Albert Gaillard
Regarder la mort en face devrait être simple, puisqu'il s'agit
d'un événement que son universalité a rendu
banal. Son caractère ineluctable nous est rappelé
sans cesse, à travers la disparition de parents, d' amis,
de voisins, de partenaires professionnels. Et I'on sait que personne
ne peut lui échapper.
Pourquoi la mort est-elle perçue comme une sorte d'échec,
voire comme l'« échec absolu » selon I'expression
qu'employait un personnaliste chrétien tel que Jean Lacroix
? Sinon par référence à un présupposé
d'ordre métaphysique qu'on pourrait formuler ainsi : une
existence, si riche soit-elle, n'épuise jamais toute la vocation
transcendante de I'homme; celle-ci est combattue par des éléments
adverses, même si de brèves échappées
ont déjà une saveur d'éternité. On met
ainsi l'accent sur la finitude qui caractérise l'être
destiné à la mort, en exaltant l'être destiné
à une autre vie: perspective qu'on voudrait consolante, mais
qui demeure à la fois énigmatique et redoutable comme
tout ce qui appartient à l'invisible.
Regarder la mort en face, c'est d'abord abandonner
cette curieuse façon de négocier les vicissitudes de la vie présente,
en fonction d'un hypothétique au-dela. C'est découvrir
ensuite quel sens peut prendre la condition humaine si l'on cesse
de la référer à un projet divin qui doit s'achever
dans un ailleurs.
Cette double démarche est déconcertante pour beaucoup,
à commencer par les croyants de toute obédience.
Albert Gaillard, pasteur ERF
Dieu à hauteur d'homme, L'Harmattan, Paris 1998, p.168
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