde est prié d'agréer !
Affirmer Dieu est tout autant périlleux. La Révélation évoquée
par certains est une position qui, certes a eu ses heures de gloire
mais qui, apparemment, n'a pas encore fait son temps. Impossible à vérifier
donc impossible à réfuter mais, telle une obsession,
difficile à faire partager sans user d'influence, d'autorité,
voire de menaces. L'idéal, en somme,
du bon épanouissement
personnel, du moins dans la secte que j'ai quittée.
Plus dans l'air du temps, il y a l'approche
poétique de Dieu.
Le « poème », le troisième niveau de vérité de
Michel de Certeau, le dernier retranchement du croyant curieux et
gourmand qui, en dépit de la dure réalité qu'il
découvre derrière le conte de fées et la maison
en chocolat, veut garder ses précieuses croyances. La parade
est bonne. Qui donc, en effet, voudrait (et pourrait) prouver que
la Fée Clochette n'existe pas, ou les revenants, ou ce cher
Père Noël ? Alors, pourquoi faudrait-il le faire à propos
de Dieu ? Lui qui, me dit-on, donne un sens à la vie et à la
souffrance. Lui qui explique l'origine et
la fin… Mais qui
est plus mystérieux encore que les questions qu'il résout
: obscurum per obscurius… ou pourquoi faire simple quand on
peut faire compliqué ?
Certains – dois-je dire « croyants » ? – se
disent aujourd'hui athées mais chrétiens. Le christianisme
athée (ou faut-il dire l'athéisme chrétien ?)
encore appelé non réalisme ou christianisme
non réaliste (le mot n'est pas de moi, il est officiel et je le trouve très
représentatif), c'est encore autre chose que l'athéisme
fidèle. J'ai voulu en savoir plus, d'autant que certaines
personnes bien intentionnées s'escrimaient à me faire
entrer dans cette catégorie, sans doute plus honorable ou
plus élégante à leurs yeux que l'athéisme
encore si mal considéré. Après quelques recherches,
j'ai dû convenir que mis à part les rites et les cultes – pour
lesquels je n'ai aucune fidélité par manque d'intérêt
pour la chose – ainsi que l’attachement à la figure
du Christ en tant que maître spirituel, je n'ai pas de grosse
rébellion contre les idées avancées par les
chrétiens non réalistes. Ils placent simplement sous
le vocable « Dieu » ce que je désigne par toute
une série d’autres mots, qui n’ont rien de divin.
Cela ne simplifie pas la communication.
Accepter l'inexplicable, l'indécidable en tant que tels, ce
n'est pas – comme je l’ai déjà entendu – refuser
de réfléchir, d'apprendre, de progresser. Je dirais
: au contraire. Pourquoi prétendre, par exemple bateau, qu'un
dieu père, créateur (et variantes) est à l'origine
de toutes choses ? Pourquoi le croire et le colporter si ce n'est
pour se donner, tous ensemble, dans un grand mouvement de solidarité,
des certitudes réconfortantes, par commodité, par habitude,
par obéissance aussi, cette « vertu » prônée
par toutes les grandes religions ? Et pourquoi, tout simplement,
ne pas laisser la question en suspens ? Rien n'oblige personne à répondre
et, pour ce qui me concerne, le silence est préférable à une
explication chimérique. Ou, comme le disait le physicien Pierre-Simon
de Laplace s'adressant à Napoléon qui l'interrogeait
sur les principes de sa Mécanique Céleste : « Sire,
je n'ai pas eu besoin de cette hypothèse. »
Se passer de cette hypothèse, ce n'est pas non plus faire
preuve d'une prétention indécrottable. En tout cas,
pas plus que de se croire créé à l'image et à la
ressemblance de Dieu, surtout après tout le bien qu'on en
dit ! D'où je me trouve et à travers mes lunettes,
je ne vois pas beaucoup de modestie non plus à adorer un modèle
que l'on a soi-même façonné et élevé au
rang divin.
Reste l'expérience mystique. Je dois avouer que je ne sais
trop qu’en penser, partagée que je suis entre d'une
part les avancées des neurosciences, les progrès de
l'imagerie médicale, les développements des sciences
cognitives et, d'autre part, ce je-ne-sais-quoi, inapprochable et
insondable, qu’il soit l' « ultime réalité » évoquée
par Christian de Duve ou la « crampe de Dieu » dont parlait
en bavant un de mes professeurs de religion, il y a déjà bien
longtemps. Dans ce type d’expériences, qu’elles
soient induites artificiellement ou non – me précise
un internaute bien inspiré – on
ne peut pas parler de « rencontre » mais
plutôt de « sentiment de rencontre » avec le divin.
Ce qui m’amène à dire que si cette expérience
est effectivement celle d’un sentiment, elle ne peut,
en aucun
cas, servir de base à une quelconque démonstration.
Coda : « Si l’Eternel existe, en fin de compte, il voit
Qu’je m’conduis guèr’ plus mal que si j’avais
la foi ». (4)
Nadine de Vos, Bruxelles,
le 17 mars 2005
(1) Michel Onfray,
dans son Traité d'Athéologie sous
titré « Physique de la méthaphysique »,
un essai paru chez Bernard Grasset en 2005 et dédicacé à Raoul
Vaneigem.
Même si on ne le suit pas sur tous ses chemins, on ne peut
s'empêcher de « jubiler » – pour reprendre
un terme qui lui est cher – en lisant les ouvrages de Michel
Onfray. Si vous lisez son Traité, surtout, ne sautez pas la
préface…
(2) N'allez surtout par croire que
j'aie l'impudicité de m'exclure
de ce processus : j'y suis, comme tout
le monde, avec mes propres lunettes
!
(3) André Comte-Sponville, Présentations de la philosophie,
Albin Michel, 2000, dont l'incipit reprend les paroles de Diderot
: « Hâtons-nous de rendre la philosophie populaire ! » Même
si – une fois encore – je n'en suis pas une zélatrice,
j'aime préciser ceci à l'intention des détracteurs
de ce philosophe qui, lui aussi, a la simplicité de vouloir
se faire comprendre par d'autres que ses pairs ou par une prétendue élite
si souvent ennuyeuse.
(4) Georges Brassens, Le
Mécréant.
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