Article long et difficile
Max Wientzen
C’est au verset 3 du premier Chapitre de la Thorah qu’apparaît,
dans la forme <wayyomèr> , pour la première
fois, cette construction typique à l’hébreu
biblique que l’on appelle le <wav> consécutif
et conversif. Nous en parlerons plus longuement à la fin
de ces quelques notes.
Tout d’abord, le problème de
la conjugaison va retenir notre attention. Comme son étymologie
l’indique, une
conjugaison unit sous un même joug (cum – iungere =
avec – joindre) un verbe et un pronom. Qui n’est pas
toujours exprimé quand les terminaisons verbales permettent
de reconnaître immédiatement à quelle personne
on a à faire.
Le verbe subit des transformations qui indiquent
le temps, le mode et la voix qu’il est appelé à exprimer.
Surtout dans les langues anciennes car c’est un système
compliqué et
comme on le sait bien les phénomènes de langage tendent
tous à la simplification la plus poussée possible.
Pour en rester dans le domaine du verbe, par exemple, en français,
depuis plus de cent ans, tous les néologismes appartiennent à la
conjugaison la plus simple, celle en –ER. Avec les deux seules
exceptions formées à partir du verbe atterrir : à savoir
alunir et amartir.
Mais revenons-en au problème du temps
qui n’a cessé d’interpeller
tous les penseurs et philosophes, dès l’aube de l’humanité.
Toutes les générations sont convenues de distinguer
les trois stades bien connus du passé, du présent
et du futur. Autrement dit, trois étapes dans la durée
qui, lorsqu’on y regarde de plus près, sont loin d’être
identiques et perçues de la même façon.
1.
Il y a tout d’abord la seule période que l’on
peut percevoir d’une manière tangible et dont on peut être
sûr : le passé. Chacun de nous
a vécu son propre
passé et cette période peut lui servir de référence,
jalonnée par tous les événements qu’il
se rappelle. C’est ce qui en fait, d’ailleurs, grammaticalement,
la complexité car, par exemple, un événement
peut être antérieur à l’instant présent
ou à un autre événement qui fait déjà partie
du passé. D’où la mise en place, ne serait-ce
qu’en français, de toute une batterie de passés
tenant compte des nuances fort subtiles que nous ne rappellerons
pas ici : passé simple, passé antérieur, passé composé,
passé surcomposé, plus-que-parfait, futur antérieur,
conditionnel passé, infinitif et participe passés
... Ce qui est peu, comparé à certaines langues comme
le turc où les formes du passé dépassent —très
théoriquement— la soixantaine … !
2. Le présent.
C’est la notion temporelle qui est
la plus ardue à saisir pour ne pas dire, impossible car
par définition, le présent n’existe pas étant
la limite toujours mouvante entre le passé et ce qui va
arriver. Sur la ligne du temps, on le représenterait comme
un curseur mobile. Le génie linguistique de nombreux peuples
a d’ailleurs associé à cette notion de mobilité,
une autre notion : celle de contrariété, d’obstacle.
C’est ainsi, par exemple, que les Grecs désignaient
le présent par le terme to par’n <to paron> qui
signifie ce qui se trouve auprès de, contre [para + on =
contre + participe présent neutre singulier de verbe être].
On retrouve le même sens en latin, dans le mot PRÆSENS,
un participe présent signifiant ce qui se trouve devant
soi. On pourrait d’ailleurs élargir aux langues germaniques,
la même constatation puisque, en néerlandais, on dira
: tegenwoordige tijd, correspondant à l’allemand,
die Gegenwart. On pourrait même faire remarquer que, dans
ce dernier mot, la notion de présent est tellement insaisissable
que l’on recourt, non pas à la racine du verbe être
au présent mais bien au radical qui sert à former
le passé. [Sein opposé à war (infinitif présent du verbe être ; 1e pers. sg. de l’imparfait du verbe être)].
3.
Quant au futur, sa perception est encore
moins assurée car
on entre dans une sphère de l’hypothétique
et du possible. Il est significatif de constater que le mot futur
est à ce point chétif que les Latins se sont servis
de la seule forme vérifiée de la réalité du
verbe être, c’est-à-dire celle du passé,
comme nous l’avons dit plus haut. En latin, le radical
du passé du verbe être est fu -
que l’on perçoit
encore dans la conversation des personnes d’un certain âge
qui utilisent en français le passé simple (je fus).
C’est à ce radical du passé que l’on
a ajouté la désinence du participe futur – turus,
pour construire cette troisième période du temps.
(Cfr. ave Cæsar, Morituri te salutant )
Nous voilà donc
confrontés au problème du
temps ! Une donnée que l’on confond trop souvent avec
la durée. Si l’on se réfère à la
racine indo-européenne *tem qui signifie « couper »,
on peut comprendre que le temps est une coupure dans la durée.
Avec comme exemple bien caractéristique du temps
maçonnique sans durée précise mais délimité par
les deux termini qui sont MIDI PLEIN et MINUIT PLEIN. ( A écrire « pleins » ou « plains »,
si l’on se rappelle le rôle joué par l’ombre
de la colonne sud sur la colonne nord.)
Nous avons été perturbés
par la lecture très
récente de deux livres de vulgarisation car notre bagage
scientifique est des plus réduit. Le premier (1) pulvérise
l’idée que l’on a toujours admise de ce que
le temps existe … L’auteur démontre que ce n’est
qu’une vision de l’esprit, que le temps n’existe
pas, un temps qui serait utilisable pour l’ensemble de l’Univers.
Il rapporte des faits assez stupéfiants : ainsi, nous lisons
page 76 et suivantes que ce problème fut déjà soulevé,
voici un siècle, par la théorie de la relativité restreinte
puis générale d’Einstein, qui démontrent
qu’un champ gravitationnel plus fort —au voisinage
du Soleil ou de la Terre, par exemple — fait fonctionner
les horloges plus lentement. Une des applications : le fonctionnement
du GPS qui est basé sur la mesure très précise
du temps de parcours de signaux entre la Terre et des satellites.
Comme ceux-ci sont un peu plus à l’extérieur
du champ de gravité terrestre, leur temps n’est pas
exactement le même qu’au sol. Si l’on ne tient
pas compte de cette différence, le résultat est totalement
faux.
Le phénomène s’aggrave au fur et à mesure
que l’on pénètre dans l’infiniment petit
: à l’échelle des molécules et des atomes
le temps n’existe plus, et toute la physique quantique est
définie par un ensemble de formules où n’intervient
même plus la variable « t », c’est-à-dire
le temps. Le second livre (2) écrit par un Professeur de
l’Université de
Poitiers nous dévoile des perspectives encore plus décoiffantes.
C’est à partir d’une théorie de Feinberg
sur les tachyons (mot grec signifiant « plus rapide
[que la lumière] ») qu’il conçoit trois
espèces
de particules : moins rapides que la lumière : bradyons (notre monde sensible), aussi rapides que la lumière et
plus rapides que la lumière : tachyons (univers
superlumineux). De même qu’il existe un mur du son,
il imagine un mur de la lumière, constitué des particules
qu’il
appelle luxons.
Ce mur de la lumière séparerait
donc deux univers : celui des particules sous-lumineuses et celui
des
particules superlumineuses, chacun ayant des espace-temps totalement
différents. Sans entrer dans des détails théoriques
trop ardus à résumer, nous nous bornerons à extraire
ces quelques lignes (3) :
« Un grave problème théorique
se posait à propos des tachyons : dans le cas
où leur
existence serait prouvée expérimenta-lement que
deviendrait la causalité ? En effet, on peut montrer qu’il
serait alors possible d’observer des phénomènes
d’inversion
temporelle, c’est-à-dire un événement
avant sa cause. »
Et plus loin (4):
« L’espace-temps
superlumineux ayant des propriétés complètement
différentes du nôtre, le temps « vécu » par
la conscience superlumineuse totale ne s’écoule plus.
Il y a instantanéité absolue, les concepts de présent
/passé / futur n’ont plus de sens. La notion de durée
liée à l’écoulement du temps n’existe
plus. »
Ce long préambule était nécessaire
pour essayer de comprendre ce phénomène tout à fait
exceptionnel du v Wav consécutif et conversif. Exceptionnel,
car on ne trouve une construction grammaticale de ce type que dans
l’hébreu
biblique et dans la Thorah essentiellement. C’est un problème
qui, évidemment, a sollicité toute l’attention
et la sagacité des commentateurs de la Thorah. Fortuitement,
nous avons trouvé une référence à ce
phénomène dans un livre, peut-être controversé,
mais éclairant à bien des égards (5). Nous
y lisons que l’auteur est allé consulter le rabbin
considéré comme le plus brillant de notre époque,
A. Steinsaltz, avec qui il s’est entretenu du problème
du temps dans la Thorah. Steinsaltz lui a dit :
«
Dans la Bible, le temps est inversé. C’est une singularité du
texte hébreu que le futur soit toujours indiqué au
passé et le passé au futur.
- Pourquoi ? demandais-je.
- Personne ne le sait, répondit-il. Il se peut que nous
allions contre le fil du temps, ajouta Steinsaltz, qui rappelle
que les lois de la physique obéissent à une symétrie
temporelle c’est-à-dire qu’elles s’appliquent
aussi bien en aval qu’en amont du temps.
Il ouvrit la Bible, à la recherche d’un passage du
premier des prophètes, Isaïe.
«
Voici, Isaïe dit ici que l’on doit étudier le
passé pour connaître l’avenir, dit-il. Quand
Isaïe parle de dire les choses qui adviendront à l’avenir,
on peut comprendre ces mots ainsi : ils ont dit le futur à l’envers.
C’est comme d’écrire dans un miroir.»
Bref,
il y a là de quoi rêver … ! (6) Max Wientzen,
avril 2007
(1) ROVELLI Carlo : Qu’est-ce que le temps ? Qu’est-ce
que l’espace ? Coll.Réflexions, Ed.Bernard Gilson.
(2) Pr DUTHEIL Régis et DUTHEIL Brigitte : L’homme
superlumineux Ed. Sand, Paris 1990.
(3) p.83.
(4) pp. 93 – 94.
(5) DROSNIN Michaël : La Bible : le code secret, Coll. Pocket,
Ed. Robert Laffont 1997. T. I. pp. 184 – 185.
(6) NOTE : Les souvenirs ont de l’avenir.
La mémoire définit la capacité non seulement à se
souvenir du passé, mais aussi à se projeter dans l’avenir.
Si l’on en croit les neurocogniticiens, le processus conduisant à élaborer
mentalement le futur est identique à celui permettant de se remémoriser
les souvenirs. On le constate chez les amnésiques, qui ont souvent beaucoup
de difficultés à s’imaginer au-delà du présent.
Une équipe de neurologues britanniques dirigée par Eleanor Maguire,
de l’University College à Londres, a montré que les mêmes
aires du cerveau sont activées lorsqu’un sujet normal se souvient
d’un événement et lorsqu’il envisage une scène à venir.
En fait, la mémoire se sert des souvenirs comme matériaux de base
pour construire des scénarios possibles de demain.
Le Vif – L’Express, 13 avril 2007, p. 36.
N.D.L.R. Cet article est le premier d'une série |