| Pierre A. Bailleux
 Autrement dit, il n'y a jamais eu UN protestantisme. 
              La volonté d'unifier ou d'unir ou d'uniformiser les diverses 
              tendances n'est cependant pas récente. Dès le 16e 
              siècle, la plupart des réformateurs, bien installés 
              dans leurs fiefs, oublieront parfois leurs principes et tomberont 
              dans l'ornière de l'uniformisation et ses conséquences 
              désastreuses pour la liberté de pensée. Dès la Réforme, Martin Luther, Carlostadt, 
              Thomas Münzer, Jean Calvin, Ulrich Zwingli, Michel Servet, 
              Sébastien Castellion, Lelio et Fausto Paolo Sozzini (pour 
              n'en citer que quelques-uns), ne se référent pas aux 
              mêmes critères théologiques et/ou philosophiques. 
              La passion 
              irraisonnée va d'ailleurs les amener se combattre de 
              triste manière. Pourtant, ils ont tous un point commun qui 
              a été porteur de notre modernité, c’est 
              la liberté de conscience doublée du libre examen. 
              La doctrine luthérienne du libre examen permettait évidemment 
              à chacun de juger et de contester toutes les doctrines. Cette 
              liberté a évidemment favorisé des essaimages, 
              des dissensions et des scissions. En substituant à la religion 
              d'autorité le libre examen, Luther avait lancé une 
              vraie révolution. A un tel point que des humanistes comme 
              Erasme s'en inquiétèrent et prirent leurs distances. 
              Erasme n'a-t-il pas fait "patte blanche" devant Rome en 
              publiant en 1526 les Hyperaspites Ainsi, le terme 'protestantisme', est devenu le terme 
              générique et désigne toutes les dénominations 
              qui trouvent dans les réformes religieuses et sociales du 
              16e siècle leur origine spirituelle sinon historique.  Paul Tillich (1), affirme que le principe protestant 
              de la 'négation' est celui qui confère son identité 
              propre au protestantisme. Non pas une négation stérile 
              et vaine par rapport à d’autres religions ou idéologies 
              en place, mais une négation d’une foi confortablement 
              installée, définitive, sans remise en question. N’est-ce 
              pas là ce qu’affirme la devise protestante: Une église 
              réformée, toujours en voie de réformation ? 
              C’est-à-dire le combat contre toutes les idoles dogmatiques 
              ou doctrinaires par un approfondissement de la foi en Dieu - le 
              Dieu de la Bible. Pour le dire de manière plus positive, 
              c’est tout ce qui peut favoriser un remue-ménage de 
              la pensée religieuse.  À cette contestation des 'idées', il 
              faut ajouter celle du pouvoir temporel et des institutions. C’est 
              ce principe qui est à l’origine des segmentations, 
              des scissions internes du protestantisme, ou tout simplement… 
              du pluralisme. Rappelons que le protestantisme est apparu au début 
              du XVIe siècle et a voulu être un retour aux sources. 
              Dès le départ, il s'est opposé aux ajouts de 
              la tradition et à la hiérarchisation de la société 
              ecclésiastique en se présentant comme la religion 
              de la liberté et de la modernité.  Aujourd’hui, la relativisation de cette identité 
              protestante dans un monde pluraliste a amené certains à 
              le qualifier de ‘confession sans frontière’. En 1992, Budapest recevait deux
                cent cinquante délégués 
              venant de quatre-vingts églises protestantes européennes. Le transylvanien magyar de Roumanie, Laslo Tökesh confiait 
              qu’il “n’était pas satisfait de l’ambiance 
              générale du protestantisme. Les catholiques, les juifs, 
              les orthodoxes affirment fièrement leur identité. 
              Il n’y a que les protestants qui ont des états d’âme 
              à ce propos”.
 Réponse de son voisin lituanien : “Moi, je 
              ne sais pas très bien ce qu’est l’identité protestante”.
 Dans un couloir, un luthérien suédois s’interroge, 
              désolé : “Au fond, tous ces gens-là, qu’est-ce qu’ils ont en commun?”(2).
 Le protestantisme: incernable
                tant il est divers. A moins que son seul ciment ne soit dans
                une sorte de passion de
              sa diversité. Marqué par l’esprit démocratique, 
              au point qu’il l’a introduit dans la société 
              civile, il voit toujours avec suspicion tout ce qui pourrait être
              unificateur.  Il est utile de définir les principes de la 
              Réforme pour mieux répondre à la question de 
              savoir dans quelle mesure le protestantisme intègre ou non 
              des sectes appelées trop souvent mouvements religieux (3). 
              Nous le ferons dans un prochain article: "Les Principes de 
              la Réforme". Pierre A. Bailleux  (1) Paul Tillich, 
                The Protestant Era, Chicago, 
              Phoenix Books, 1957, introduction pp VII et VIII. (2)Jacques Mouriquand 
              et Laurence Pivot, L’Europe des protestants 
              de 1520 à nos jours,
              J-Cl. Lattès, Paris, 1993, p. 14
 (3)En résumé, selon moi :
 - Les Réformés :
              luthériens, radicaux, calvinistes, libéraux, unitariens, 
              barthiens et néo-barthiens.
 - Les mouvements issus de la pré-réforme et influencés dans leurs principes par la Réforme: 
              vaudois, hussites, frères moraves.
 - Les églises ou mouvements issus de l’anglicanisme: baptistes, méthodistes, mennonites, salutistes, 
              darbistes, pentecôtistes, piétistes,
 - Les “évangélicals”, mouvements de plus 
              en plus structurés en Europe, qui nous arrivent des pays
              anglos-saxons
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