Cyril Dépraz Difficile d'être plus marginale ! Maria PAP
appartient à la minorité protestante des unitariens
dans une Roumanie orthodoxe. Elle est hongroise par sa mère.
Elle est femme et veut devenir la première pasteur de l'Église
unitarienne de Transylvanie (voir plus bas : l'unitarisme
transylvanien).
Rencontre dans le temple central de Cluj avec Maria
PAP, jeune étudiante en dernière année à
l'Institut théologique protestant. Le temple est glacial.
C'est vrai que nous sommes mardi et qu'il n'est chauffé que
le dimanche pour le culte, manque d'argent oblige. Il n'empêche…
Cette atmosphère renforce l'impression d'extrême dénuement
propre aux temple protestants de Transylvanie. Rien à voir
avec l'exubérance des églises orthodoxes situées
à quelques pâtés de maisons seulement. Ici,
pas de vitraux. Pas de peintures. Juste des murs blancs et la table
de la cène recouverte de broderies traditionnelles. Pas de
croix non plus.
Cette sobriété
se retrouve dans les cultes : la prédication, le Notre Père
récité deux fois, quelques cantiques, une prière
d'introduction, une bénédiction, et c'est tout. La
richesse des unitariens ne réside ni dans la contemplation,
ni dans la liturgie, ni même dans l'élaboration dogmatique.
Pas de trinité, mais un
seul Dieu. Jésus est un homme comme tous les autres,
dont nous pouvons suivre l'exemple.
Jésus
n'est pas Dieu
« L'important, c'est l'enseignement de Jésus.»
Le sourire chaleureux de Maria tranche avec l'austérité
du lieu. « Pour nous, la personnalité, la vie et la
crucifixion de Jésus ne sont pas essentielles. Ce qui compte,
c'est son enseignement et, en particulier, les deux commandements
qu'il nous a laissés : aime Dieu et aime ton prochain! Mais
pour nous, c'est clair qu'il n'y a rien de divin en Jésus. »
Jésus n'est
pas Dieu… mais un homme comme tous les autres. On imagine
le scandale que cette affirmation a pu représenter pour les
autres confessions chrétiennes de Transylvanie. D'où
la persécution quasi systématique des unitariens.
« Nous avons toujours été mis à part,
y compris au sein de la communauté protestante » relève
Maria, « c'est notre foi qui nous a aidé pendant ces
années difficiles. Aujourd'hui la situation a changé
et nous avons de bonnes relations avec les autres protestants (1).
Ce qui m'inquiète davantage, c'est que l'Unitarisme est devenu
une église traditionnelle. Les personnes naissent, se marient
et meurent dans cette religion, sans se poser des questions. J'aimerais
que les fidèles cherchent à savoir pourquoi ils sont
unitariens et que leur foi soir un choix personnel».
Avoir
confiance en l'avenir
Maria souhaite devenir pasteur.
Une vraie révolution
pour l'église de Transylvanie : « Les communistes avaient
imposé des quotas, deux personnes seulement recevaient chaque
le droit de devenir pasteur. Dans ces circonstances, les garçons
ont passé les premiers. Ajoutez à cela un attachement
profond aux traditions - surtout dans les campagnes – rien
n'est encore gagné pour moi.»
Cela n'empêche pas Maria de se préparer
à son métier de pasteur. Sa priorité : amener
à nouveau les personnes à réfléchir
leur foi. « La foi est importante. Sans elle, les gens ne
peuvent pas vivre et lutter. Il ne s'agit pas seulement de foi religieuse!
C'est la foi dans la vie, dans son métier, dans ses relations
humaines, la confiance en l'avenir aussi…».
L'avenir de Maria se joue
au sein de la communauté
unitarienne. Mais il se joue aussi dans son pays, la Roumanie ;
les défis politiques, économiques et sociaux sont
gigantesques. La question des nationalités est préoccupante.
Les Magyars (Hongrois) représentent 8% de la population en
Roumanie – la plus grande minorité ethnique d'Europe
! Le retour des nationalismes, qui se fait principalement ressentir
en Transylvanie, inquiète Maria : « Mon père
est roumain et ma mère hongroise. Impossible donc de choisir.
Je crois que nous pouvons vivre ensemble. Mon rôle comme
pasteur, c'est aussi de faire comprendre aux gens qu'il y a un
besoin d'amour
et non de haine.»
Cyril Dépraz, Vie Protestante,
Genève, 28
avril 1995
(1)
La Faculté
de Théologie Protestante de Cluj est actuellement commun:
aux luthériens auxs calvinistes et aux unitariens.
L'unitarisme transylvanien
Le mouvement unitarien
est né presque simultanément
en Pologne, en Transylvanie
et en Angleterre au milieu du 16e siècle dans
la foulée des réformes luthériennes et calviniennes.
C'est un évêque luthérien - le pasteur David
Ferencz (1520?-1579) - qui introduisit en 1566 la réforme
unitarienne à Cluj (anciennement Kolozsvar). À l'entrée
de l'église centrale se trouve d'ailleurs une pierre sur
laquelle, selon la tradition, David prêcha et convertit toute
la population de Cluj. Originalité de cette prédication
: il n'y a, selon la Bible, qu'un seul Dieu. Dieu est donc unique
et la doctrine de la trinité est contraire aux Écritures.
L'histoire de l'unitarisme se
confond avec celle d'une minorité persécutée. Une exception de taille
toutefois, en 1568 quand le roi Jean Sigismond (1540-1571), converti
à l'unitarisme, fit accepter - lors de la Diète de
Torda - un édit de liberté religieuse. Le premier
en Europe !
L'Église unitarienne de Transylvanie connut
une existence difficile jusqu'au moment où, vers la fin
du 18e siècle, elle retrouva une relative importance
et entra en relation avec des groupes unitariens en Angleterre
et
aux Etats-Unis.
Aujourd'hui, les unitariens seraient plus de 70 000
en Transylvanie, ils sont principalement hongrois.
C.D.
|