André
Gounelle
• Que
faut-il entendre par "confession de foi"?
• Le problème
• Une autorité
subordonnée
• La contextualité
des confessions de foi
Que faut-il
entendre par "confession de foi" ?
Dans le vocabulaire du protestantisme,
l'expression "confession de foi" s'applique à deux catégories
de textes.
- 1. D'abord, à des textes
liturgiques, qui servent pour le culte,
que l'on dit pendant sa célébration. Ils ont pour
but principal d'exprimer la foi de l'assemblée. Elle vient
d'entendre l'annonce de l'évangile et elle répond
à la parole de Dieu en confessant sa foi par des paroles
de louanges et consécration. La confession ici s'adresse,
comme la prière, à Dieu. Elle n'est pas et
n'a pas besoin d'être un résumé complet,
exact, précis des doctrines. Elle peut consister en un chant,
en un texte poétique, en un simple cri (comme le "Maître"
de Marie-Madeleine devant le Ressuscité), ou même dans
certaines occasions en un geste : le fait de lever la main dans
une réunion de Réveil, ou de s'avancer vers la table
de la Cène. Elle a pour fonction d'exprimer
l'élan du fidèle qui répond positivement à la
parole de Dieu et non pas de donner une formulation intellectuelle
de ce que l'on croit.
- 2. La seconde catégorie
comprend des textes ecclésiastiques et théologiques qui
ont pour but essentiel de définir les croyances fondamentales
d'une Eglise, de formuler ses principes, d'indiquer le manière
dont elle comprend ou interprète le message évangélique.
Ces textes entendent préciser ce qu'enseigne et prêche
une Eglise aussi bien à ses membres qu'à ceux qui
n'en font pas partie. Ils indiquent l'indentité théologique,
spirituelle d'une Eglise. Ils s'adressent donc à des êtres
humains, et non, comme les premiers, à Dieu. Ils ne sont
pas faits pour être lus au cours d'un culte.
Entre les deux catégories,
il n'existe pas de frontière tranchée. Beaucoup de
confessions de foi sont des mixtes, par exemple la confession de
foi de l'Eglise unie du Canada adoptée en 1968 et révisée
en 1980 (ce texte commence par "nous ne sommes pas seuls, nous
vivons dans le monde de Dieu"). La déclaration de foi
de l'Eglise réformée de France n'est pas un mixte
; elle appartient à la seconde catégorie, et n'a normalement
pas sa place dans la liturgie ordinaire d'un culte. On ne la lit
que dans des occasions spéciales : culte de reconnaissance
de ministère pastoral, cultes d'installation de conseils
d'Eglises, presbytéral, régional ou national. On la
lit également au début de chaque synode, pour rappeler
aux délégués les principes qui doivent orienter
la vie et les déclarations de l'Eglise.
Le problème
Je laisse de côté les confessions de
foi liturgiques pour m'interroger sur le statut et l'autorité
des confessions de foi ecclésiastiques, c'est à dire
celles de la seconde catégorie.
Pour les protestants, elles
posent un problème
difficile qui a conduit certaines Eglises (par exemple celles de
Suisse Romande) à les éliminer. En effet, les protestants
soulignent que seule l'Ecriture a autorité en matière
de foi. Au seizième siècle, contre les catholiques,
ils ne cessent de d'opposer l'autorité à la Bible
à celle des textes ecclésiastiques ; ils critiquent
les enseignements, les doctrines et les pratiques de l'Eglise au
nom de l'Ecriture. L'adjectif sola dans l'expression sola scriptura
entend nier tout caractère absolu et normatif aux textes
ecclésiastiques.
D'où le problème. En adoptant des confessions
de foi, comme textes de références, auxquels on demande
adhésion, les Réformés ne réintrosuisent-ils
pas une interprétation obligatoire ?
N'interposent-ils pas, eux aussi,
une tradition entre la Bible et les fidèles ? Ne restituent-ils pas à
leurs instances ecclésiastiques le rôle qu'ils ont
refusé à celles du catholicisme ?
Ce problème surgit très tôt, dans
les années 1537-1545, au cours d'une dispute qui oppose Calvin
à Caroli. Caroli, un curieux personnage, assez changeant
et versatile, occupe, en 1537, un poste de pasteur à Lausanne.
Il accuse Farel et Calvin de ne pas beaucoup tenir au dogme de la
Trinité, les soupçonne d'être enclins à
l'abandonner et à le rejeter. Il les somme de signer les
symboles d'Athanase et de Nicée-Constantinople, qui au quatrième
et au cinquième siècle de notre ère ont défini
et formulé ce dogme. Calvin s'y refuse. Non pas qu'il se
sente en désaccord avec ces symboles, encore qu'il se montre
sévère pour celui de Nicée-Constantinople.
Il parle de bavardages inutiles, de charabia, et écrit que
ce symbole est "un poème fait pour être chanté
plus qu'une formule de confession" (autrement dit qu'il peut
avoir un usage liturgique, relever de la première catégorie
de confession de foi, mais pas de la seconde, car il manque de précision
et d'exactitude théologiques). Bien que d'accord sur le fond
(mais réservé sur la forme), Calvin n'accepte pas
qu'on exige qu'il donne à un texte ecclésiastique
l'assentiment que seule l'Ecriture a le droit de réclamer. Il ne faut pas, écrit-il, "introduire
dans l'Eglise cet exemple de tyrannie : que soit tenu pour hérétique
quiconque n'aurait pas répété les formules
établies par un autre". Dans la demande
de Caroli, Calvin voit donc une atteinte à l'autorité
de la seule Ecriture et à la liberté chrétienne.
Il ne veut pas se lier aux textes de la tradition, même quand
ils exposent des dogmes qui lui paraissent justes.
Une attitude analogue à celle de Calvin se
rencontre beaucoup plus tard chez plusieurs protestants libéraux
au dix-neuvième siècle. Aux orthodoxes qui les pressent
de souscrire à une confession de foi, ils rétorquent
que seule fait autorité pour eux l'Ecriture. Ils rejettent
catégoriquement l'impérialisme d'une église
qui imposerait la signature d'un formulaire et qui, se faisant,
prétendrait, à l'instar du catholicisme, régenter
les consciences et la foi. Au synode de 1872, plusieurs libéraux
se déclarent d'accord avec le contenu d'une confession de
foi rédigée par Charles Bois, mais ils ne la votent
cependant pas parce qu'ils rejettent le principe d'un texte que
l'Eglise imposerait aux fidèles. Ils ne veulent pas reconnaître
d'autre autorité que celle de la Bible.
Le protestantisme a résolu
ce problème en donnant à ses confessions de foi une
autorité subordonnée et une valeur contextuelle.
Une
autorité subordonnée
Que les confessions de foi aient
une valeur subordonnée
pour le protestantisme, trois citations le montrent.
D'abord, la confession de foi
des Eglises Réformées
de France au seizième siècle, celle de La Rochelle,
affirme que les livres bibliques constituent la seule autorité
en matière de foi et ajoute : "Ni l'antiquité,
ni les coutumes, ni la multitude, ni la sagesse, ni les jugements,
ni les arrêts, ni les édits, ni les décrets,
ni les conciles, ni les visions, ni les miracles ne doivent être
opposés à l'Ecriture Sainte. Au contraire toutes choses
doivent être examinées, réglées et réformées
selon elle. Et suivant cela, nous reconnaissons les trois Symboles,
à savoir des Apôtres, de Nicée, et d'Athanase,
parce qu'ils sont conformes à la parole de Dieu".
Les trois symboles ne sont donc pas absolus. Ils
font partie de ces choses qui doivent être examinées,
réglées et réformées d'après
l'Ecriture. On peut les discuter, et ce n'est
que dans la mesure où ils apparaissent conformes à l'enseignement
biblique qu'on les admet.
La confession écossaise de 1560 applique le
même principe aux textes adoptés par la Réforme
:
"Quiconque découvrira dans notre confession
un article quelconque ou une proposition qui contredirait à
la Sainte Parole de Dieu, qu'il veuille bien s'employer très
aimablement et pour l'amour de la charité chrétienne
à nous les signaler par écrit. Nous lui promettons,
sur l'honneur et fidélité soit réfutation par
la bouche même de Dieu, c'est à dire par sa parole,
soit correction de ce dont il nous aura prouvé la fausseté" (1)
Enfin, en 1580, la formule de
Concorde adoptée
par les luthériens déclare
"Nous maintenons rigoureusement la différence
qui sépare les écrits sacrés de l'Ancien et
du Nouveau Testament d'avec tous les autres écrits. La Sainte
Ecriture reste la seule règle et la seule norme ; elle a
seule l'autorité de juger ; elle est comme la pierre de touche
à laquelle il faut éprouver toutes les doctrines pour
reconnaître si elles sont bonnes ou mauvaises, vraies et
fausses.
Quant aux symboles et aux écrits dont nous
avons fait mention, ils n'ont point comme l'Ecriture Sainte, l'autorité
de juger ; ils ne sont que des témoignages et des déclarations
de foi ; ils montrent comment, aux différentes époques,
l'Ecriture Sainte a été comprise et interprétée...
et comment les doctrines contraires à l'Ecriture ont été
rejetées et condamnées" (2)
Les confessions de foi protestantes
sont subordonnées,
amendables et révisables ; elles sont soumises à un
principe supérieur. Il ne faut pas en faire des lois fondamentales
et intangibles qui commanderaient tout. L'Ecriture juge, les confessions
de foi témoignent ; elles ont une fonction plus indicative
qu'impérative ; elles expriment mais ne définissent
pas le contenu de la foi.
Ces déclarations font contraste avec ce que
proclame le Concile de Trente dans sa quatrième session
(avril 1546) :
"Le Concile... reçoit et vénère avec
le même sentiment de piété et même respect
tous les livres, tant de l'Ancien que du Nouveau Testament... ainsi
que les traditions conservées dans l'Eglise qu'elle considère
comme venant de la bouche même du Christ ou dictées
par le Saint Esprit. Il décide que personne ne doit, en se
fiant à son jugement, oser détourner l'Ecriture Sainte
vers son sens personnel, contrairement au sens qu'a tenu et que
tient encore notre mère, la Sainte Eglise, à qui il
appartient de juger du sens et l'interprétation véritable
des Saintes Ecritures, ni non plus interpréter cette Sainte
Ecriture contre le consentement unanime des Pères".
(3)
Ici, les traditions, par exemple
les textes adoptés par les conciles, se situent sur le même
plan que les écrits bibliques et ont une valeur identique
: ils viennent aussi directement du Christ ou de l'Esprit. De plus,
il appartient à l'Eglise de décider du sens véritable
des Ecritures. L'Eglise dit comment on doit comprendre l'Ecriture,
et personne n'a le droit de discuter sa prédication et son
enseignement. Dans le catholicisme classique, les confessions de
foi ont une autorité suprême et absolue ; dans
le protestantisme, elles ont une autorité subordonnée
et relative.
La contextualité des
confessions de foi
Il faut ajouter que pour les
protestants les confessions de foi sont contextuelles, c'est à dire liées
aux circonstances.
Dès le seizième siècle, les confessions
de foi réformées abondent: celle de Bâle-Mulhouse,
la première Confession helvétique, le Confession de
La Rochelle, la Confession helvétique postérieure,
la Confession hongroise, la Confession écossaise, celle des
Pays-Bas, etc., sans compter les catéchismes, celui de Genève
et celui d'Heidelberg. La production continue ensuite et se prolonge
jusqu'à nos jours où presque chaque Eglise réformée
a sa confession de foi particulière. Un recueil publié
par le Conseil Œcuménique des Eglises en compte une
trentaine à travers le monde pour la période qui va
de 1941 à 1981.
Pourquoi cette multiplicité ? Elle vient de
ce que les réformés ne revendiquent pas pour leurs
confessions de foi une sorte d'intemporalité qui les rendrait
indépendantes des circonstances.
Les confessions de foi cherchent à exprimer
la vérité évangélique dans les langages
d'un lieu et d'une époque, en fonction des problèmes
qui s'y posent. Qu'on désigne beaucoup d'entre elles par
des noms de pays et une date apparaît significatif. Leur sens
et leur portée tiennent à leur milieu, et à
leur entourage. Des circonstances différentes demandent une
autre déclaration, même si elle a fondamentalement
le même contenu.
Karl Barth a fortement souligné ce point, au
moment où sa lutte contre les nazis, et contre les chrétiens
favorables à Hitler, le conduit à faire voter par
un synode une Déclaration de foi, celle dite de Barmen. Dans
l'Allemagne de 1934, il ne sert à rien, dit-il, de répéter
et de réaffirmer les confessions de la Réforme. Il
faut rédiger et adopter un nouveau texte, qui sur le fond
ne dira pas autre chose que ceux d'autrefois, mais qui l'exprimera
différemment, en claire opposition à Hitler et au
nazisme. "Une nouvelle confession de foi, affirme Barth, est
nécessaire non pour innover, mais pour préciser tout
à nouveau la portée de l'ancienne".
Il apparaît non seulement
normal, mais nécessaire que les confessions de foi se succèdent
et prolifèrent. La vérité dite d'une certaine
manière en un temps et en un lieu donnés doit s'énoncer
autrement quand on change d'époque et d'endroit ; elle restera
pertinente et interpellante à cette condition. Onne confesse
pas sa foi en répétant les mêmes phrases, mais
en inventant les formules inédites selon les conjonctures
qui se présentent. Des situations différentes appellent
d'autres formulations. Ce travail doit sans cesse se refaire. Dans
cette perspective, les réformés voient dans leurs
différentes confessions de foi des témoins qui jalonnent
une route et dessinent une orientation. La fidélité
consiste à poursuivre dans la même direction en posant
de nouveaux jalons. Ainsi la déclaration de foi de l'Eglise
Réformée de France, en 1938, "affirme la perpétuité
de la foi chrétienne à travers ses expressions successives
dans le Symbole des Apôtres, les Symboles oecuméniques
et les confessions de foi de la Réforme, notamment la Confession
de la Rochelle".
André Gounelle
(1) K. Barth, Connaître Dieu et le servir,
p.8. Indication analogue chez Théodore de Bèze dans
la préface de "la confession de foi du chrétien",
Revue réformée, n°23, 1955, p.13.
(2) La foi des Eglises luthériennes, p.422.
(3) G. Dumeige, La foi catholique, p.81-82.
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