André
Gounelle
Le symbole dit des apôtres est doublement
mythologique. Il l'est, d'abord, par la présentation inexacte
que l'on en fait souvent, par la valeur indue qu'on lui accorde
assez généralement dans le christianisme. Il l'est
également par ses énoncés, par plusieurs
des affirmations qu'il contient. Voyons successivement ces deux
points.
- Un texte mythologique
- Le symbole
des Apôtres
- Uniformité et
pluralité
- Une mauvaise
présentation de la foi
- La légende
d'un texte d'union
- Des affirmations
mythologiques
- Mythe et
mythologie
- Mythe
et histoire
- Un étonnement
- L'Enfer
et le chair
- Conclusion UN TEXTE
MYTHOLOGIQUE
Le titre même donné
à ce texte, "symbole des apôtres", relève
de la mythologie, et entretient une erreur,
ou, en tout cas, une confusion en laissant entendre
qu'il aurait, comme les écrits néotestamentaires,
une origine apostolique.
- Le
symbole des apôtres
Une vieille légende prétend qu'il aurait
été composé par les douze apôtres, chacun
en formulant un des articles. Cette légende est évidemment
fausse puisque le symbole apparaît longtemps après
leur mort. Sa rédaction, par étapes successives, s'étale
entre le troisième et sixième siècle.
Quand on parle aujourd'hui
de "symbole des apôtres", on n'entend pas reprendre
cette vieille légende, dont on sait bien qu'elle est fausse,
mais affirmer que ce texte résume, condense, récapitule
en quelques phrases l'essentiel de la prédication des apôtres.
"Symbole" signifie ici "texte représentatif",
et "des apôtres" ne veut pas dire qu'ils en seraient
les auteurs, mais qu'on y trouve le sommaire de leur enseignement.
Cette affirmation relève tout autant de la mythologie que
la légende d'une rédaction par les douze apôtres.
-
Uniformité et pluralité
En effet, les enseignements
des apôtres, le Nouveau Testament le montre, sont divers, pluriels,
et, même s'ils comportent des éléments
communs, on ne peut pas les ramener à l'unité dans
un texte de synthèse. Entre Jean et Paul, entre Matthieu
et Marc, il y a des divergences irréductibles.
Ils n'ont pas la même manière de comprendre la vie
chrétienne, l'organisation de l'Eglise, la fin de temps,
etc. Leurs doctrines diffèrent, même s'ils partagent
tous la conviction fondamentale, celle qui définit la foi
chrétienne, à savoir que Dieu se manifeste et agit
de manière décisive en Jésus de Nazareth qui
apporte le salut et transmet la grâce divine au monde. Cette
pluralité, le Nouveau Testament a su la prendre en compte
et la respecter. Il n'a pas voulu unifier. Il n'a pas essayé
de réunir les quatre évangiles, par exemple, en un
seul récit, ou de regrouper dans un traité unique
ce que disent les épîtres. L'évangile s'exprime
dans plusieurs textes, et la foi chrétienne se confesse
non pas d'une seule voix, mais de manière diverse.
La plupart des Eglises chrétiennes
n'ont malheureusement pas suivi l'exemple du Nouveau Testament. Par
autoritarisme et dogmatisme, elles ont voulu imposer une formule
unique qui ne peut que mutiler et trahir la prédication
des apôtres. Sous l'influence des courants libéraux,
et non sans mal, l'Eglise Réformée de France a su
échapper à cette déviation. Dans sa Déclaration
de foi, elle mentionne le symbole des apôtres comme l'une
des "expressions successives" de la foi chrétienne.
La foi chrétienne se dit dans des formulations diverses et
relatives, dont aucune ne peut se prétendre complète,
définitive et normative. Chacune est un essai,
avec ses forces et ses faiblesses, pour exprimer dans un contexte
donné la prédication apostolique. Quand on veut imposer
une formulation unique de l'évangile et de la foi chrétienne,
on les trahit forcément et on présente une caricature
de l'enseignement des apôtres.
- Une
mauvaise présentation de la foi
À quoi, il faut ajouter que le symbole
dit des apôtres donne un très mauvais résumé de
l'enseignement du Nouveau Testament. Il en laisse de
côté des points essentiels : le salut par la grâce,
la vie nouvelle que Dieu fait naître en nous, l'annonce
du royaume de Dieu, la prédication de Jésus. Il
ne dit rien, non plus du baptême et de la Cène
(mais pour ma part, je ne le lui reprocherai pas, car les sacrements
me paraissent
secondaires pour la foi et dans la vie chrétiennes).
Certes, de nombreux commentateurs
ont estimé
que ces points sont sous-entendus. Selon eux, on peut et on doit
les déduire du symbole ; et ils y seraient présents
implicitement. A supposer qu'ils aient raison (ce qui n'est pas
évident), on peut remarquer qu'il est pour le moins étrange qu'un texte qu'on déclare représentatif
ne dise pas explicitement l'essentiel.
On a adressé un autre
reproche, plus fondamental, au symbole dit des apôtres. Il
réduit la foi chrétienne à une liste de croyances.
Croire, y signifie accepter un certain nombre de doctrines dont
il dresse la liste. Le credo (le "je crois") s'identifie
avec des credenda (des choses à croire). L'aspect
personnel de la foi, relation vivante avec Dieu, confiance et espérance,
engagement au service du Christ, lutte, force et joie existentielles,
y manque (il est sous-entendu, comme si c'était secondaire).
Ce n'est en tout cas pas le sens de la foi dans le Nouveau Testament.
Quand Jésus appelle Jaïrus à croire, quand il
admire la foi du centenier de Capernaüm, lorsqu'il dit à
la femme malade ou à l'aveugle de Jéricho : "ta
foi t'a sauvé", il ne se préoccupe pas des doctrines
qu'ils professent, il ne les interroge pas sur la création,
la naissance virginale, la résurrection, et sur tout ce qu'énumère
le symbole.
La foi ne consiste
en un "paquet de doctrines", pour reprendre
une expression du théologien Gehrard Ebeling, qu'il faudrait
accepter tout ficelé. Elle est vie avec Dieu, en fonction
de l'Évangile. Que cette vie s'exprime dans des croyances,
rien de plus normal. Par contre, l'assimiler à des croyances
constitue une méprise sur sa nature et fait passer à
côté de ce qu'il y a de plus profond et de plus authentique
dans l'évangile.
- La
légende d'un texte d'union
Dans les liturgies successives
de l'Eglise Réformée de France, la lecture du symbole
dit des apôtres est introduite par la phrase suivante : "Dans
la communion de l'Eglise universelle, confessons la foi chrétienne".
Cette phrase d'introduction est inexacte, on peut même dire
mensongère. D'abord, parce qu'en disant le symbole,
on ne confesse pas la foi chrétienne, mais une des formes
de la foi chrétienne, ce qui n'est pas la même chose.
Ensuite et surtout, parce qu'elle entretient une autre mythologie
: celle que le symbole serait un texte d'unité, commun à
tous les chrétiens, sur lequel ils s'accorderaient et se
retrouveraient au delà de leurs différences confessionnelles.
On l'entend souvent affirmer, avec une belle ignorance,
en particulier dans les rencontres œcuméniques. Je m'attriste
toujours que lorsqu'on désire un texte commun que l'on puisse
dire ensemble, d'une seule voix et d'un seul coeur, on le cherche
dans la tradition ecclésiastique et non dans la Bible. Il
y a dans le Nouveau Testament quantité de très beaux
passages qui permettent une communion autrement profonde, vivante
et dynamique que le symbole. Et on oublie allègrement les
contestations provoquées par ce texte, non seulement au cours
des premiers siècles, car il y a, à l'origine, des
dimensions polémiques, mais aussi plus récemment. Le
symbole dit des apôtres a été une
pomme de discorde entre orthodoxes et libéraux.
On ne peut pas dire qu'il fait l'unanimité. Il existe des
chrétiens qui ne s'y retrouvent pas et qui refusent de l'accepter.
DES
AFFIRMATIONS MYTHOLOGIQUES
Il est mythologique de prétendre
que le symbole dit des apôtres résume l'essentiel de
l'enseignement du Nouveau Testament, et d'y voir un texte de consensus
parmi les chrétiens, qui exprimeraient "la communion
de l'Eglise universelle". Le symbole a aussi un caractère
mythologique par certaines affirmations qu'il contient.
- Mythe
et mythologie
Il faut distinguer mythe et mythologie.
Le mythe entend exprimer, souvent sous forme
de récits, des vérités ou des réalités
qui ne relèvent pas du savoir ordinaire. Il nous
ouvre à des mystères qui à la fois nous touchent,
nous atteignent et nous dépassent. Ainsi, les récits
de la création, au début de la Genèse, sont
mythiques. Personne ne le conteste sérieusement. Cela n'enlève
rien à leur valeur. Il ne faut pas assimiler le mythique
avec la fabulation ou la tromperie. Il traduit des convictions existentielles
et des expériences spirituelles qu'on ne peut pas formuler
autrement, parce qu'il s'agit d'autre chose que de connaissances
proprement dites.
La mythologie constitue une déviation
et une perversion du mythe. Elle tente de faire du mystère,
exprimé par le mythe, un savoir. Elle le met sur le même
plan que les connaissances ordinaires. Elle le ramène à
des faits empiriques, au lieu d'y voir un langage pour transmettre
un sens qui se situe sur un plan différent. Ainsi, elle fait
des premiers chapitres de la création un rapport historique
qui décrirait ce qui s'est passé autrefois, de la
même manière que l'on pourrait raconter ce qu'on a
vécu durant la journée d'hier, ou qu'un historien
établirait la chronologie de la seconde guerre mondiale. Le
mythe préserve le mystère tout
en le dévoilant. La mythologie le supprime en
le mettant au même niveau que les autres connaissances
et expériences.
Alors que le mythe ouvre l'intelligence à ce qui le dépasse
sans pour cela la supprimer, la
mythologie conduit à des croyances aveugles et absurdes,
et exige de l'intelligence qu'elle s'y soumette. Deux tentations
menacent toujours la religion : la superstition et l'obscurantisme.
Le mythe, bien compris, permet de leur échapper; la mythologie,
au contraire, tombe dans ces deux erreurs et déviations.
- Mythe
et histoire
Prenons le second paragraphe
du symbole dit des apôtres,
celui qui concerne Jésus. Il comporte les affirmations suivantes
:
"Il a été conçu du Saint-Esprit,
il est né de la Vierge Marie, il a souffert sous Ponce Pilate
; il a été crucifié, il est mort, il
a été enseveli ; il est descendu aux enfers ; le troisième
jour il est ressuscité des morts, il est monté au
ciel ; il siège à la droite de Dieu, le Père
tout-puissant, il viendra de là pour juger les vivants et
les morts"
Cette énumération met sur le même
plan des affirmations de nature différente, sans
introduire aucune distinction entre elles. Les supplices
infligés à Jésus sous Ponce Pilate, sa crucifixion,
sa mort et son ensevelissement sont des faits empiriques, qui relèvent
d'un constat.
Il n'en va pas de même de la naissance virginale.
Les récits de Noël constituent un mythe qui entend délivrer
un message : à savoir que Jésus vient de Dieu, qu'il
est un nouveau Moïse, qu'il marque le début d'une nouvelle
création. Sur ce point on peut se référer à
l'étude déjà ancienne, mais toujours pertinente
d'André Malet, Les évangiles de l'enfance, mythe
ou réalité (Alethina). Pour ma part, je crois que ces
récits expriment des vérités profondes,qui
sont constitutives de ma foi ; je ne pense pas qu'ils racontent
des événements réels. Si les textes
de Noël font autorité pour ma foi, cela ne veut pas
dire que j'admette le fait physiologique de la naissance virginale.
La mettre sur le même plan que la mort de Jésus entretient
une confusion, et contribue à faire passer du mythe à la
mythologie. Ce qui est une expression de la foi devient objet de
foi.
La même remarque s'applique
à la fin du second paragraphe du Symbole. Il mentionne que
Jésus est monté au Ciel, s'est assis à la droite
de Dieu, et qu'il reviendra à la fin des temps pour juger
les vivants et les morts. Ce sont des expressions évidemment
imagées, liées à la culture d'une époque.
Même si on accepte dans la foi ce qu'elles veulent dire, on
ne voit pas pourquoi il faudrait absolument conserver des conceptions
désuètes, incompréhensibles et égarantes
pour la plupart. Il existe des manières certes mythiques
et symboliques mais non mythologiques et moins inadaptées
de dire l'espérance chrétienne. Elle n'est pas la
croyance en un scénario apocalyptique de fin du monde, mais
confiance en la vie divine triomphante de toutes les négativités,
y compris celles de la mort.
-
Un étonnement
Dans ce même paragraphe, je suis frappé
de ce qu'il n'est rien dit de la vie, de l'action et de la prédication
de Jésus. On parle de sa naissance, puis de sa
mort, et on ne dit pas un mot de ce qui se passe entre temps. Que
Jésus
ait parlé, qu'il se soit montré accueillant pour les
petits, compatissant pour ceux qui souffraient, qu'il ait soulagé
et guéri, qu'il ait polémiqué contre une religion
formaliste, qu'il ait à la fois enseigné et incarné
une certaine manière de vivre, en harmonie avec Dieu, il
n'en est pas le moins du monde question. Il est vrai que tout cela
prête précisément peu à mythologie, et
que certains aspects de son enseignement auraient pu embarrasser
l'Eglise des premiers siècles (comme d'ailleurs, celle d'aujourd'hui).
Sa personnalité se résume, dans le symbole, à
sa naissance et à sa mort, et donc à ce qui lui est
arrivé plus qu'à ce qu'il a fait et dit.
Il est vrai que certains commentateurs,
Karl Barth, par exemple, ont estimé que le "il a souffert"
recouvre l'ensemble de la vie et de l'activité de Jésus. Cette
explication ingénieuse ne me paraît pas
très convaincante. D'abord parce que Jésus
n'a pas passé toute sa vie sous le gouvernement du procurateur
Ponce Pilate dont la mention indique clairement que le "il
a souffert" se rapporte seulement à la passion. Ensuite,
parce que la vie de Jésus n'a pas été seulement
souffrante, mais qu'elle a connu aussi la joie et la sérénité.
Récapituler son existence par le "il a souffert"
la réduit, et me paraît presque blasphématoire.
Ce ne serait pas plus une vie en communion avec Dieu que ne le
serait, à l'inverse, une existence uniquement joyeuse et
sereine qui ignorerait les souffrances du monde...
- L'enfer
et la chair
Toujours au chapitre de la mythologie
contenue dans le symbole, je note deux indications qui en relèvent
typiquement.
- La première concerne la descente
aux enfers, dont on ne peut pas dire qu'elle tient un
rôle
important dans le message évangélique. Si ce thème
a été amplement développé à l'époque
patristique, et a donné lieu à quantité de
spéculations, par contre il n'est évoqué que
de manière rare et allusive dans quelques textes tardifs
du Nouveau Testament. Pourquoi mentionner quelque chose d'aussi
marginal et obscur dans ce prétendu résumé
de l'enseignement des apôtres ? Depuis la réforme,
on a pris l'habitude d'expliquer que par "descente aux enfers",
il faut entendre la souffrance extrême subie par Jésus
(ce serait donc une répétition du "il a souffert").
A supposer que cette interprétation soit exacte,
ce qui est discutable, au nom de quel traditionalisme garder cette
expression vieillie et incompréhensible?
- La seconde indication est celle de la "résurrection
de la chair". Le sens du mot "chair" varie
selon les époques et les auteurs. Dans l'Ancien Testament,
il désigne ce que nous appelons “la personne”.
Dans le Nouveau Testament, il signifie aussi parfois la personne
et il désigne parfois une manière de vivre contraire
à l'Esprit, selon le monde. Aujourd'hui, il évoque
le corps dans sa matérialité, ce que l'on pourrait
appeler la viande qui constitue un être vivant sur terre.
L'apôtre Paul écrit
dans la première épître aux Corinthiens (ch.
15, v. 50) que "la chair et le sang ne peuvent hériter
du Royaume de Dieu et que la corruption n'hérite pas de l'incorruptibilité".
Même si on estime que "chair" n'a pas le même
sens dans ce passage que dans le symbole, on s'étonne qu'une
affirmation aussi contraire à l'enseignement de Paul ait
été retenue. De plus, aujourd'hui, elle fait contre
sens en faisant penser au corps et non à la personne.
CONCLUSION
Peut-être qu'en lisant ce cahier, certains lecteurs
penseront : "voilà que les libéraux reprennent
leur vieille lune, et, tels un Don Quichotte impénitent,
s'en prennent à nouveau à des moulins à vent".
En un sens, il n'ont pas tort. C'est vrai que le symbole des apôtres
a symbolisé et concentré pour les libéraux
le combat contre l'orthodoxie dogmatique qui refusait de moderniser
l'expression du message chrétien, et qu'ils lui ont, du coup,
prêté une attention peut-être exagérée.
Par rapport à la situation d'il y a cinquante ans, on constate
un recul généralisé du symbole dit des apôtres.
On le dit de plus en plus rarement au cours de culte, et il sert
de moins en moins de support à la catéchèse.
Ne serait-il pas plus sage de le laisser doucement glisser dans
l'oubli, plutôt que de continuer à polémiquer,
et, du coup, à susciter des défenseurs ?
Pourtant il vaut mieux que les choses
se passent dans la clarté. De plus, ce symbole
reste souvent dans nos Eglises l'objet d'un attachement quasi superstitieux,
parce que non réfléchi. Dans bien des cas, en particulier
mais pas seulement en oecuménisme, il ressemble à
un drapeau que l'on brandit et dont on se réclame sans s'être
soucié de ses couleurs, ni des dessins ou inscriptions qu'il
comporte.
Il serait grand temps
de démythologiser le symbole et le prendre pour ce qu'il
est : un texte ancien, important pour l'historien et le
théologien, qui indique comment à certaines époques,
lointaines ou récentes, on a formulé l'enseignement
chrétien, mais en tout cas pas une confession de
foi pour aujourd'hui et pour demain.
André Gounelle
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