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 Théologie
Une insulte à la sexualité

Pierre le Fort

Notre pasteur(e) a donné récemment le jour à un beau, à un gros poupon. Il arrive donc maintenant aussi à une paroisse d’être confrontée à la réalité d’un congé de maternité !

L’un des derniers dimanches où elle accomplissait son travail liturgique, avant de se rendre disponible pour un autre “travail”, il y eut un culte de sainte cène.

Les réflexions que je vais confier à mon article commencent avec cette célébration. J’ai en effet cédé ce jour-là à une soudaine et surprenante inspiration - mais ce beau mot ne convient pas bien pour l’idée farfelue qui m’est passée par la tête.

Il faudra que je vous en fasse l’aveu, sinon mon article ne démarrera pas. Mais auparavant je m’explique sur ceci. J’écoute les propos peu sérieux qui m’arrivent de toutes sortes de gens ou de moi-même. Surtout de moi-même. Derrière le personnage obéissant à une certaine cohérence, fidèle à ses options favorites, je porte aussi en moi un magma de pensées infiniment disparates. Tout le monde doit être ainsi : la mémoire collective des générations passées, les vieilles peurs de notre enfance et peut-être de l’enfance de l’humanité, le paganisme instinctif qui est notre première religion, tout cela nous habite sans ordre ni logique. Et moi, cela m’intéresse de capter parfois une “révélation” qui monte des profondeurs.

Une idée stupide et un voyage de noce  

Donc, un certain dimanche de mars, quand le pasteur de notre paroisse s’est placée derrière la table de communion, une pensée ridicule a effleuré mon esprit: « Est-il convenable que la sainte cène soit présidée par une femme enceinte ? »

Comment peut-on concevoir une association d’idées aussi stupide? Eh bien, je le crains, j’ai été atteint ce dimanche-là par la frange d’une vague qui dépose en beaucoup d’endroits les traces de son passage. Elle noie nos esprits dans un océan d’impressions incontrôlées et souvent douteuses. On dirait que dans notre esprit la religion ne doit pas être associée aux manifestations corporelles de la vie humaine, notamment de sa nature sexuée.

Me vient à l’esprit un autre souvenir très personnel. En 1955, ma femme et moi nous visitons la cathédrale de Cologne. C’est le 4 ou le 5 juillet. Nous nous sommes mariés le 2.

La visite n’a pas duré longtemps! J’entends encore la voix du sacristain qui nous poursuivait: “Nicht durch den Arm!”. Traduction: “(Ne vous tenez) pas le bras! Cet homme était tellement inquiet de voir sa cathédrale profanée par des amoureux qu’il jugeait notre attitude indécente. Se tenir par le bras quand on est en voyage de noce… Nous sommes sortis de là écœurés et scandalisés.

La nudité prohibée  

On entend rarement des personnes s’interroger sur le bien-fondé des avertissements adressés aux touristes à l’entrée des églises: pas de short, pas de jambes nues pour les dames, etc. Plusieurs explications sont possibles. Pour moi, la plus pertinente tient à la conception qu’on se fait de Dieu. Tout se passe comme si la divinité à laquelle est voué le sanctuaire devait s’offusquer qu’on lui montre certaines parties suggestives du corps humain. Bien sûr, ce sont les clercs inassouvis qui ont projeté sur Dieu leurs propres problèmes.

Cette interprétation vous paraît un peu grosse? Je vais en proposer une autre. Je la donne cependant comme valable quand je vois à quel point une crainte obsessionnelle du sexe règne dans toute la théologie et la piété du christianisme catholique. On en reparlera.

Pour en revenir aux touristes dans les églises, leur tenue décente peut aussi s’expliquer par un souci pastoral. Il y a là des fidèles venus pour se recueillir. Il est normal de ne pas les distraire par des attitudes et un accoutrement destinés aux jeux de plage plutôt qu’à la vie intérieure.

De toute façon, ma protestation voudrait être équilibrée. Il existe un sentiment général de convenance que l’on doit respecter. Le langage des cours de récréation n’est pas celui d’un conférencier scientifique. L’infirmière n’a pas les mêmes gestes avec ses patients qu’avec ses enfants. A ce titre, je comprends qu’on ne se balade pas dans un lieu de culte comme dans un camping. Mais pas non plus dans un musée, pas non plus au théâtre. J’approuve la diversité des comportements adaptés aux lieux et aux milieux fréquentés. Ce qui m’inquiète, c’est la méfiance et la crainte ressenties dans certains cercles religieux à l’égard de la réalité humaine concrète, matérielle, physique.

Célibat ou chasteté  

J’ai lu un jour sous la plume de Jacques Pohier un aveu qui m’a amusé. Ce théologien catholique confessait avoir ressenti un choc lorsqu’il était tombé sur une phrase écrite par un historien du christianisme : Jésus était probablement célibataire. Probablement? Mais ne devait-il pas l’être pour réaliser pleinement sa nature de Fils de Dieu?

Ici les protestants ne sont pas toujours en meilleure posture que les catholiques.

L’idée que Jésus aurait pu être veuf, ou avoir vécu une aventure amoureuse dans sa jeunesse, paraît scandaleuse à beaucoup de croyants. Je n’affirme pas la chose, nous n’en savons simplement rien. La question est seulement celle-ci: si cela était arrivé, est-ce que Jésus serait moins Jésus?

C’est une question révélatrice. Si nous tenons absolument à l’idée que Jésus fut toujours vierge, c’est le signe que pour nous la divinité ne fait pas bon ménage avec la sexualité. Toujours le même trouble que celui dont j’ai fait l’aveu au début de mon article.

Il faut alors s’interroger sur la conception virginale de Jésus. Son récit se trouve dans les évangiles de l’enfance chez Matthieu et chez Luc. Aucune autre allusion dans le Nouveau Testament.

La virginité mythique  

L’affirmation que Jésus n’est pas né d’un père humain est selon toute vraisemblance le résultat d’une élaboration théologique et non d’un constat biologique. Car si Marie avait été l’objet d’un tel miracle, elle et sa famille n’auraient pas eu tant de peine à reconnaître le ministère de Jésus. En outre, ce fait aurait été connu des premiers chrétiens, aurait fortifié leur foi, de telle sorte que nous en aurions au moins quelques témoignages, notamment chez l’apôtre Paul ou l’évangéliste Jean, si attentifs à proclamer Jésus comme Fils de Dieu.

Je ne retiens donc pas la réalité historique du fait. Il est plutôt arrivé que parmi les théologiens des débuts de l’Eglise qui cherchaient sans cesse à mieux cerner la personne de Jésus-Christ quelques-uns ont voulu souligner son origine divine en reprenant à son sujet un thème mythologique familier à leur époque, la conception virginale. Quoique se présentant comme un récit, c’est une affirmation de type théologique, formule parmi d’autres formules, comme l’épître aux Hébreux comparera le Christ à Melchisédek, le quatrième évangile le désignera comme le Verbe préexistant à la création, etc.

Tout ceci pour revendiquer notre liberté d’appréciation en la matière. Parmi toutes les interprétations, toutes les images du Christ que nous a laissées le Nouveau Testament, certaines nous parlent plus que d’autres. Certaines tiennent la route dans le champ de la culture contemporaine, d’autres ne nous paraissent plus tellement évidentes.

Pour moi, la conception miraculeuse appartient à ces dernières.

La divinité de Jésus  

Mais ceux qui l’ont inventée et lancée, et Matthieu et Luc qui l’ont reprise dans leurs évangiles, ne tombent pas forcément sous le coup de la protestation de cet article. Ces théologiens n’insinuent pas que l’acte sexuel était d’emblée exclu pour la naissance du Christ. Ce n’est pas la virginité de Marie qui les intéresse mais la divinité de Jésus. Les récits évangéliques laissent supposer que Marie aura d’autres enfants. Il s’agissait donc simplement de marquer avec force le lien intime qui unit Jésus à son Père. L’intervention du Saint-Esprit à sa naissance exprimait cela mieux (selon ce point de vue et pour un certain public) qu’une vocation purement spirituelle.

Quoi qu’il en soit de l’intention des initiateurs de cette doctrine, j’observe aujourd’hui deux réactions opposées.

D’un côté, on rigole franchement. Notre troubadour régional Julos a pondu sur cette histoire un délicieux texte humoristique où l’ange de l’annonciation se voit attribuer un rôle plus actif que d’être simplement porteur d’un message… Dans une culture où les récits de miracles sont d’avance suspects, cette réaction est normale et saine.

Si on ne se moque pas, on s’indigne. J’entends une chrétienne déclarer dans un groupe de foyers que le récit de la conception virginale est une insulte à la maternité et aux couples.

Mais par ailleurs, quelle aubaine pour les esprits complexes dont je traque ici les obsessions! La peur du sexe a trouvé et trouve dans cette affaire un aliment inépuisable.

Il est d’abord révélateur que les brèves notices des évangiles de l’enfance, entièrement isolées et sans aucun écho dans le reste du Nouveau Testament, aient donné lieu a une mention complète et explicite du Symbole des Apôtres: “il a été conçu du Saint-Esprit et il est né de la Vierge Marie”. Il faut croire qu’on y tenait!

Révélateur aussi le nom donné couramment à la mère de Jésus. “La Vierge”, c’est donc ce seul accident de l’effacement de Joseph pour la naissance de Jésus qui résume toute la destinée de Marie!

Une virginité héréditaire  

Dans le culte et la dogmatique catholique, le refus morbide de la sexualité est poussé jusqu’au délire; il faut que Marie soit restée vierge même après la naissance de son fils et qu’elle n’ait bien sûr plus jamais enfanté. Il faut que ses propres parents l’aient conçue “sans péché”. Une telle insistance sur ce genre de réalité - ou plutôt de chimère - ne frappe peut-être pas les croyants nés au milieu de ces fables, mais à mesure que la culture se sécularise il y a toujours plus de gens pour s’étonner et s’effrayer de cette obsession.

On voudrait espérer que le christianisme s’en guérira. Que des réactions comme celles que je viens de mettre sur papier vont gagner les catéchismes, les chaires de vérité, et rendre vigilant les croyants qui veulent rester sains d’esprit.

On voudrait l’espérer.

Mais la résistance a de profondes racines. Elle n’existe pas seulement chez les clercs catholiques trop respectueux de leurs antiques traditions. Qu’une même personne puisse faire l’amour et puis peu après consacrer le corps et le sang du Christ, voilà qui continue à troubler l’imagination du bon peuple de l’Eglise.

Je disais bien: notre paganisme instinctif n’est pas facile à éradiquer. J’en fis l’expérience moi-même, un certain dimanche de mars, lorsque la future mère de Déborah vint se placer derrière la table de communion…

Pierre Le Fort, théologien protestant, Genval avril 1993,
VIVRE 93/2  



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