Pierre A. Bailleux
Il
y a 450 ans que Michel Servet était assassiné à
Genève par les bien-pensants "réformés".
Calvin et Farel portent une lourde responsabilité dans l'érection
de son bûcher. Aujourd'hui encore, au sein du protestantisme,
des esprits étriqués ou crypto-catholiques refusent
même d'envisager le bien fondé de la liberté
de conscience. Je profite donc de cette triste commémoration
pour vous faire partager mon regard sur Jésus et affirmer
ainsi le droit à la liberté de conscience et au libre
examen.
Michel Servet en prison
par Pablo Picaso
1. Les doctrines
Melanchthon exprime, de manière lapidaire,
mes réserves envers les formules doctrinales : "Connaître
Jésus-Christ veut dire expérimenter ses bienfaits,
et non pas savoir ce qu'on enseigne sur ses natures et le mode d'incarnation".
Luther et Calvin, on l'ignore
trop souvent, eurent aussi des réticences à ce
sujet.
« A partir du concile de Nicée, l’église
prit l’habitude de se constituer en tribunal pour juger et
condamner les hérétiques et attribuer à ses
jugements une autorité qui n’appartient qu’à
la Parole de Dieu. Au lieu de maintenir les Saintes Ecritures comme
autorité souveraine en matière de foi, elle composa
des confessions de foi, appelées symboles, qui n’étaient
pas toujours un résumé fidèle de la doctrine
évangélique et apostolique… Les confessions
de foi étaient imposées aux fidèles. » Martin Luther (1).
Le jeune Calvin avait refusé de "voir
introduire dans l'Église cet exemple de tyrannie: que soit
tenu pour hérétique quiconque n'aura pas répété
les formules établies par un autre" (2).
André Gounelle compare les doctrines à
des cartes de géographie : "On en a besoin
pour se situer et s’orienter; mais aucune n’est totalement
juste" (3). L'exemple est limpide. Les doctrines peuvent
nous éclairer mais elle ne sont pas la vérité.
Vous aurez compris que j'ai
des réticences
à vitrifier Jésus dans des doctrines figées,
car il est toujours au-delà et ailleurs de ce que l'on peut
dire de lui. Chaque formulation est partielle, provisoire et révisable.
Je ne critique pas les doctrines
pour leur contenu mais pour l'anathème qui leur est consubstantiel
dès l'origine, dès leurs formulations même,
en cela qu'elles fabriquent un objet hybride, abusivement nommé
"vérité de foi" au lieu de "croyance,
opinion, interprétation" (c'est à dire le sens
de doxa) et plus souvent encore désigné par "vérité" tout
court.
2. Ma foi
Le protestant libéral unitarien que je suis ne pourra,
dès lors, s'identifier aux doctrines trinitaires ou ternaires,
ni même aux doctrines "anti-trinitaires" de certains
unitariens. Je ne "nie rien". "Nier" signifierait
l'existence d'une référence doctrinale devant
laquelle chacun devrait obligatoirement se positionner.
Michel Bouttier et Daniel Lys
dépeignent un
Jésus qui m'est très proche, le christ parfait de
Dieu : "Il a été l'homme véritable
comme nul homme ne peut l'être par lui-même".
Et pour utiliser la formule plaisante de Marc Pernot, je dirais
que Jésus "est quelqu'un qui est chargé par
Dieu de faire avancer les choses pour les gens qui l'entourent".
Je fais donc partie de ces
chrétiens protestants unitariens qui "adorent non
pas le christ, mais Celui qui se manifeste et agit en christ" suivant la définition de Pierre Gisel
(5). Je suis un de ces protestants libéraux unitariens
qui ne rejettent ni ne condamnent les traditionnelles doctrines
classiques,
mais
qui cherchent à les comprendre et à les transposer
dans les expressions culturelles d'aujourd'hui.
3. Le pluralisme
J'appelle de tous mes vœux un christianisme dont
le pluralisme des expressions de la foi sera son honneur et sa fierté.
Car le pluralisme est foncièrement heureux; sans lui, nous
sommes dans l’ordre de l’idéologie, non de la
foi. Un christianisme libre dans lequel il nous faudra critiquer
sans avoir la prétention de détenir à soi seul
la vérité.
Un libre christianisme qui proclamera Jésus comme une des
lumières
dans notre obscurité comme il le fut dans le monde où
il vécu.
J'espère avoir apporté
ma pierre à l'édifice dont le christ Jésus
est la clé de voûte.
Pierre A. Bailleux,
Lillois le 26 octobre 2003
(1) Martin Luther, Catéchisme, édition française, 1994, page 91
(2) Jean Calvin in "Pro G. Farello et collegis eius
adversus Petri Caroli theologastri calumnias defensii"
(3) André Gounelle, Le protestantisme libéral,
in revue Vivre, 94/1 , Criquets, Lillois, 1994
(4) Marc Pernot, pasteur à l'Église Réformée
de l'Étoile (Paris)
(5) Pierre Gisel, La
théologie face aux sciences religieuse, Labor et Fides, 1999
La première mouture
de cet article est parue sous le titre "Un regard sur Jésus" sur
le site de l'Église
Réformée de l'Alliance le 24 mars 2003
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