Bernard Reymond
"Pour confesser la foi de l’Église
universelle, nous dirons ensemble le Symbole des Apôtres.”
Jamais dans mon enfance ni au
catéchisme je
n’avais entendu parler de ce texte. Il n’apparaissait
jamais, si je m’en souviens bien, dans la liturgie de la paroisse
sur le territoire de laquelle nous habitions. Mais plus le temps
passe et plus je découvre combien ce texte tend à
redevenir habituel, d’une habitude quasi obligatoire, dans
de nombreuses paroisses réformées de France et de
Suisse romande. En général, les conseillers presbytéraux
n’y sont pour rien: leur avis n’a même pas été
sollicité. Les pasteurs imposent d’autorité
la lecture ou la récitation de ce texte au cours du culte,
voire de chaque culte.
Quand c’est le cas, je préfère
fermer mon recueil de cantiques et me taire, discrètement.
Devrais-je le faire plus ostensiblement,
par solidarité
avec celles et ceux qui partagent mes réticences?
- D’abord je ne vois pas la nécessité
d’inclure quelque confession de foi que ce soit dans un culte;
le fait de participer à un culte est déjà par
lui-même une manière de confesser sa foi, mais sans
prétendre la figer dans une formule trop brève pour
n’être pas contestable.
- Ensuite je proteste silencieusement contre l’obligation
qu’on me fait de souscrire implicitement à une confession
dans laquelle je ne me reconnais pas nécessairement (les
autres “confessions” qu’on substitue parfois au
Symbole dit des Apôtres sont souvent tout aussi sujettes à caution
que lui).
- Enfin le culte est par excellence un lieu où doit
prévaloir l’honnêteté : celle
de l’intelligence comme celle du coeur; je refuse de considérer
ce texte-là comme évangélique quand il l’est
si insuffisamment, et surtout comme “apostolique” et
“universel” alors qu’il ne l’est pas du
tout.
Évangélique, il ne l’est
que très peu. Il attire l’attention sur quelques
aspects secondaires et mythologisants de la foi chrétienne
(la vierge Marie, la descente aux enfers, l’universalité
de l’Église), mais passe sous silence les pages les
plus importantes du Nouveau Testament (l’amour du prochain,
le pardon, la réconciliation, le Royaume de Dieu et son attente,
tout ce qui a trait à l’enseignement et à l’action
de Jésus). Le Notre Père ou les Béatitudes
en disent beaucoup plus, et de manière plus marquante que
lui.
Apostolique, il ne l’est pas du tout.
Ce texte est apparu vers le quatrième siècle de notre
ère, vraisemblablement à Rome, en partie pour combattre
des “hérésies” dont les apôtres,
de leur vivant, n’auraient même pas eu l’idée.
Il n’aurait pas eu force de loi dans l’Église
occidentale si Charlemagne n’en avait imposé l’emploi
sur toutes les terres de son empire, par souci d’unité
politique autant que religieuse. Le libellé de ce texte reste
d’ailleurs étroitement tributaire de la mentalité,
des préoccupations et des circonstances qui ont présidé
à sa rédaction.
Universel, il ne l’est pas non plus.
Les Églises de tradition orientale ne l’utilisent jamais;
elles lui préfèrent le symbole de Nicée-Constantinople,
plus théologique, plus complexe et plus nuancé que
celui de Rome – mais dans un libellé qui le rend incompréhensible
pour la plupart des fidèles. Les formulations apparemment
plus simples du symbole occidental ne suffisent toutefois pas à
élargir son audience ni à garantir sa crédibilité.
Plusieurs Églises de la mouvance protestante en ont abandonné
l’usage, généralement dans le courant du XIXe
siècle, et ne semblent pas près de le reprendre. Dernier
démenti à sa prétendue universalité
: les nombreux chrétiens, fidèles de nos Églises,
qui sont plus ou moins sourdement conscients de tout ce qui le rend
contestable et qui ne peuvent y reconnaître une expression
adéquate de la foi à laquelle ils souscrivent. À
quoi s’ajoute le fait que la version figurant dans bien des
recueils de cantiques a parfois été modifiée
sans crier gare (elle parle par exemple de résurrection “des
morts” là où le texte original dit “de
la chair”).
À la fin du siècle dernier et au début
de notre siècle a eu lieu tout un débat, parfois très
dur, à propos de ce symbole pseudo-apostolique: les pasteurs
étaient-ils tenus de le prononcer en chaire? Quelques courageux
n’hésitèrent pas à s’y refuser
- avec raison : comment imposer dans une Église protestante,
qui est par définition une Église de libres
croyants, la lecture d’un texte peut-être vénérable,
mais aussi contestable dans sa forme et dans son contenu? C’était
une question de conscience. Les autorités de plusieurs Églises
protestantes de la francophonie eurent à l’époque
la sagesse de considérer que l’usage de ce texte, comme
celui d’autres confessions de foi, était à bien
plaire. Ce faisant, elles reconnaissaient son caractère somme
toute très secondaire et, se refusant à en interdire
l’emploi, évitaient de blesser la conscience des
pasteurs ou des chrétiens qui tenaient malgré
tout à le reprendre à leur compte.
À ma connaissance, aucun des synodes ou conseils
ecclésiastiques qui firent alors preuve de cette sagesse-là
n’est revenu sur cette décision de principe, qui était
la conséquence logique et nécessaire de l’abandon
du caractère obligatoire de toute confession de foi. Elle
n’interdit pas aux pasteurs qui le souhaitent, probablement
parce qu’ils sont mal informés de l’histoire
du symbole pseudo-apostolique et des problèmes qu’il
pose, de réintroduire parfois ce texte dans le déroulement
du culte. Ils satisfont ainsi les fidèles qui tiennent malgré
tout à lui et ont le droit de n’en être pas complètement
privés.
Mais de grâce, qu’ils
ne nous l’imposent pas avec la régularité qui
semble être devenue de mise dans certaines paroisses. Et si
nos autorités ecclésiastiques veulent respecter la
liberté doctrinale qui caractérise nos Églises
réformées actuelles, elles devraient aussi éviter
que ce texte-là, si peu apostolique et si mal universel,
ne réapparaisse lors de cultes engageant ces Églises
dans leur entier, par exemple lors de cultes à caractère
synodal.
Bernard Reymond
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