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L'antoinisme et le dorisme

Jacques Cecius

Sans doute toute spiritualité s'organise-t-elle en fonction du vécu personnel. Louis Antoine, lourdement confronté à l'épreuve, souhaite soulager celles qu'il croise sur sa route; Et c'est bien ce qui qu'il fait, avec une grande générosité. Sa doctrine découle de ses expériences. Conjurer la souffrance en dissociant la matière et l'esprit, c'est aussi, mutatis mutandis, la démarche de Platon pour supporter l'insoutenable désillusion de la condamnation à mort de Socrate. Et c'est bien sûr hautement discutable. Nous avons demandé à Jacques Cecius de nous présenter l'Antoinisme et, dans la foulée, le Dorisme. La Rédaction

Une religion née en Wallonie
Louis Antoine, fondateur d'une religion présente en Belgique, en France, au Brésil, En République démocratique du Congo et d'autres régions encore, est né non loin du bassin industriel liégeois, à Mons-Crotteux, en 1846. Il était catholique.

L'épreuve
Lors de la mobilisation en 1870, à l'occasion de la guerre franco-prussienne, il tua accidentellement un de ses camarades de troupe. Il se posa alors la question que tant d'autres se sont posée : pourquoi cette épreuve ? Épreuve pour le copain, épreuve pour les parents de celui-ci, épreuve pour lui-même. Démobilisé il s'en va travailler en Allemagne. Il se marie quelque temps après avec Catherine Collon. De cette union naîtra un fils, lui aussi prénommé Louis. Ensuite le ménage part pour la Pologne russe. Antoine travaille comme métallo, Catherine tient une cantine. Lorsqu'ils rentrent au pays, les Antoine sont en possession d'une somme assez rondelette. Ils font construire plusieurs "maisons ouvrières" qu'ils louent.

Antoine se convertit au spiritisme au sein de l'église catholique. Leur garçon, alors qu'il a vingt ans, fait une chute et meurt quelques mois plus tard. "Pourquoi cette épreuve ?" se demandent les deux époux. C'est la rupture avec le catholicisme. Ils finissent par retrouver courage dans la foi kardeciste - spiritisme latin codifié par Allan Kardec (pseudonyme de Léon Rivail). Antoine crée alors une société spirite officielle "Les Vignerons du Seigneur". Au sein de celle-ci il devient le médium-guérisseur. Il est condamné pour exercice illégal de la médecine. Il abandonne alors les prescriptions de tisanes mais continue à magnétiser les malades. En 1906, il annonce qu'il abandonne le spiritisme et qu'il va enseigner le "Nouveau Spiritualisme". Chaque dimanche, il donne ses enseignements dans une grande salle qu'il a fiat construire de ses deniers.

Les principaux points de sa doctrine (1)
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1. Dieu n'existe qu'en nous.
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2. La matière est une illusion.
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3. Notre véritable moi se développe au fur et à mesure des épreuves subies.
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4. Le mal n'existe pas : si je fais souffrir mon prochain, c'est qu'il s'est attiré cette épreuve en ayant fait, lui-même, souffrir un autre. Un peu de son "côté matériel" va s'éliminer au profit de son "côté spirituel". Et moi-même je m'attire une épreuve… et je progresse à mon tour. Par la destruction de notre "moi matériel" nous finissons par rompre la chaîne des renaissances.
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5. Nous devons agir suivant notre conscience.
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6. Il faut aimer ses ennemis car ils sont la cause des épreuves purificatrices.
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7. Toutes les croyances sont bonnes, l'athéisme aussi. Il nous faut d'ailleurs passer ces phases (de l'athéisme à l'antoinisme, via d'autres religions au cours des incarnations) pour arriver, un jour, naturellement, à la doctrine révélée du Père.
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8.Le prosélytisme est interdit.

Combien sont-ils ?
L'antoinisme est actuellement en déclin en Belgique. Il progresserait lentement en France, rapidement au Brésil et au Congo. Il n'est pas possible de déterminer exactement le nombre des adeptes. Selon les auteurs, on évalue le nombre des antoinismes entre 10.000 et 150.000. Cette dernière estimation me paraît nettement exagérée.

Le culte
En Belgique, le Culte a "réformé" la liturgie qu'avait la Mère Antoine. Elle est réduite à sa plus simple expression : le desservant du temple préside, les quatre premiers jours de la semaine à 10h, l'«Opération générale du Père», suivie d'une brève lecture tirée de son enseignement. Le soir a lieu une lecture suivie d'un court moment de recueillement pour les âmes souffrantes. Le dimanche, à 10h aussi, l'«Opération» est suivie d'une lecture plus longue.

En France et ailleurs les adeptes observent toujours la liturgie "primitive" : un(e) adepte revêtu de la "robe révélée" (soutanelle pour les hommes, habit ressemblant à celui des ursulines pour les femmes) annonce que le Père va opérer ; trois coups de sonnette; le desservant monte à la grande tribune et se recueille durant trois ou quatre minutes; un(e) autre adepte en robe se trouve à la petite tribune. L'«Opération» terminée, il/elle fait la lecture. Après quoi retentissent à nouveau trois coups de sonnette et les deux officiant(e)s se retirent. Les malades peuvent alors être reçus individuellement. En Belgique, la lecture a été supprimée après l'«Opération», laquelle n'a pas lieu le dimanche qui est réservé à la lecture seulement.

L'emblème est un arbre en métal dont les ramures aux branches symétriques portent la mention "Culte Antoiniste". Le tout est superposé à un écusson portant "l'Arbre de la Science de la Vue du Mal", cette vue qui occasionne le "piétinement spirituel" des hommes.

Aux dires de vieux liégeois, les guérisons obtenues à la "foi du Père" furent nombreuses.

L'Auréole de la conscience

Un seul remède peu guérir l'humanité : la foi.
C'est de la foi que naît l'amour;
l'amour qui nous montre, dans nos ennemis, Dieu lui-même
car c'est l'amour que nous avons pour nos ennemis
qui nous rend digne de Le servir.
C'est le seul amour qui nous fait vraiment aimer
parce qu'il est pur et de vérité.

Une dissidence de l’antoinisme :
le dorisme

Alors que son oncle, Louis Antoine, pratiquait toujours le spiritisme, un de ses meilleurs médiums, Pierre Dor, son neveu qu’il aimait particulièrement, et qui se sentait la vocation de guérisseur lui aussi, quitta le groupe spirite « Les Vignerons du Seigneur », que dirigeait celui qui, quelques années plus tard, allait créer une nouvelle religion, le Culte antoiniste. Ce ne fut pas une rupture, en ce sens que les relations restèrent bonnes entre l’oncle et le neveu. Plus tard le Père Antoine dira « Il suit son chemin ». Quant au Père Dor il assistera, en 1912, aux funérailles du prophète de Jemeppe-sur-Meuse.

Son chemin va le mener à accompagner un de ses « patients » en Russie. Tout comme le « Maître Philippe de Lyon », dont nous parlerons dans un autre article, il met en pratique ses « dons de guérisseur » et sa réputation croît. A telle enseigne qu’il doit quitter la région, celle d’Ekaterinoslav, pour une bourgade des rives de la mer d’Azov. Attaqué à nouveau il préfère rentrer au pays, et s’établit à Roux-Wilbeauroux, dans le région du Centre, où il fait construire une salle, « L’Ecole Morale » Ayant laissé pousser barbe et cheveux, et s’étant revêtu d’une robe noire, il va dispenser son enseignement spirituel et recevoir les malades.

Contrairement au Père Antoine, il ne se contente pas de prier pour ceux-ci, mais conseille un régime alimentaire strict, à base de légumes cuits à l’eau. Lui-même est d’ailleurs végétalien. Il lui arrive aussi de prescrire des cures d’eau sucrée et des lavements à l’eau salée. Il « opère », ce sont ses propres termes, chaque jour sauf le week end.

Le dimanche il apporte la bonne parole, la sienne, et il donne des
« instructions spéciales » une fois par an, le jour de la Toussaint, et jour de « pèlerinage » pour ses adeptes. Il publie un ouvrage, aujourd’hui introuvable « Le Christ parle à nouveau » dans lequel il ne se présente pas comme un juge, mais comme un consolateur, un sauveur.

Plus tard il émigrera, on ne sait pourquoi, à Uccle, Fort Jaco. C’est là qu’il s’éteindra peu après la dernière ( il est permis d’espérer !) guerre.

Cependant c’est sa doctrine qui nous intéresse.

Comme son oncle il affirme la nécessité de l’épreuve – mais aussi que ce sont nos imperfections qui nous ont placé sur terre, et non Dieu
– que c’est en soi-même qu’il faut chercher les enseignements utiles à la vie spirituelle
– que le spiritisme et toute forme d’occultisme sont choses mauvaises
– que les maladies sont produites par les excès en tous genres
– que la médecine ne traite que les effets de la maladie, mais ne guérit pas
– que c’est en soignant l’âme que lui, le Père, soigne le corps (ce qui peut être considéré comme un pieux mensonge, puisqu’il « prescrit » un régime alimentaire végétalien)
– que Jésus est le fruit de l’adultère, et que Marie était la plus passionnée d’entre les femmes
– que l’épouse doit être soumise à son mari (voir St Paul, épître aux Ephésiens)
– que les êtres les plus passionnés, les plus attachés à la terre, sont les plus vite réincarnés
– que la foi fait partie d’une sorte de fanatisme, que c’est la superstition même, qu’il s’agit d’un fluide matériel qui se marie avec l’âme maladive, peureuse, craintive, paresseuse. Elle est stérile pour ce qui concerne le bien-être réel et durable (ici il est en opposition avec son oncle qui affirmait « Un seul remède peut guérir l’humanité : la Foi »)
– que la notion de Dieu est chose mauvaise, qu’elle empoisonne l’existence de ceux qui y ont la vraie foi (en lui)
– que la vue du mal est la pire des choses (ce que le Père Antoine affirmait également)
–qu’en travaillant sur soi-même on fait du bien à ses proches
– que la bonté active est un défaut par lequel on rend de mauvais services aux gens qui fatalement abuseront de cette charité.

Lors de sa dernière « Instruction de la Toussaint », en 1936, il dira aux fidèles rassemblés « Tout mon travail consiste uniquement à rendre les âmes lucides et fortes. Lucides afin qu’elles voient clair en elles-mêmes, et soient fortes pour vaincre. Sans cela, je ferais fausse route comme tant d’autres qui se sont révélés « Prophète » ou « Sauveur du monde ».

Chose curieuse, le Père Dor bénissait des « mariages moraux », et il y en eut des dizaines, au cours desquels les fiancés promettaient de ne point avoir de relations sexuelles ! Dans plusieurs passages de ses instructions on se rend compte qu’il avait envers l’amour physique une grande méfiance, voire des préjugés obsessionnels.

N’ayant pas créé de structures, de clergé, n’ayant désigné aucun successeur, sa religion, qu’il refusait d’appeler ainsi, le dorisme, disparu avec lui… On n’en trouve plus trace, et le souvenir du Père Dor disparaît avec les plus âgés qui l’ont connu.

Sincère, plus que certainement, le Père Dor mettait néanmoins en danger les malades qui le consultaient, et dénigrant la médecine. D’autres feront de même : Lucien Engrand, fondateur, dans le Pas-de-Calais de la « Religion sans nom », aujourd’hui disparue, la sœur Gaillard, et tant d’autres sur lesquels, un jour peut-être, j’écrirai quelque chose…
Conclusion : la crédulité humaine est incommensurable et n’a pas fini de faire des ravages.

Jacques Cecius, Spa, le 12 avril 2003 complété le 2 juillet 2007

(1) Doctrine qui figure dans les deux livres saints de l'Antoinisme : Révélation par le Père et Développement de l'Enseignement du Père, en vente dans les temples antoinismes.  



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