retour petite gazette
 LibreSens
La nécessaire désacralisation


André Koeckelenbergh

N’y a-t-il donc rien qui mérite d’être considéré comme « sacré » ?
Ni dieux, ni maîtres ? Puisque « tout » doit se soumettre à une contestation, il est nécessairement susceptible d’être critiqué, donc révocable s’il échet. À quelle valeur se rapporter, faute d’absolu ?

Il y a certes des valeurs plus universelles que d’autres, moins soumises aux contingences locales, à l’histoire culturelle, au temps qui s’écoule. On comprend aisément qu’en un moment où la vision du monde était limitée à la tribu menacée par des voisins, forcément barbares, le réflexe d’autodéfense ait sacralisé les dieux, leurs prêtres, les chefs et leurs possessions. C’est de la psychologie intuitive, spontanée et élémentaire.

Aujourd’hui notre univers sensible a reculé ses limites bien au-delà de l’accessibilité directe, là où le télescope spatial nous fait entrevoir les plus lointaines galaxies. Où se cantonne désormais le domaine des dieux, sinon dans notre esprit, dans ce cerveau que les anciens voulaient siège de l'âme?

Là se maturent, consciemment ou non, les représentations des objets et des êtres, mythiques ou réels, que nous sacralisons à l’usage. Soit qu’ils s’imposent à nous tels certains despotes, soit qu’il nous plaise de leur accorder une valeur vraisemblablement surfaite.

Les voilà intouchables, les voilà sacrés telles les vaches hindoues. Ici ce sera le chat, là le loup, là le druide, le taureau ou l’Imperator qui se partagent ce privilège. Viennent au même rang le drapeau, la terre, le calice, la patrie et les tables de la loi. Idéalisé est le Graal, «chaudron» mystique qui s’approprie les qualités du divin et ne peut plus être vu ou touché sinon par des mains pures et consacrées.

La sacralisation est donc une forme d’appropriation. Elle s’attache à un bien spirituel ou matériel. Elle devient une inaliénable propriété de l’esprit. Proudhon résumait ainsi la situation : « la propriété, c’est le vol ». Le sacré en tous ses états est le fruit d’un larcin commis par quelques-uns au détriment du patrimoine de l’humanité. C’est le refus d’un partage afin de s’en approprier les vertus. Cela ne le rend pas moins vénérable, dans la symbolique qu’il représente, mais relativise considérablement l’usage que certains en font.

Le partage conditionnel est l’astuce suprême. C'est un chantage moral et sentimental à la restitution contre la soumission. Le soi disant sacré est souvent une arme utilisée par la société qui défend ses privilèges comme une valeur transcendante, pour autant qu’il s’en trouve. Chacun d’entre nous sacralise son système de valeurs. Hélas, on s’y attache comme Harpagon à sa cassette.

Or la vertu de solidarité n’a de dignité que si elle s’accompagne de l’acte de tolérance. C’est cela la gratuité du geste charitable. Ne pas imposer ses valeurs aux autres, mais leur montrer qu’ils peuvent librement en profiter s’ils le désirent. C’est connaître, accepter et comprendre, sans pour autant les partager, les valeurs chères à notre prochain. La tolérance est un processus d’humanisation par la désacralisation. C’est en cela que c’est une valeur typiquement laïque. Elle n’a de signification profonde que déconfessionnalisée et dépolitisée. C’est le seul moyen de partage de la vraie richesse spirituelle. Celle qui est réciproquement consentie et non bâtarde d’une collectivisation imposée, même par « consensus démocratique »!

Une valeur humaine n’est pas l’apanage d’une majorité, c’est la seule fortune personnelle dont nous disposions. Encore faut-il la reconnaître! Respect de l’individualité, respect des minorités dans l’échange actif des biens et non dans le silence méfiant de la langue de bois et le bâillon imbécile d’une neutralité de parade. Alors tout est sacré, donc rien n’est sacré. Que reste-t-il des paroles, des proverbes, des articles de la Loi, des souvenirs et des traditions sinon ce qu’ils apportent à tous quand ils sont généreusement offerts et reçus.

Savoir regarder le monde, y dénoncer les méprisables hypocrisies, y débusquer les égoïsmes des hommes et des nations mais aimer sans contrainte et sans retenue la caresse du Soleil et du vent, la pureté d’une eau cristalline, la chaleur du feu et la vie dans ses manifestations et ses oeuvres.

N’en refuser aucune, s’intéresser à toutes et s’apercevoir que les humains forment une grande unité neuronale solidaire et responsable. N’est-ce pas ressourcer les valeurs de l’humanité que de les appréhender toujours plus étendues ? N’en revient-on pas à une morale plus généreuse, à la nécessité d’informer les humains de leur extraordinaire puissance potentielle ?

Pour leur offrir cette force de lumière, en toutes les langues, indépendamment des cultes, sexes et ethnies, ne faut-il pas appliquer cette vieille injonction par laquelle les maîtres renvoient leurs disciples accomplis à la société: « Allez et enseignez! » ?
Telle est la « raison » d’espérer.

André Koeckelenbergh, "mécréant", astronome, janvier 1999  

Extrait de l'article La foi et la raison, paru dans le n° 99/1 de la revue pluraliste VIVRE



 LibreSens
 un monde nouveau ?
 chaque âme est singulière
 fm, athée et spiritualiste
 mon identité laïque
 libre pensée unique
 la revanche de "dieu"
 le fascisme chrétien
 une certaine athéologie
 Sartre, un libéral ?
 croire en l'homme ? ou…
 croire en Dieu ? ou…
 un couple tumultueux
 personnaliste franc-maçon
 religion, où es-tu ?
 la mort qui nous gouverne
 nécessaire désacralisation
 sous la coupole des cieux
 la foi d'un athée
 violentes, les religions ?
 deux visages du religieux
 un sens à la vie ?
 l'avenir des religions
 les religions au 21e siècle
 les unitariens au Burundi
 l'Opus Dei
 splendeur d'Épicure
 mourir d'amour
 le suicide
 le syncrétisme
 les évangéliques
 la valeur de l'exemple
 fanatisme petit-bourgeois
 et si l'on parlait vrai ?
 l'évangile de Marthe
 l'antoinisme
 le stévenisme
 le pentecôtisme
 le dualisme
 le temps de la catastase
 le devoir d'Israël
 pas n'importe quelle foi
 Dieu, l'imprévisible
 parabole de la banane
 la saison des masques
 face-de-Dieu
 une nouvelle arche


Profils de libertés

Nous apportons notre appui à toutes démarches visant à lutter contre
le totalitarisme,
le sectarisme,
la xénophobie,
le fondamentalisme et l'intégrisme
de toute obédience.

Un site engagé

De bric et de broc

« Résister, c'est rêver qu'un autre monde est possible. Et contribuer à le bâtir. »

           Ignacio Ramonet