7) l'Académie de Rakow
Permettez-moi, avant de conclure, de dire un mot d'une des célèbres
réalisations des Frères polonais.
Ces chrétiens
non trinitaires n'ont jamais été très
nombreux. Sur une population totale de sept millions et demi d'habitants
de la République, le spécialiste Ambroise Jobert
dénombre entre 20 et 40.000 Frères, répartis
en un peu plus de 200 églises locales souvent très
dispersées. Sauf en pays germanophone, les fidèles
sont essentiellement des bourgeois cultivés et des nobles,
sans grande assise populaire, ce qui constituera leur principale
faiblesse.
Cependant, leur prestige national et international leur
vint d'une petite localité située à une centaine
de kilomètres
de Cracovie, proche de Sandomir, Rakow. La bourgade avait été fondée
de toutes pièces en 1569 dans une région déserte
et boisée donnée par le Palatin de Podolie, Siéninski,
aux premiers non trinitaires radicaux. Puis elle a vivoté.
En
1699, le fils du Palatin, Jean Siéninski, se convertit
du calvinisme au socianisme. À son initiative, une nouvelle
impulsion va être donnée à ce gros village
campagnard. Désormais, les synodes des Frères s'y
tiendront régulièrement, rassemblant jusqu'à 400
délégués auxquels se joignent de nombreux étrangers,
hongrois, allemands, tchèques, hollandais et même
français. Une grande église y sera édifiée,
confiée au savant allemand Smalcius.
Mais c'est surtout à son
imprimerie et à son Académie
que la ville de Rakow, seule localité peuplée uniquement
de non trinitaires, devra son renom et ses surnoms de "Jérusalem
sarmate" ou de "Genève arienne".
Les presses de Rakow avaient été rapatriées
de Cracovie où la persécution devenait trop pressante.
Sous la direction d'Alexis Rodecki et de son gendre, on estime à 255
le nombre de volumes publiés. Sous un petit format et avec
des caractères très lisibles, c'est toute l'œuvre
de Socin et de ses disciples : Moscorovius, Przypkowsi, Wiszowaty
(petit-fils de Socin), Schlichting, les allemands Crell, Völkel,
Stegmann, etc…
Ces volumes furent colportés dans toute
l'Europe et influencèrent
allemands, hollandais et anglais, même après la disparition
de l'Ecclesia Minor.
L'Académie, quant à elle, donnait
une éducation
universitaire très réputée, si bien que plus
de mille étudiants s'y pressaient, y compris des calvinistes
et des catholiques. Il n'existait nulle part en Pologne, d'enseignement
de si haut niveau. Les études duraient cinq ans. Elle comprenaient
la théologie, une solide formation morale, les mathématiques,
les sciences naturelles et aussi les travaux manuels. L'astronomie
y avait une place notable avec l'enseignement d'éminents
disciples unitariens de Copernic, Kepler et Typho Brahé.
Il était indispensable que le cursus soit complet, car les étudiants
de Rakow n'étaient pas admis dans une autre université.
Après
la disparition des Rakowiens, les étudiants
secrètement enfuis à l'étranger constituèrent
les meilleurs missionnaires pour la propagation et la survie des
idées sociniennes. Ils portaient au cou la "Médaille
de reconnaissance des Frères polonais" que plusieurs
d'entre nous arborent encore aujourd'hui.
Albert
Blanchard-Gaillard,
historien
Lire la suite dans
:
" Persécutions
et survie des idées "
|