Albert Blanchard-Gaillard
La dénonciation à l’Inquisition
romaine
En 1546, Servet avait cru bon de correspondre avec Calvin en une
trentaine de lettres où d’ailleurs il critiquait vivement
ses thèses et en des termes peu aimables, et même
parfois insultants (Calvin, qui avait cessé de répondre
dès
la 25e lettre, avait conçu une haine inextinguible contre
le médecin espagnol). Pour terminer, et très imprudemment,
Servet adresse à Calvin les premières épreuves
de sa Restitution du Christianisme.
Or, un mois avant l’impression clandestine du livre à Vienne,
alors qu’un exemplaire est parvenu à Genève,
le 26 février 1553, Guillaume de Trie - compatriote réfugié et
ami de Calvin – dénonce Michel Servet auprès
d’un de ses cousins, Antoine Arneys, catholique fanatique,
qui s’empresse de prévenir le vicaire général
du cardinal de Tournon qui, lui, saisit Matthieu Ory, inquisiteur
général
du royaume de France.
Les cinq premières pages sont jointes à la lettre.
Les poursuites se mettent en branle. Mais, de Vienne, on réclame
plus de preuves pour convaincre Michel Servet qu’il est bien
Michel de Villeneuve (son pseudonyme employé pour la Restitution
du Christianisme).
Le 26 mars, avec l’aval obligatoire de Calvin, parviennent à l’Inquisition –par
de Trie- la plupart des lettres manuscrites de Servet à Calvin,
qui ont été reproduites à la fin du livre
de Servet. De Trie signale à son cousin : « j’ai
eu grand peine à retirer ce que je vous envoie de M. Calvin,
non pas qu’il ne désire que de tels blasphèmes
ne soient réprimés.»
Ainsi, Calvin, par l’intermédiaire d’un de
ses proches partisans, dénonce un protestant, certes radical, à l’Inquisition
romaine qui prononcera une condamnation à mort. Mais Servet
réussit à s’enfuir et, ignorant cette dénonciation,
se dirige vers Genève…
En 1554, irrité par les accusations qui montent contre
lui pour la manière infâme dont il a traité « l’affaire
Servet », Calvin publie une « déclaration… comme
quoi il est licite de punir les hérétiques et, qu’à bon
droit, ce méchant a été exécuté par
justice en la ville de Genève. ». Il y marque, entr’autres
: « le bruit vole çà et là que j’ai
pratiqué que Servet fût pris en la papauté, à savoir à Vienne. ».
Il s’en défend mollement, disant qu’il est impensable
qu’il ait communiqué par lettre avec « Belial ».
Certes, ce n’est pas lui qui les a écrites.
2 – L’arrestation de Michel Servet
Le 13 août 1553, Servet est arrêté au Temple
alors qu’il écoute prêcher Jean Calvin. Or,
le 15 février
1546, Calvin avait écrit à Guillaume Farel : « il
déclare qu’il viendra ici, si cela me plaît.
Mais je ne veux pas lui donner ma parole car, s’il vient,
pourvu que mon autorité puisse prévaloir, je
ne souffrirai pas qu’il s’en retourne vivant ! ».
On voit la ténacité de la haine calvinienne.
3 – Le procès
Ses Actes ont été intégralement conservés.
Il est facile de démontrer qu’il est conduit de bout
en bout par le dictateur théocrate de Genève, qui
donne de la voix et ranime l’ardeur des juges du Petit-Conseil
quand il voit que celui-ci se modère et que le procès
pourrait aboutir à un simple bannissement. Or ce que veut
Calvin, c’est
non seulement la mort, mais l’humiliation et le supplice
le plus cruel.
La procédure (genevoise) stipule que dans un procès
criminel, l’accusateur doit se rendre prisonnier avec le
prévenu,
de sorte que si l’accusation est reconnue fausse, l’accusateur
subisse le châtiment qu’aurait mérité le
coupable. On conçoit que Calvin ne daigne jouer un tel rôle
! Il y délègue un de ses secrétaires, le réfugié français
Nicolas de la Fontaine. Mais c’est Calvin qui, de sa main,
rédige les trente-huit articles dont se composera la plainte.
Nicolas de la Fontaine sera d’ailleurs rapidement dispensé de
prison, sous la caution d’Antoine Calvin, frère du
réformateur.
- Le 3e jour, le jeudi 1er août, c’est Calvin lui-même
qui va mener l’interrogatoire.
- Le 21, après une interruption, c’est encore Calvin
secondé des
pasteurs de Genève qui mène les débats.
Le 24 août, « vu qu’il sait si bien mentir »,
on refuse à Servet l’aide d’un avocat connaissant
les règles de la (très élastique)procédure
genevoise.
- Le 27, à saint-Pierre, Calvin prêche férocement
contre Servet.
- Le vendredi 1er septembre, le dernier interrogatoire se déroule
dans la prison de l’Evêché, toujours en présence
de Calvin. Le Petit-Conseil décide que Servet et Calvin
auront à s’affronter
par écrit. Cette controverse, écrite en latin,
sera transmise aux Églises de Suisse pour qu'elles appuient
Calvin. Ce dernier, par la suite, la traduira en français
dans sa « Déclaration » (de
défense) citée plus haut.
- Le 18 septembre, la procédure qui dure plus d’un
mois est légalement terminée.
- Le 10 septembre, Servet adressait une requête demandant
qu’on
veuille bien changer ses vêtements et chauffer son cachot.
Il n’en est rien fait.
- Le 26 octobre Servet est condamné à « estre
brûlé tout
vif, ainsi que ses livres ». Sous les railleries de Calvin,
un juge libéral, Amied Perrin, tente de sauver Servet de
la peine capitale. Calvin, dans un accès subit d’humanité (ou
pour d’autres raisons) péférerait que Servet
soit décapité.
- Le 27 octobre a lieu, à la demande de l’espagnol,
une ultime entrevue avec Calvin. Celui-ci se retire de la cellule
en
disant : « voyant que je ne profiterais rien par exhortations
(que mes exhortations ne produiraient pas d’effet), je me
retirai d’un hérétique condamné de soi-même ».
Calvin, on le sait, n’assista pas au supplice de sa victime.
Il y délégua Guillaume Farel dont le comportement
fut, comme le disait Erasme, celui d’un homme “arrogant
et effronté”. Calvin, après l’exécution,
se fera rembourser par le Tribunal, sur l’argent du martyr,
les livres dont il s’est servi pour la controverse.
Le sang du médecin antitrinitaire ne sera pas le seul que
l’autocrate religieux aura sur les mains. D’août à septembre
1555, quatre de ses adversaires politiques au Grand-Conseil, certains
issus des meilleures familles de la ville, seront exécutés
ou bannis.
Albert Blanchard-Gaillard, Historien
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