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Croire en l'homme ou croire en Dieu, quelle différence ?


Nadine De Vos

"Mais si vous ne croyez pas en Dieu – me dit-on – vous croyez quand même bien en l'homme ?"

La question est pertinente. À priori et à travers ma lorgnette, je dirais que croire en Dieu ou croire en l'homme, c'est du pareil au même : dans les deux cas, il s'agit d'une espérance, d'un idéal, d'une projection, d'un transfert.

Mais il est vrai que l'expression Croire en l'homme est assez "tendance". Cette locution quelque peu galvaudée, cette "foi" annoncée, n'est pourtant pas neuve : lancée au 18ème siècle, elle rebondit de façon récurrente dans les discours politiques, économiques, sociaux, religieux…
Du catéchumène jusqu'à l'énergumène, on croit aujourd'hui en l'homme même s'il a déçu et déçoit, même si on le sait dangereux et égoïste, souvent inculte et barbare, parce que l'on sait que ces prédicats ont leurs pendants positifs. Mais qu'est-ce que cela peut bien vouloir dire ?

Intriguée, j'ai posé la question aux uns et aux autres et, en vrac, j'ai appris que croire en l'homme revenait à croire en sa perfectibilité et, dans la foulée, à l'idée d'un progrès de l'humanité qui est, non seulement en marche, mais aussi à l'ordre du jour de bien des conversations. Plus précisément, Maurice Zundel ajoute qu'il croit que l'homme est capable de dépassement, de respect de l'autre, de don de soi, même au péril de sa vie… Ensuite, j'ai essayé de dénouer l'écheveau.

Que l'homme soit perfectible me paraît évident tant son imperfection est hurlante à tous points de vue : nul besoin d'établir ici la liste noire des limites, erreurs, horreurs humaines et des misères corollaires. Quant à la capacité de dépassement, de respect de l'autre, de don de soi, elle existe peut-être bien en germe chez tous les humains mais rien n'est moins sûr et la simple observation de l'histoire ne m'incite pas à avoir foi en l'homme : je réserve ma confiance à quelques uns, une minorité. De plus, ces qualités prétendues inhérentes à l'humain pourraient bien, selon le paysage, obéir à des intérêts opposés. Pour ne prendre qu'un exemple, il suffit d'examiner ce que signifie "don de soi" en Occident et en Orient…
Ou dans le christianisme et l'islam…
Les notions manquent de définitions universellement reconnues, on ne peut donc parler de l'homme en général.

Que l'humanité suive une route qui va la conduire à une destination – son apogée grâce au progrès ou sa perte à cause du progrès – ne me paraît pas crédible. Pas plus en tout cas que de croire que la finalité serait la félicité ou la damnation éternelle. L'histoire n'est pas prédictible. Elle est fabriquée au fur et à mesure des actions humaines et naturelles, et sujette à un certain nombre d'impondérables, tout comme l'évolution que l'on ne saurait résumer à la seule sélection naturelle.

Mais si le progrès existe bel et bien et, pour relatif qu'il soit, reste globalement performant, rien sinon une recherche de satisfaction – fictive – du désir de croire, ne justifie de lui donner un statut ultime et suprême. C'est à mon sens – éveillé par Hume – un mécanisme de projection : "… nous croyons découvrir des valeurs dans les faits et nous passons insensiblement de la description de ce qui est à l'énoncé d'un devoir être qui serait dans les choses. Nous croyons que nos énoncés sont vrais en vertus de propriétés profondes et intrinsèques du monde qui n'existent tout simplement pas." (1)

L'homme est capable du meilleur, affirmait Zundel, mais il est aussi capable du pire comme l'histoire et l'actualité nous le prouvent. Croyance contre réel. Il y a chez l'homme “une inclination spontanée au double, une préférence accordée à ce qui n'existe pas plutôt qu'à ce qui existe. C'est le chichi précieux ou métaphysique, prêt à tout pour éviter ce qui est” (2). Personnellement, je ne me sens pas prête à entretenir une espérance béate quant à l'avènement d'une hypothétique "surhumanité", fille du progrès pris au sens le plus large.

Coda : Ne pas croire en une vie future ou un au-delà ne dispense pas de se comporter avec dignité. Ne pas croire en l'homme, refuser de répondre à la question de savoir s'il a ou non une destination, n'interdit pas de souhaiter pour chacun plus d'humanité et de sagesse, et de travailler pour que demain soit plus chantant qu'aujourd'hui.

Nadine de Vos, Bruxelles le 3 avril 2005

(1) Article consacré à Simon Blackburn dans le Nouvel Observateur hors série de décembre 2004-janvier 2005, signé par Pascal Engel. L'extrait fait référence à David Hume.
(2) Extrait de la présentation par Philippe Sollers (Le Monde) du livre de Clément Rosset, Principes de sagesse et de folie, Les Editions de Minuit, 1991/2004. Les pages 70 – 72, par exemple, éclairent parfaitement ce commentaire. 



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