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 Théologie
Résurrection et logos


Jean-Paul Sorg

Non seulement les hommes savent tous qu’ils sont mortels, les uns et les autres, mais encore ils pensent que l’humanité comme telle, l’espèce humaine, l’est ; que le monde où ils vivent disparaîtra un jour, que la terre qu’ils habitent n’est pas éternelle au sein du cosmos. Éternité du cosmos même ou de l’univers, éternité du ciel, éternité de l’être, oui, c’est une manière de penser (sans recours au big bang !), mais le monde présent, tel qu’il nous apparaît, en la figure qu’il a prise pour nous, est destiné à périr.

D’où vient aux hommes l’idée au fond étrange, non empirique en tout cas, du caractère éphémère ou passager du monde terrestre où se déroule leur existence ? Nul ne peut, évidemment, rapporter et transmettre l’expérience d’une fin dernière et totale. « La mort n’est pas un événement de la vie » (Wittgenstein). Ce qui est vrai pour chacun, pour chaque individu dans sa solitude de sujet unique, l’est aussi, a fortiori, pour l’ensemble de l’humanité (si un tel ensemble peut être considéré). Pas de survivant : pas de récit. Pas d’histoire. Donc, l’inconcevable rien. Comme si rien n’avait eu lieu. Pas de Verbe : pas de fin.

Rien n’aura eu lieu que le lieu ? Même pas. Pas de temps : pas de lieu.

Le mot « fin » a en français deux sens : but et terme (terminus). Il n’y a pas de logique absolue à ce double sens, c’est juste une donnée singulière de la langue française, qui excite la pensée, qui semble intéressante, mais prenons garde. Le terme ne coïncide pas forcément avec le but, visé et désiré. Et même : à supposer qu’on atteigne le but, qu’on y soit et que l’on puisse juger, il ne correspondra jamais à la promesse ou à l’espérance. Cette terre que l’on a gagnée n’est pas entièrement et définitivement celle que l’on cherchait et qui avait été promise ; ce prophète qui a laissé entendre qu’il était le messie est-il vraiment le Christ sauveur venu ouvrir le royaume des cieux ? L’humanité ne paraît pas sauvée après son passage et son sacrifice. Ce qui arrive n’a jamais l’air d’être ce que l’on voulait et se représentait. L’expérience faite n’est jamais à vue humaine que celle d’un échec et l’histoire, une continue déception. Le terme est toujours prématuré, un événement « avant terme ». Rien n’a été terminé, mais c’est fini, la partie est finie. Mort, voilà ta victoire ?

Non, l’esprit (le logos) ne saurait en rester là. Il passe outre.

L’eschatologie n’est pas une prophétie de la mort, l’annonce d’une mort qui serait la fin (le terme) ou l’annonce d’une fin prochaine qui ne serait rien d’autre que la mort ; le propre de l’imagination eschatologique est d’aller au-delà et donc de figurer une négation de la mort ou une victoire sur la mort, conçue non comme inconcevable, comme néant, trou noir, rien, mais comme épreuve qui détermine le passage vers… autre chose, une autre vie, une autre forme d’existence. Pour les méchants, l’enfer ; pour les justes, le paradis. Pour les moyens, un plus ou moins long purgatoire !

La mort est niée, en tant que terme sans lendemain, instant dernier sans avenir ; elle est niée dans l’affirmation, digne de foi, d’une résurrection ou d’une renaissance. Donc, d’un recommencement, non pas du même (idée de l’éternel retour), mais différent. « Je ferai toutes choses nouvelles. » Le souffle de l’eschatologie, comme souffle de vie éternelle dirigée contre le phénomène de la mort, est également puissant et fécond, que le temps soit conçu sur un mode cyclique ou sur un mode linéaire. La réincarnation dans la roue cosmique relève de l’imagination (ou spéculation) eschatologique aussi bien que la résurrection au bout de l’histoire et le tribunal dernier. Si les thèmes et les improvisations diffèrent, le sens et le gain sont d’un même ordre : l’occultation de la mort.

La pensée de la résurrection n’est donc pas si extraordinaire, elle n’est pas seulement le point faible, le point de folie, le délire, le génie du seul christianisme ; elle appartient au logos tel qu’il peut habiter l’esprit des hommes, l’esprit de l’espèce qui a l’intelligence de sa mort terrestre et appréhende son existence dans le temps. Pour autant, la résurrection n’a jamais la force d’une réalité, elle n’est pas un événement de la vie (soit dit en détournant la formule de Wittgenstein), elle ne peut être vécue.
Que la pensée eschatologique soit inspirée par la hantise de la mort qui, elle, est ce qui fait penser les hommes (ce qui fonde le logos), voilà une hypothèse qui séduit assez. Nous ajouterons à cette hantise générale et diffuse, intrinsèque à l’âme, l’expérience ou la mémoire collective de catastrophes qui rappellent à l’homme sa précarité et lui signifient que sa condition est terrestre, donc à la merci des « caprices », des irrégularités, des déchaînements de la terre comme du ciel.

Difficile de croire que le bonheur de l’espèce humaine soit une finalité de la création. De là le saut sur un autre plan, l’ouverture métaphysique. L’idée de l’âme et le souci de son soin. L’invention de l’invisible.

Jean-Paul Sorg, philosophe. Buhl, le 14 mai 2006  

 



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