Jacques Chopineau
En ce siècle qui commence,
le temps est venu -pour la religion d'occident- de s'interroger
sur son devenir, dans un monde nouveau devenu étranger aux
dogmes et aux confessions anciennes. Non pas un monde étranger à toute
recherche religieuse, mais étranger à une religion
confessionnelle, dogmatique, autoritative, salvatrice, centralisée
sur une histoire occidentale et ses concepts spécifiques.
Les « vérités » anciennes
ne seront plus reconnues si elles sont transmises dans des habits
anciens.
Ceux qui pensent
défendre
telle tradition religieuse en maintenant, envers et contre tout,
le langage qui, autrefois, véhiculait ces « vérités »… Ceux-là se
trompent de combat. On ne défend pas un produit parce
qu'on défend son emballage. On ne défend pas le
corps en défendant son habit.
Et ceux qui se
réfèrent à un
conformisme « majoritaire » devraient se
souvenir que majorité n'est pas vérité (sauf,
bien entendu, pour
les vendeurs et quelques politiciens). La Bible est pleine d'exemples
où un seul a raison contre la majorité. Jésus
n'était-il pas seul, lors de son arrestation ?
D'autre part : Dégraisser
n'est pas amoindrir. C'est même le contraire qui est vrai.
Certes, dans un premier temps, on peut avoir l'impression qu'un
corps amaigri a perdu de sa substance. Mais si ce qui est « perdu » n'était
que de la graisse : le corps allégé continue
de vivre -et de vivre mieux. Telle est la situation d'un christianisme
ancien qui a, au fil des siècles, accumulé bien
des graisses inutiles, bien des discours incompréhensibles.
Un retour aux sources peut prendre un visage de révolution.
Un christianisme « dégraissé » est
le seul qui puisse faire entendre un message essentiel à nos
contemporains. Aucun magistère ne peut mettre
sur le même plan l'essentiel et l'accessoire.
Voici venir le
temps où l'essentiel
doit être « dégraissé » de
l'accessoire qui le grossissait.
De tels « dégraissages » ont
eu lieu dans le passé. Pour en rester à l'Occident,
les églises catholiques du début du 20ème siècle
sont pleines de statues et d'images pieuses. Une piété populaire
avait, disait-on, besoin de ces pagodes. Le style Saint-Sulpice
a été une figure de l'église. Vint le temps
où ce fatras superstitieux a été mis dehors.
Comme jadis au temps de la réforme cistercienne, ces églises
ont retrouvé un peu de la simplicité originelle.
Quelques uns ont alors crié à un changement de
nature. Ils se trompaient : l'Evangile était parfois
occulté par le poids des coutumes et par l'opacité des
discours.
Il reste un lourd
héritage
de formulations dogmatiques incompréhensibles. Tant que
ces formulations étaient latines, elles ne choquaient
pas un grand public ignorant du latin. Mais le passage (en soi
bien légitime) aux langues vulgaires a
fait ressortir l'étrangeté des formulations. De
fait -sauf pour quelques spécialistes- dire le credo en
latin choque moins que l'entendre en langue courante. Ce
qu'on ne comprend pas pèse parfois d'un poids plus lourd
que ce qui est compris.
Et d'ailleurs,
traduire les mots ne revient pas à les expliquer. Transsubstantiation ou
salut éternel, ne sont pas des termes plus clairs parce
que l'on est passé du latin au français. Quand à Trinité ou « deux
natures » : rares sont ceux pour qui ces mots évoquent
des réalités. Fidélité n'est pas
répétition.
Naturellement,
une opposition aux « vérités » officielles
pouvait jadis valoir le bûcher. Le christianisme régnant
avait d'ailleurs besoin de cette contrainte : pouvoir et « vérité » étaient
liés. C'est le cas de toutes les dictatures. Mais ce christianisme
ne pouvait maintenir ses prérogatives dans une société démocratique,
multiculturelle et multireligieuse. Un christianisme dégraissé,
-c'est-à-dire : libéré de ses pesanteurs-
peut faire partie d'un tel monde.
On voit qu'une
discussion sur les termes traditionnels de la doctrine n'est
pas un débat
stérile sur les mots. Les paroles résonnent là où elles
ont un sens (voir : parole
gelée…). Mais un
mot qui ne rebondit pas, s'écrase, rigide et froid. C'est
une parole de pouvoir.
L'Islam n'a guère connu
de phénomène semblable. Pas de magistère
sacro-saint. Peu de dogmes. Mais une pratique religieuse fondée
sur des principes clairs, des préceptes intelligibles.
Vérité, justice, modestie, respect de l'autre,
fraternité vécue…
Comme autrefois
pour le christianisme, la dimension communautaire et familiale
est ici fondamentale.
Surtout lorsque cette communauté se sent exclue par la
société dont elle fait partie.
Il faudra du temps
pour que l'on s'aperçoive enfin que des millions d'européens
sont de religion musulmane. Aucun monothéiste ne s'en
plaindra. Il se
pourrait même que -dans l'aventure-le christianisme soit
contraint de retrouver ses sources et sa simplicité originelle.
L'histoire le dira. Dans tous les cas, les concrétions
philosophico-théologiques qui encombrent notre mémoire sont vouées à s'effacer,
peu à peu. L'Evangile
est essentiel, non toujours les discours qui prétendent
le transmettre. C'est ce que le siècle présent
est invité à redécouvrir.
Jacques Chopineau, Genappe le
5 juin 2004
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