Pierre-Yves Ruff
Il m’arrive de me demander si le vieillissement
de mes neurones ne subit une accélération rare, dont
je peux dire qu’elle est, pour reprendre la formule liturgique
en vigueur, entièrement indépendante de ma volonté.
Foncièrement, je le confesse ici, je ne comprends
rien au texte du Symbole des apôtres. Je ne vois pas ce qu’il
peut dire d’important. Je n’entrevois pas même
ce qu’il pourrait avoir de significatif pour l’expression
de la foi chrétienne. Pire, je ne ne parviens pas à
y trouver le moindre élément symbolique ; et je demeure,
malgré tous mes efforts, incapable d’imaginer de quels
apôtres il a pu être le symbole.
Cela dit, je le confesse également, je n’aurais
pas risqué le bûcher pour une “ chose “
aussi secondaire. Je l’aurais publiquement prononcée,
avec la ferveur que je revendique, lorsque dans l’assistance
je me dois de chanter quelque cantique sanguinolent et larmoyant
du “ Louange et Prière “. Je pourrais même,
le cas échéant, le prononcer avec la conviction de
faire plaisir à tel ou tel, de la même façon
que je peux dire le Notre Père, moi qui pourtant ne crois
pas que Dieu se trouve au ciel, qui ne crois pas que je sais pardonner
à ceux qui m’ont offensé, qui ne crois pas que
Dieu puisse nous soumettre à la tentation… Ce serait
cependant une prouesse plus grande : dire le Notre Père n’est
pas exprimer comment je perçois Dieu ; c’est plutôt
lui parler. Tandis que dire le Symbole des apôtres vise à
définir la foi. Or, le Dieu dont il y est question ne ressemble
en rien à celui que j’ai croisé sur ma route.
Il ne s’approche pas non plus de celui que je découvre
en lisant l’évangile.
Malgré tout, je l’affirme, je pourrais
déclamer le Symbole des apôtres, si cela faisait plaisir
à tel ou tel, ou encore sous la contrainte, comme tant de
générations l’ont fait, car je sais que le Dieu
auquel je m’adresse pardonne l’imperfection de ce que
nous disons de lui.
Mais tout, dans ce Symbole dit
des apôtres,
reste pour moi profondément problématique. Tout d’abord,
de quels apôtres s’agit-il? Des Douze, même si
parmi eux d’aucuns ne furent guère recommandables ?
Mais alors, que ne l’ont-ils signé eux-mêmes
? Cela nous aurait tant simplifié la tâche… Nous
n’aurions pas à nous demander si cette expression de
la foi leur est fidèle, peu ou prou, ou si elle est un cinglant
démenti apporté à leur témoignage. Nous
n’aurions pas à nous interroger sur ce que peut penser
le Christ lui-même, en entendant les foules - raréfiées
il est vrai - marmonner en son nom des choses aussi étranges.
Car telle est bien la question que je me pose : en quoi réciter
de telles formules correspond-il au désir du Christ lui-même
?
Plus simplement, qu’en auraient dit ses disciples
? Et combien eussent-ils été à le signer, si
d’aventure le texte leur eût été soumis?
C’est à mes yeux une évidence : aucun des évangélistes
n’a développé une telle compréhension
de la venue de Christ. Certes, ce symbole est fondé sur des
éléments prélevés ça et là.
On peut dire que tous ces éléments sont vrais : il
est né, il a souffert, il est mort. Cela ne constitue pas
un parcours rarissime. Je n’attache pas une importance décisive
à la descente aux enfers. Reste l’affirmation de la
résurrection, mais comprise comme le prélude au jugement,
c’est-à-dire comme l’inverse de la bonne nouvelle
que l’on trouve, par exemple, chez Jean. Les évangiles
sont inutiles si ce texte résume la foi chrétienne
: dans le Symbole des apôtres, rien n’est dit de la
vie de Jésus, pas un mot n’aborde son enseignement,
un silence absolu règne sur ses actes ou ses signes. Le symbole
des apôtres ne résume pas l’évangile.
Il en est la négation la plus radicale, car il le passe sous
silence, sous prétexte d’être le résumé de
la foi.
Serait-ce alors le symbole de
Paul ? Nous le savons, l’apôtre aborde peu la vie et l’enseignement du
Maître de l’évangile. Le parcours de Jésus
de Nazareth ne l’inquiète guère. Sa venue, sa
mort et sa résurrection lui suffisent. Mais l’œuvre
de Paul fut ainsi à l’origine de multiples contresens.
L’apôtre proclame la Résurrection, comme signe
d’une existence nouvelle à laquelle chacun est appelé.
Il y va pour lui de la vocation nouvelle de l’humain. Ôtez
des épîtres de Paul la fondation par Christ des prémisses
d’une résurrection collective, vous ruinez la signification
pour lui de l’évangile. Or, telle est bien la ligne
suivie par les tenants du Symbole des apôtres. La Résurrection
du Christ n’y change rien à la destinée et à
la vocation humaine ; elle n’est que l’institution d’un
nouveau Juge. Le jugement à la fin des temps n’est
pas cette transformation déjà possible de l’humain.
Le Symbole des Apôtres n’exprime pas la Bonne nouvelle
qu’annonce Paul.
Voilà bien, diront certains, l’œuvre
destructrice de ces satanés libéraux. Ils vous feraient
perdre la foi, avec leur manie de tout remettre en cause ! Que reste-t-il
de la foi chrétienne, une fois écartés les
textes fondateurs du christianisme ? Que reste-t-il de tant de siècles
de chrétienté ?
Rien, ou si peu de choses… La conviction que
l’enseignement du Maître de l’évangile
reste l’un des piliers de tout itinéraire de foi. La
certitude que la Résurrection du Christ nous ouvre les portes
d’une irréductible espérance. L’assurance
de cette parole de l’évangile de Jean : “ Dieu
n’a pas envoyé son Fils dans le monde pour qu’il
juge le monde, mais pour que le monde, par lui, soit sauvé
“.
Si ce n’est pas en de telles paroles que réside
le cœur de l’évangile, alors les partisans du
Symbole des apôtres peuvent avoir vu juste. Mais si nous tenons
que la Résurrection de Christ n’a de sens, au-delà
des formulations maladroites, qu’à annoncer la promesse
d’une existence nouvelle, alors le Symbole des apôtres
a manqué l’essentiel. Dans sa volonté de dire
le vrai sur ce qui se dérobe à tout savoir, l’itinéraire
de foi lui aura échappé. L’humain n’y
a de rôle qu’à entrer dans la répétition
de vieilles formules, dans l’attente d’un jugement qui
lui procurera, peut-être, la “ résurrection de
la chair “. Or, je tiens que la bonne nouvelle (l’évangile)
brise à la fois la nécessité de la répétition
et la triste espérance de cette fin annonciatrice de rétribution
et de condamnation. L’événement Christ ouvre
la brèche d’un tout autre horizon. L’œuvre
de l’Esprit annonce l’inédit de ce qu’aucune
formule ne pourra contenir. L’inattendu de Dieu lui-même
offre des perspectives qu’aucune expression humaine ne pourra
d’avance délimiter.
Que l’enseignement du
Maître de l’évangile apporte ce qu’une
vie humaine ne suffirait à méditer ; que la Résurrection
amorce un mouvement que les hommes ne parviendront jamais à
décrire et qu’il nous reviendra toujours d’explorer
; que Dieu lui-même reste l’imprévisible qui
toujours fera toutes choses nouvelles - voilà ce que le Symbole
des apôtres n’aura pas réussi à dire.
Voilà, pour moi, l’essentiel de la foi chrétienne.
Pierre-Yves Ruff, Théolib
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