Bernard Reymond
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et je risque fort, de ce fait, de n'être plus considéré comme
membre de l'Eglise évangélique réformée
du canton de Vaud (EERV) si son synode, en novembre prochain, confirme
en deuxième lecture sa décision de préciser
dans ses Principes constitutifs qu'elle «reconnaît
comme membre toute personne qui confesse Dieu, Père, Fils
et Saint-Esprit.»
Mais je serai en bonne compagnie : celle
des apôtres et des
rédacteurs du Nouveau Testament qui ignoraient tout de cette
curieuse formule et celle de nombreux protestants qui ne l'ont
jamais utilisée ni ne sont prêts à y voir une
expression de leur propre foi.
On serait d'ailleurs bien en peine
de retrouver ce libellé-là soit
dans les écrits des réformateurs, soit dans la Confession
helvétique postérieure, soit dans les anciens catéchismes
et liturgies en usage dans le canton de Vaud, soit encore sous
la plume de théologiens aussi marquants et scrupuleux que
Jean-Frédéric
Ostervald ou Alexandre Vinet.
Quant au dogme trinitaire proprement
dit, dont la formulation remonte aux troisième et quatrième
siècles, je comprends
parfaitement les raisons pour lesquelles on a jugé nécessaire
de mettre sur pied d'égalité les trois «personnes» de
la Trinité (un terme que les Ecritures ignorent) et d'affirmer
avec Athanase, en termes plus explicites que ceux du Synode vaudois,
que «le Père est dieu, le Fils est dieu, le Saint-Esprit
est dieu, et pourtant ce ne sont pas trois dieux» : dans
le contexte philosophique et culturel de l'époque, c'était
une manière d'insister sur la réalité du salut.
Mais Luther lui-même, qui tenait pourtant à ce dogme,
avouait n'y rien comprendre, et dans des contextes différents,
d'autres manières de parler de Dieu et de rendre compte
de sa grâce sont tout aussi légitimes.
Aussi bien des
théologiens et des chrétiens protestants
de base ont-ils eu raison depuis plus de quatre siècles
d'exprimer leur foi sans jamais se référer à quelque
Trinité que
ce soit, ou même de contester le bien-fondé de ce
dogme. C'est encore le cas aujourd'hui.
Cela dit, j'entends n'interdire à personne
de souscrire à une
conception trinitaire de la Divinité et, même si cela
m'indispose, j'accepte sans rechigner, par respect pour
la piété d'autrui, que lors de certains cultes la
liturgie m'assène des formules ternaires de la même
farine que celle à laquelle le Synode vaudois a accordé la
majorité de
ses suffrages.
Mais qu'on ne m'oblige pas non plus à «confesser» cela
ou autre chose de semblable pour reconnaître en moi un membre
d'une Eglise protestante, habilité entre autres à participer à ses
opérations statutaires.
Si l'on veut porter une exigence,
qu'elle soit alors toute morale, et non formelle, et qu'elle s'inspire
directement du Christ Jésus
qui nous a enjoints de «rechercher premièrement le
Royaume de Dieu et sa justice». Voilà qui a une autre
tenue que la bizarerie liturgique et statutaire adoptée
provisoirement par le Synode de l'EERV !
Bernard Reymond, Le Protestant,
septembre 2004, p6
Avec son aimable autorisation |