Jacques Chopineau
- Les controverses trinitaires
n’ont pas
pris fin
- Des
vérités à entendre littéralement
- Le
fleuve profond de l’unité Les controverses trinitaires
n’ont pas pris fin
Sur un pareil sujet, les études sont nombreuses. Il ne
s’agit
donc ici que d’un simple rappel (bien des termes mériteraient,
d’ailleurs, de longs développements). Mais le problème
n’est pas limité à des considérations
historiques. C’est aujourd’hui que le problème
se pose, au sujet de formulations, certes vénérables,
que personne -parmi nos contemporains- ne comprend plus.
À moins d’avoir passé des années à étudier
la théologie !
On sait que le concile de Nicée (325)
a été convoqué à la
demande de l’empereur Constantin, lequel –nouvellement
chrétien- voulait que la nouvelle religion de l’empire
ne soit pas divisée en tendances multiples.
Le christianisme étant devenu la religion de l’empire,
il est clair que l’empereur voudra une seule forme légale
de christianisme. Le christia-nisme post-constantinien ne pourra
pas admettre une multitude de tendances différentes -voire
de sectes opposées. La vérité nicéenne
sera aussi une vérité impériale.
C’est
le point de départ d’une longue histoire
du césaro-papisme et des rois auxquels le pouvoir était
reconnu. On peut -sous cet angle- mentionner Louis XIV révoquant
l’édit de Nantes : peut-on avoir une autre religion
que celle du roi ? Un royaume ne pouvait avoir qu’une seule
religion !
Déjà au temps de Constantin, l’église était
divisée en de nombreuses tendances. Entre autres, Arius
avait de nombreux partisans. Mais le christianisme majoritaire
l’emporte lors de ce concile qui crée ce qui deviendra
la confession de foi (dite symbole de Nicée-Constantinople).
Dès le début : celui qui n’adhère pas à ce
texte sera déclaré " hérétique
". Ce même concile crée d’ailleurs l’anathème
(excommunication généralisée à tous
les diocèses ecclésiastiques).
Mais la grande controverse
qui opposa les pères du concile
est la question trinitaire. Pour les nicéens vainqueurs
: le Fils est de même nature que le Père (homoousios).
Tandis que pour les ariens et leurs sympatisants (finalement excommuniés),
le Fils était de nature semblable (homoiousios) au Père,
sans être de même nature que le Père.
Entre
les deux termes grecs, la différence n’est littéralement
que d’un « i » (iota). Mais ce « i » va
peser très lourd dans la suite de l’histoire. Certes,
les controverses trinitaires n’ont pas pris fin. Il existe
encore aujourd’hui des églises dites « monophysites » (arménienne,
copte, syrienne…), mais les christianismes occidentaux (tant
catholiques que protestants) seront proches du concile de Nicée
et des conciles suivants (Ephèse, Chalcédoine, Constantinople …).
Finalement, la théologie d’une grande partie des christianismes
est l’héritière de ces décisions des
premiers conciles, à commencer par ce fameux concile de
Nicée. Ce « Fils » consubstantiel au « Père » sera
une des « personnes » de la Trinité. On lui
adjoindra, plus tard, une « personne » Saint-Esprit
qui procédera, en Occident, du Père et du Fils.
Sur ce point, les orientaux ne cèderont pas et maintiendront
que le Saint Esprit procède du Père seul. Ce sera
l’occasion de la grande rupture entre les églises
d’Orient et d’Occident (1O54). Cette rupture continue
de séparer aujourd’hui catholiques et orthodoxes.
Mais les divisions ont été nombreuses. Le concile
d’Ephèse (431) condamnait Nestor. Ce nestorianisme
qui pensait que Marie était, certes, mère du Christ,
mais non « mère de Dieu ». Ce que le concile
rejettera. Le concile de Chalcédoine (451) -convoqué par
l’empereur Marcien- condamnait les hérésies
monophysites (de ce concile, le pape Léon 1er refusera le
canon qui reconnaissait la prééminence du siège
de Constantinople).
Hérésies, schismes, combats,
discussions… marquent
l’histoire de l’église. La situation n’est
pas fondamentalement différente aujourd’hui, pour
ceux (ils sont rares) qui attachent de l’importance à ces
divisions anciennes.
Des vérités à entendre littéralement
Ainsi, à partir du quatrième siècle, les
christianismes seront modelés -canalisés-
par la « grande église ».
Toutes les tendances différentes seront, lentement, écartées
puis effacées. Une dogmatique chrétienne est appelée à se
constituer en vérité dogmatique régnante.
Pour des siècles -en fait, jusqu’à la
Réformation protestante- la vérité aura un
seul visage. Apparemment, une seule tendance triomphera. Pour longtemps,
le césaro-papisme sera le moule du christianisme occidental. C’est pourquoi les écrits dits « apocryphes » (1) sont
importants. Ils nous font connaître des approches différentes
qui ont été, peu à peu, marginalisées.
Soit confinées dans des lieux particuliers, soit combattues
comme déviances ou hérésies, soit encore totalement
oubliées.
Naturellement, on trouvera de tout dans ces écrits.
Ils émanent
parfois de milieux sectaires. Nombre de traditions n’ont
d’ailleurs guère dépassé un stade oral
et même purement local.
D’autres fois, cependant,seule
une piété populaire
a gardé le « souvenir » d’un événement
inconnu de la littérature canonique. Ainsi, la crèche
de Noël avec son bœuf et son âne est un « souvenir » édifiant,
conservé par le proto-évangile de Jacques. Les évangiles
synoptiques n’en connaissent rien, mais l’usage s’est
imposé.
De même, occulté fut le rôle
de Marie-Madeleine -disciple
aimée de Jésus- dont la figure dans les écrits
canoniques est fort différente de celle des sources « apocryphes ».
Le rôle de Marie-Madeleine -qui est Marie de Magdala-
est attesté par de nombreuses sources « apocryphes » anciennes
(antérieures au concile de Nicée). Citons l’Evangile
de Pierre, l’Evangile secret de Marc, l’Evangile de
Marie (c’est Marie-Madeleine), l’Evangile de Philippe… et
bien d’autres textes dans lesquels Marie-Madeleine est appelée
: Maria, Mariham, Mariammê, Mariamnê…
Le nom « Marie
de Magdala » est un peu étonnant
: comme si un nom de lieu (Magdala en Galilée) était
-au contraire de l’usage- donné à la place
du nom du père ou de celui du mari. Mais cette Marie-Madeleine
n’était pas mariée et vivait de façon
indépendante. En tout cas, elle est ainsi bien distincte
de Marie -la sœur de Marthe- qui est, dit-on, de Béthanie
en Judée.
On pourrait dresser une liste d’usages perçus
comme « chrétiens » qui
cependant sont inconnus des sources chrétiennes canoniques.
Parfois, d’ailleurs, quelques siècles ont été nécessaires
pour mettre au point une formulation canonique. Ainsi l’infaillibilté pontificale
ou l’immaculée conception… Plus récente
encore cette « ascension de la Vierge » formulée
en 1950 ! Il y a, certes, des sources anciennes. Mais une ancienne
tradition peut être une vieille erreur. Il n’est pas
de vérité à l’ancienneté.
Pour
beaucoup de chrétiens, de telles « vérités » sont
souvent passées sous silence. Autrement, sans doute, elles
dérangeraient. En tout cas, elles ne sont pas, aujourd’hui,
senties comme essentielles. Et on ne s’en tirera pas en affirmant
un caractère « poétique » ou « symbolique » de
tels énoncés. Lors de leur proclamation, ils ont
bien été conçus comme des vérités à entendre
littéralement.
Le fleuve profond de l’unité
Il importe que ces
anciennes décisions concilaires soient à nouveau
examinées sereinement. Les « hérésies » furent
nombreuses. Elles n’ont pas disparu. Beaucoup de chrétiens
-sans connaître les termes de ces anciennes hérésies-
sont aujourd’hui ariens, gnostiques, docètes, patripassiens
etc… sans le savoir.
Certes, pour beaucoup, les définitions
anciennes ne jouent guère de rôle. Elles sont, en
général,
ignorées. Et lorsqu’elles sont connues, une croyance
habituelle -largement conformiste ne les remet pas en question.
Ces décisions devenues tradition et vérité sont
largement incompréhensibles. Citons : Trinité ou « deux
natures » ; « péché originel » et
salut des âmes……. Un vénérable
jargon dont les subtilités ont été l’objet
de nombreux livres, au fil des siècles. Rappelons que –pendant
des siècles- une interprétation jugée erronée
pouvait coûter la vie (après des tourments terribles,
parfois). Mais, aujourd’hui, sans aucun souci de polémique
les présentes remarques devraient trouver leur sens. Le
temps n’est plus aux polémiques, mais à la
reconstruction d’un vieil édifice déserté ou
en passe de l’être.
Les empereurs ont disparu, certes…..
Mais aussi, en même
temps, ce christianisme majoritaire qui a été imposé (souvent
violemment) à ce monde « chrétien » par
une église qui a longtemps été –jusqu’à la
Réformation protestante-l’unique « institution
de salut » du monde occidental.
Ajoutons que la Réformation
protestante –qui se voulait
un retour aux sources- a parfois, dans les siècles suivants,
sombré dans la répétition. Son désir
de retour aux sources a, au fil des siècles, versé dans
une doctrine aux bases définitivement établies. Une « position » protestante
définie par opposition à une « position » catholique
différente. Les réalités sont, aujourd’hui,
loin d’être aussi simples. Il y a des catholiques protestants » et
inversement ! Une révolution n’est pas une vérité atemporelle.
Aujourd’hui est un nouveau jour.
On ne fera pas l’économie
d’un vaste débat
sur les fondements du christianisme. Non pas pour arriver à une
formulation unique –commune à tous les chrétiens.
Un tel accord « œcuménique » est tout à fait
hors de portée des institutions. C’est heureux. Aucune
institution, par contre, n’est imperméable aux débats.
La diversité est aujourd’hui la règle. L’unité se
situe à un tout autre niveau.
Mais si cette discussion n’a
pas lieu, on peut prévoir
une indifférence grandissante à des formulations
d’un autre temps. Les défendre n’est pas une
défense du christianisme. Que les églises se vident
ne signifie pas qu’elles s’ouvrent à l’air
du large. D’ailleurs, l’institution n’est pas
plus importante que la cause qui lui donné naissance.
Cette
cause première est la personne et l’enseignement
de Jésus de Nazareth. Non les définitions devenues
canoniques. C’est aux sources qu’il est impératif
de retourner. Et si les formulations anciennes font obstacle :
elles doivent pouvoir être expliquées et/ou discutées.
Le cœur secret du milieu du fleuve n’est pas à égale
distance de la source et de l’estuaire. Il appartient à chacun
de le trouver. À la profondeur où il pourra plonger.
Et peu importe l’uniforme du plongeur.
Jacques Chopineau, Genappe
le 15 février 2007
(1) Ecrits
que font connaître au grand public : Ecrits apocryphes chrétiens
I (Paris 1997) ; II. Id. (Paris 2005). Ces deux volumes de la Pléiade
(Gallimard) sont incontournables. Ajoutons : L’Evangile de
Judas, traduction et commentaires par R. Kasser et alii, Paris
2006 (Flammarion). |