Pierre A. Bailleux
• Affirmation
- Tous
des hérétiques
• Critique
- L'Église
catholique et apostolique romaine
- Les nouveaux
catholiques
- Les
protestants et les évangéliques
• Petite note finale
"Nous
ne reconnaissons d'autre pouvoir que la prééminence
du vivant. Partout ou la volonté de vivre et sa conscience
s'arrogent une souveraineté sans partage la notion même
de droit s'efface d'elle-même. Il nous suffit d'être
humain pour atteindre à la conscience de ne l'être
jamais assez."
Raoul Vaneigem, Critique de la déclaration
des droits de l'homme
Affirmation
L'attachement aux principes de la Déclaration
des Droits de l'Homme et du Citoyen
de 1789 et la Déclaration Universelle des Droits
de l'Homme de 1948 n'est certes pas l'apanage du protestantisme.
Mais l'esprit de la Réforme les postule, les commande, comme
s'ils s'inscrivaient forcément dans la logique de sa pensée
spécifique. Il me plait de rappeler ici l'étroite
parenté qui les relie.
La Réforme du 16e siècle,
conteste l'autorité de l'Église catholique et apostolique
romaine par l'interprétation personnelle de la Bible, elle
inaugure l'ère moderne faisant de chaque individu un être
responsable. La protestation de Luther annonçait le droit
reconnu à chacun de sa liberté de conscience et le
devoir d’exercer un esprit critique sur tout, dans tous les
domaines.
Ainsi, le joyau du protestantisme - son principe fondateur,
dirais-je - est sans nul doute la liberté de conscience, et son outil intellectuel, le libre examen.
Sébastien
Castellion, Pierre
Bayle et John
Locke,
ont largement inspiré Thomas Jefferson et John Adams, secondé par
Benjamin Franklin, dans la Déclaration d'Indépendance
Américaine (4 juillet
1776).
-
Tous des hérétiques
Sébastien
Castellion (1515-1563), protestant unitarien,
dénonce l'intolérance de Calvin suite à l'exécution
de Michel Servet (unitarien) à Genève, en 1553. Ses écrits
(De
haereticis et Arte Dubitandi) influenceront John Locke.
Pierre Bayle
(1647-1706), protestant unitarien, prend connaissance à Amsterdam des écrits
de Castellion. Il procède à une critique radicale
des religions. Il annonce le siècle des Lumières,
celui de Locke et de Voltaire dont il sera l’inspirateur,
de Rousseau, de Condorcet, le siècle dont l’aboutissement
sera la Révolution française. Bayle fut incontestablement
le grand théologien de la liberté de conscience. Il
voyait en elle le fondement de l'idée de tolérance,
même si, pour lui, il reste légitime d'imposer une
orthodoxie de croyance aux membres d'un groupe religieux.
John Locke
(1632-1704), protestant unitarien, cherche à cerner dans sa Lettre
sur la tolérance les
limites politiques, étatiques et critiques de la liberté religieuse.
Mais force est de reconnaître que son système était
encore bien imparfait. Locke ne parvint jamais à inclure
les athées dans sa théorie de la tolérance.
Avec l'appui d'Isaac Newton (protestant unitarien),
il fait connaître les idées unitariennes à travers
l'Europe. Voltaire lui-même en fait la publicité dans
les Lettres sur la nation anglaise.
Thomas
Jefferson
(1743-1826), protestant unitarien, principal rédacteur de la Déclaration
d'Indépendance de 1776,
ministre plénipotentiaire des Etats-Unis à Paris entre
1784 et 1789, a été consulté lors de la rédaction
de la Déclaration des Droits de l'Homme et du
Citoyen.
Deuxième président des Etats-Unis.
John
Adams
(1735-1826), protestant unitarien, est co-rédacteur de la Déclaration
d'Indépendance. Troisième
président des Etats-Unis.
Benjamin
Franklin
(1706-1790), protestant unitarien, est co-rédacteur de la Déclaration
d'Indépendance.
Critique
Liberté de conscience et liberté religieuse,
si elles sont intimement liées, ne recouvrent cependant pas
la même problématique. Certes, l'affirmation de la
liberté religieuse a été à l'origine
de l'idée plus générale de liberté de
conscience. Au sein du christianisme, les catholiques, les orthodoxes
et les évangéliques revendiquent haut et fort, quand
ça les arrange, la liberté religieuse, et jamais la
liberté de conscience… surtout pour les autres.
•
L'Église catholique et apostolique romaine
L'institution romaine, aujourd'hui
encore, n'a toujours pas fait sienne la liberté de pensée.
Je pense à Juan
José Tamayo-Acosta qui a été condamné
en janvier 2003 par la Commission épiscopale pour la Doctrine
de la Foi, organisme de la Conférence épiscopale
espagnole, pour son livre Dieu et Jésus. Elle lui reproche entre autres de reproduire l'hérésie
d'Arius qui refusait de reconnaître la divinité de
Jésus. (Encore un unitarien !). il est donc toujours «
théologiquement et ecclésiologiquement non correct
de débattre de documents pontificaux comme s'il s'agissait
d'opinions parmi d'autres alors qu'ils expriment la Vérité
établie par le Magistère.»
(Cardinal Ratzinger). (1)
Je pense aux anathèmes portés contre
les homosexuels, ou contre ceux qui pratiquent l'IVG ou l'euthanasie
et aux exhortations du "Magistère" auprès
des législateurs catholiques européens les appelant à "revendiquer le droit à l'objection de conscience
[pour] s'abstenir de toute forme de coopération formelle
à la promulgation ou à l'application de lois si gravement
injustes". (2)
À propos des fondements des Droits de l'Homme,
je ne tiens pas à garder sous le boisseau le rôle de
théologiens catholiques tels le franciscain Guillaume d'Occam
(1290-1349) ou le dominicain Bartolomé de las Casas (1474-1566),
mais ces attitudes furent des réactions individuelles. Retenons
que si l'unité du protestantisme se situe au niveau des principes,
sa diversité à celui des doctrines, l'unité du
catholicisme, elle, se situe au niveau des dogmes.
•
Les nouveaux cathos
"Non pas une autre Église, mais une
Église Autre".
Tel est le slogan de ces catholiques qui se sentent mal au sein
de l'ECAR.
Ils rejettent le dogme de l'infaillibilité papale. Leurs
revendications principales sont celle du mariage des prêtres
d'abord, de l'insertion des homosexuels au sein de l'Église
ensuite. D'autres découvrent ce que les protestants avaient
affirmé il y a bientôt cinq siècles. Mieux
vaut tard que jamais.
L'immense majorité des ces sympathiques "chrétiens"
(c'est ainsi qu'ils se présentent, excluant ou incluant des
hérétiques tel votre serviteur) ne remettent nullement
en question les autres dogmes tel la divinité du Christ,
ou celui de "Marie, mère de Dieu", etc.
Depuis Vatican II et fortement
influencé par
Hans Küng, mais surtout par les théologiens de la libération
tel Genesio Darci (l’ex-dominicain Leonardo Boff), et par
le sociologue, le Chanoine François Houtart, de nombreux
"nouveaux cathos" sont bien souvent à la pointe
de la lutte pour le respect des Droits de l'Homme.
•
Les protestants et les évangéliques
Par l’Édit de Nantes 13 avril 1598),
la liberté de conscience est enfin reconnue à ceux
que l’on appelle de la RPR (religion prétendue réformée).
Ce fut un acte de "tolérance". Le pasteur protestant,
Rabaut-Saint-Etienne, lors de l’Assemblée Constituante
française en 1789, c’est-à-dire deux siècles
plus tard, la rejetait si brillamment, cette tolérance, que
j’aimerais vous faire partager son intervention.
« Vos principes sont que les libertés
de la pensée et des opinions est un droit inaliénable
et imprescriptible. Cette liberté, Messieurs, elle est la
plus sacrée de toutes, elle échappe à l’empire
des hommes, elle se réfugie au fond de la conscience comme
un sanctuaire inviolable où nul mortel n’a le droit
de pénétrer, elle est la seule que les hommes n’aient
pas soumise aux lois de l’association commune. La contraindre
est une injustice, l’attaquer est un sacrilège.
Je réclame, pour deux millions de citoyens
utiles, leurs droits de Français. Ce n’est pas la tolérance
qu’ils demandent : c’est la liberté.
La tolérance ! le support ! le pardon !
la clémence !… idées souverainement injustes
envers les dissidents, tant il est vrai que la différence
de religion, que la différence d’opinion n’est
pas un crime.
La tolérance ! je demande qu’il soit
proscrit à son tour, et il le sera, ce mot injuste qui ne
nous présente que comme des citoyens dignes de pitié,
comme des coupables auxquels on pardonne !…»
L'histoire ne manque malheureusement
pas d'exemples où le protestantisme a été infidèle
à son principe fondateur. Or il serait tellement confortant
d'acquiescer à ce que dit Élisabeth Badinter : « Là où est le protestantisme, là
naît la liberté ». Cette déclaration
s'avère particulièrement hypothétique, surtout
ces cinq dernières décennies où fleurissent
des mouvements et églises évangéliques de
type fondamentaliste.
26 octobre 1553. Michel
Servet, né en Espagne en 1511, fils de marranes (juifs
qui ont été convertis de force au catholicisme), médecin
et théologien unitarien de génie, mourait sur le bûcher
allumé avec la complicité active de Calvin, le magistère
de Genève.
2003. Force est de constater
qu'au sein même
des églises dites "protestantes" la liberté
de conscience liée au libre examen, ce principe fondateur
de la laïcité, sent aujourd'hui le souffre. Seraient-elles
engourdies par une sorte d'Alzheimer théologique incurable
? Dieu seul le sait.
Petite note
finale
Vous aurez été étonnés
ou même agacés par la redondance du terme
« unitarien ». C'est bien. Vous ne pourrez désormais
plus ignorer une des branches les plus anciennes du christianisme.
La plupart des auteurs présentent l'un ou l'autre unitarien
sous le vocable de « déiste » ou d'« humaniste
». Vous voulez en savoir plus ? Cherchez et vous trouverez
!
Pierre A. Bailleux, Revue
Vivre n° 10 d'octobre
2003, Ed. Espace de libertés. Bruxelles, 2003, pp.31-36
(1) Cf. l'Osservatote
romano du 2 février 1996
(2) Document de la Congrégation pour la doctrine de la foi,
31 juillet 2003
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