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 Théologie
La fin du religieux ?

Jacques Chopineau

- La vie est centrale, les idées sont marginales
- Un grenier poussiéreux
- L'unicité de Dieu
- Et aujourd'hui ?

La vie est centrale ; les idées sont marginales.

Le christianisme est en crise. C’est une banalité de le rappeler. Après avoir régné pendant des siècles sur les esprits, la religion coutumière de notre occident s’étiole. Le nombre des prêtres diminue et leur moyenne d’âge augmente. Il reste que dans nulle autre contrée du monde, il n’y a -encore aujourd’hui- autant de prêtres par habitant. C’est là un reste des temps anciens.

D’autre part, cependant, le christianisme connaît un fort temps de croissance dans d’autres régions du monde.  Moins que l’Islam, certes, mais assez pour tempérer toutes les vues pessimistes -dit-on. Laissons les questions de nombre, ici et là. La religion coutumière n’est plus dans nos coutumes. Il importe de se demander pourquoi.

Une raison importante de cette désaffection est l’écart entre la vie concrète et la (les) doctrine(s) reçue(s). La vie est centrale ; les idées sont marginales. On peut vivre mal et penser bien -et vice-versa. L’histoire est remplie de tels quiproquos. Le « penser-juste » était jadis le propre du pouvoir, lequel définissait justement la bonne manière de penser. Il se trouve que -par le biais de ce qu’on nomme démocratie- le pouvoir a changé de mains. Faute de pouvoir imposer : il faut convaincre. De là, l’importance des formulations….

Sur plusieurs points, nos contemporains ne comprennent guère ce qu’un chrétien est censé croire. Sait-on, par exemple, qu’il existe plusieurs doctrines des sacrements (1). Calvin (présence réelle spirituelle) n’a pas la même approche que Luther (consubstantiation). L’un et l’autre, cependant, se démarquent de la position catholique romaine (transubstantiation). La doctrine orthodoxe est sans doute plus proche de la position catholique, bien que le filioque selon lequel l’Esprit procèderait du Père ET du Fils soit, pour un orthodoxe, une doctrine aberrante, laquelle a d’ailleurs été la cause, dans le christianisme médiéval, d’une fracture importante par laquelle Orient et Occident se sont séparés. Qu’en pensent les chrétiens actuels ? Gageons que ces doctrines leur sont étrangères, bien qu’elles aient été jadis jugées essentielles.

Et pourquoi la foi en Dieu devrait-elle entraîner une prise de position (philosophique) supra-naturaliste ? De bons esprits ont jadis pensé qu’un super-être -éventuellement, sous les traits d’un vieillard barbu, hors de la portée des télescopes- existait. Sur ce point, Karl Barth (pardon aux protestants) est à placer dans le même panier que Saint Thomas -mais ce qui pouvait paraître normal pour un néo-thomiste médiéval est plus étonnant pour un homme du vingt et unième siècle. Que Dieu soit « là-haut » était, sans doute, normal à une époque où la terre était située au centre du monde. Grâce à quoi le seul habitat de la race humaine était au centre d’un monde où l’homme pouvait apparaître comme le gérant de Dieu dans la création. Il y a quelque inconscience de la part d’un moderne à prendre au pied de la lettre de telles formulations et à les répéter tranquillement.

Quant aux prières faites pour obtenir un avantage, soyons clairs, elles n’ont aucune chance d’être entendues par un super être « céleste ». Aucun « Dieu-là-haut » ne surveille nos actions. Certes, la métaphore d’anges veilleurs est chargée de sens. Comme aussi cette prière qui est attention et non paroles. Mais les réalités sont intérieures. Pris à la lettre, les mots sont privés de sens pour nos contemporains.

Si Dieu règne dans les cieux, l’homme règne sur la terre. Pour le meilleur et pour le pire. Plus souvent pour le pire que pour le meilleur. Dans tous les cas, comme le rappelle un texte biblique : « Dieu est au ciel et toi, tu es sur la terre » (Qohelet 5,1). La terre est aux mains de l’homme. La question est : Qu’en fait-il ? 

Un grenier poussiéreux   

L’histoire de la théologie dogmatique est pleine de formulations d’un autre temps. Au fil des siècles, cependant, que de livres intelligents sont devenus inintelligibles ! Alors même que beaucoup seraient touchés pas le message de Jésus, tel que son enseignement est transmis par les Évangiles. Mais ce message essentiel doit passer par la porte étroite de formulations devenues incompréhensibles.

Bien sûr, le poids des habitudes -voire le conformisme- peut, dans certains milieux, entraîner un attachement quasi viscéral aux discours reçus et aux personnes dûment reconnues. Il y a cependant, ici et là, des communautés vivantes et sincères qui -même si elles ne drainent qu’une petite partie de la population- témoignent d’une foi réelle dans l’enseignement du Maître. Mais dans ce cas, l’édifice dogmatique est reçu tel quel et, le plus souvent, il n’est pas question d’exercer sur lui une réflexion critique. Les choses sont ce qu’elles sont -c’est à dire ce qu’on nous en dit- et tant pis pour ceux qui ne « croient » pas. À défaut de convaincre, on tente de contourner cette incroyance - « fille du siècle ».

Le problème est que les incroyants et indifférents sont aujourd’hui la grande majorité. Ajoutons que bien des croyants croient autre chose, autrement. Ce qui constitue une rupture visible de l’édifice ancien. Il serait temps de revenir aux sources communes de toutes ces « croyances », mais cela ne pourra pas avoir lieu sans une remise en question de formulations traditionnelles.  

De ce point de vue, le livre « Dieu ? » d’Albert Jacquard (2) a le mérite de poser clairement le problème.  On dira que Jacquard n’est pas un théologien, ce qui est vrai. Mais il est pratiquement dans la situation de la très grande majorité des chrétiens. Et les questions qu’il pose sont des questions que l’immense majorité des chrétiens se poseraient si on leur demandait leur avis. A mon sens, M. Jacquard -même s’il est aujourd’hui agnostique- est un chrétien. En bon scientifique ou, ce qui n’est pas contradictoire, en homme de bon sens, il relit pas à pas le fameux texte du Credo, par lequel les chrétiens ont coutume de dire leur foi. Chaque énoncé de ce texte vénérable pose une ou plusieurs question(s) au chrétien actuel. Ne serait-ce que pour comprendre les mots. L’auteur livre simplement son témoignage. Il se trouve que sa démarche pourrait être celle de beaucoup de nos contemporains.

Ce n’est pas le lieu de refaire ici ce livre. Il n’est, de loin, pas le premier. On assiste à une multiplication de livres sur le sujet. Il importe que ces voix soient entendues. Il est arrivé, dans le passé, que des questions fondamentales soient posées. Écartées, minorisées, voire violemment combattues, elles refont aujourd’hui surface.

Débats et combats ont marqué le christianisme primitif. En particulier sur le point de comprendre la relation Jésus et Dieu. Les positions les plus diverses se sont affrontées (Arianisme, docétisme, adoptianisme, patripassianisme …) jusqu’à ce que la « grande église »  -aidée en cela par un empereur soucieux de gouverner un empire où une seule  « orthodoxie » serait admise- impose, à tous les groupes chrétiens,  la « juste » manière de s’exprimer.

L'unicité de Dieu   

Pour autant, le débat n’a jamais été définitivement clos. Au temps de la Réforme protestante, Lelio Socin (1525-1562) reprenait et systématisait une approche qui avait des racines anciennes. Son neveu, Fausto Socin (1539-1604) développait cette pensée antitrinitaire que l’on retrouve dans une partie de l’actuel protestantisme libéral et -naturellement- dans l’unitarisme. 

Le grand mérite, à mes yeux, de l’unitarisme a été de mettre au premier plan, clairement, l’unicité de Dieu. Certes, pour un théologien, Trinité n’est pas tri-théisme. Les chrétiens sont monothéistes. Pourtant, les formulations reçues sont souvent mal comprises. Elles sont même choquantes d’un point de vue juif ou musulman. Mais monsieur tout-le-monde s’y perd aussi parfois, lorsqu’il s’en préoccupe -ce qui n’est pas courant. Il arrive même que des gens -par ailleurs très cultivés- se contentent d’à-peu-près journalistiques superficiels.

De fait, un non-théologien est condamné à répéter ou à délaisser des énoncés qu’il ne comprend pas. Reconnaissons que les doctrines sont aujourd’hui largement incompréhensibles. Il faut faire des études de théologie -et de philosophie ancienne- pour comprendre ces formulations.

Mais pour un moderne -un chrétien moderne- le Christ, avant d’être une « personne » de la Trinité est vivant. En termes anciens, cela signifiait un tombeau vide. Seuls les morts sont dans les tombeaux. Dire « Christ est vivant » et dire « le tombeau est vide » sont des énoncés équivalents. Un chrétien d’aujourd’hui peut comprendre ce symbolisme, lors même qu’il s’exprimerait autrement. Aucune formulation dogmatique ne doit contraindre la réflexion. Aucun ouvrage (ils sont nombreux !) ne peut décrire ce que Dieu est. Aucun magistère ne peut  s’attribuer le droit de dire seul le vrai. Là où la définition est imposée, l’Esprit ne peut plus souffler où il veut !

C’est une question centrale que celle d’un Dieu trine. Cependant, l’unitarisme marquerait aujourd’hui ses bornes s’il se limitait à la Trinité. Que dire alors des « deux natures », de l’ « immaculée conception », de la « naissance virginale », de l’immortalité de l’âme jointe à la résurrection de la chair (pourquoi ressusciter une « chair » transcendée par une « âme » qui serait naturellement immortelle ?) et bien d’autres questions qui doivent aujourd’hui être examinées et discutées à frais nouveaux, librement.

Même un « œcuménisme » qui tenterait de trouver un accord doctrinal minimum (par exemple, en reprenant les formulations des quatre premiers conciles dits « œcuméniques »…) serait un projet voué à l’échec. Evidemment, l’objectif est compréhensible : tenter de réunir tous les mouvements chrétiens éclatés derrière une seule bannière -surtout dans un monde où ils sont, ensemble, une minorité. Mais outre que cela n’arrivera jamais, il faut bien voir que cette unité a toujours existé, sans être ni dogmatique ni institutionnelle.  Les chrétiens se sont toujours reconnus en ce qu’il plaçaient au centre de leur vie l’enseignement de Jésus. Pratiquement, et non parce qu’un magistère enseignait ceci ou cela.

Et aujourd’hui ?   

Nous sommes à la croisée des chemins. Ou bien le christianisme trouvera en lui-même la force de revenir à ses sources et de s’exprimer de manière intelligible, ou bien il continuera de se déliter dans les lieux même où il a été régnant pendant des siècles. Cela est vrai pour tous les chrétiens de notre monde. La Réformation du seizième siècle a été une adaptation remarquable aux changements du monde d’alors. Mais dans la suite des temps, les protestants se sont souvent contentés de réaffirmer, sans rien changer, les vues de leurs ancêtres. La réformation aujourd’hui nécessaire n’est pas moindre que le grand ébranlement du seizième siècle. Une réforme est une révolution de la pensée et -comme telle- une remise sur ses pieds de la pensée sur la terre de la réalité –celle de tous les hommes.

Tradition n’est pas répétition. Reproduire un énoncé ancien n’est pas le comprendre. Etre à l’écoute de la source n’est pas identique à l’adoration de la canalisation par des conduites éprouvées jadis. Il arrive d’ailleurs que les conduites se détériorent et ne remplissent plus leur fonction. N’est-ce pas dans le désert que l’on connaît le mieux la saveur de l’eau ? Il nous faut réapprendre à marcher vers la source, sur un chemin semé d’embûches. Si le grain ne meurt…

Curieusement peut-être, ce sont aujourd’hui des catholiques romains qui parfois se montrent les plus novateurs. Dans la foulée du concile de Vatican II. Alors que des protestants (non tous, heureusement) sont tentés par un retour à des positions ultra-conservatrices, fondamentalistes, dites « évangéliques » et/ou « charismatiques ». On peut ainsi susciter des assemblées ferventes et sourdes aux bruits du monde. D’ailleurs, ce monde mauvais est destiné à disparaître. Les bons (c’est à dire nous) seront finalement vainqueurs…

Ceux qui, jadis, combattaient l’hérésie pensaient aussi que Dieu était avec eux. Mais les anathèmes ne sont plus aussi dangereux que par le passé. Tout au moins, là où des lois démocratiques sont régnantes -ce qui n’est pas partout le cas sur cette planète ! Le danger n’est pas imaginaire : Combien de crimes n’a-t-on pas commis au nom de Dieu ! Et combien d’autres crimes ne se préparerait-on pas à commettre en prétendant être les seuls détenteurs de la vérité.

On n’évitera pas un retour aux sources du christianisme. Avant Nicée-Constantinople, avant Chalcédoine… et bien avant Constantin et le césaro-papisme. L’important n’est pas qu’une position l’emporte sur les autres, mais que le débat puisse avoir lieu. Seul un Evangile en libre accès, sans référence à un magistère dogmatique pourra être écouté. Mais cela suppose une liberté de discussion et d’examen qu’aucun pouvoir ecclésiastique n’a jamais admis facilement. La diversité et la contradiction comportent des risques, certes. Mais sans ces risques, la religion coutumière est vouée à la répétition et à la sclérose. Une mort lente que rien ne pourra enrayer. De cela, les signes sont aujourd’hui évidents. Jusqu’à quand ?

L’erreur a sans doute été de confondre le religieux et le confessionnel. Le religieux est universellement humain ; le confessionnel est affaire privée. Un choix philosophique ou confessionnel ne peut être imposé, en aucune manière. Ce serait une erreur d’inscrire (débat actuel !) un tel choix dans le texte d’une constitution politique -à cause du poids du passé. D’ailleurs, Montaigne, Rabelais, Voltaire et tant d’autres, surtout depuis le dix-huitième siècle, font partie de notre passé. Nous sommes tous enfants des Lumières, même si notre relation avec ce passé s’inscrit différemment dans ce que nous sommes devenus.

Un christianisme institutionnel-dogmatique-confessionnel est en train de mourir, mais cela ne signifie pas la fin du religieux chrétien. Les paroles de Jésus continueront de nourrir la vie et les actes d’une bonne partie du genre humain, parfois malgré l’enseignement des magistères.

Jacques Chopineau, Genappe le 1er mai 2003

(1) à propos de la cène
(2) Dieu ? Bayard, Paris 2003
   



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