Jacques Chopineau
Le religieux peut être malade. Le dogmatisme
(je ne dis pas toute réflexion dogmatique) est une maladie
du religieux dans laquelle les réponses ont pris la place
des questions. On fabrique alors des questions taillées à
la mesure des réponses que l'on possède. Ce sont peut-être
des questions que personne ne pose plus, mais que devraient (dit-on)
se poser les croyants. Dans un cadre de dogmatisme triomphant, le
propre du croyant est de poser les bonnes questions, c'est à
dire celles pour lesquelles les théologiens ont une réponse.
Les anciennes réponses ont jadis fait leurs preuves, c'est
pourquoi elles peuvent paraître assurées. C'est oublier
qu'une nourriture qui a déjà servi ne peut justement
plus être assimilée.
Je me souviens que dans un bureau du service de radio-télévision
protestante à Paris, a figuré longtemps un dessin
humoristique où l'on voyait un défilé derrière
une pancarte qui proclamait: "Christ est la réponse"
! Cependant qu'un passant -sans doute un peu distrait- demandait
: "Quelle était la question ?".
En faisant de Jésus la réponse à
une question qui n'est pas posée, on fait du Maître
un objet inutile. A placer au grenier, comme une valeur de brocante.
Nos caves et nos greniers sont pleins, mais la maison est-elle habitable?
Les bibliothèques sont riches, mais le puits est sec et le
four à pain ne fonctionne plus guère. On pense honorer
la vrait en vénérant les objets qui autrefois la signifiaient.
Mais alors nous risquons d'être comme ces médecins
de Molière qui savaient bien parler des maladies, mais non
les guérir. Ou bien comme ces savants dont parle Montaigne,
qui optent volontiers pour un langage inaccessible au vulgaire "pour
ne découvrir la vanité de leur art".
L'homme ordinaire qui s'adresse à d'autres
hommes ordinaires est aujourd'hui prié de faire la preuve
qu'il sait de quoi il parle. C'est ce qu'on exige de tous les vendeurs,
quelque soit leur marchandise. Dis-moi qui tu es et je suis prêt
à croire ce que tu dis. Non le contraire.
Nous n'avons que faire d'une religion qui nous propose
des réponses sans entendre nos questions. Les vieux habits
doivent être changés à mesure que le corps prend
forme. Et voici qu'on voudrait revêtir un corps nouveau d'un
vieil habit taillé autrefois. Un habit bariolé dont
tous les siècles ont fourni une pièce de couleur et
de texture différentes. Un habit par endroits usé
jusqu'à la corde, mais surtout trop étroit pour le
corps qu'il prétend vêtir. De fait, l'habit chrétien
comporte quelques pièces étranges, ‑ souvenir
d'un temps où la mode avait d'autres exigences. Mais un corps
en mutation -dont la forme n'est pas entièrement connue-
ne peut être revêtu d'un habit
taillé aux époques anciennes.
Et comment reconnaît-on la forme que prend ce
corps-là ? C'est aux questions qu'il pose. Il les pose parce
qu'elles se posent lui;
non parce qu'il a appris qu'elles devaient être posées.
Jacques Chopineau
|