Albert
Blanchard-Gaillard Explorateur et savant,
humaniste
et chrétien libre
Théodore Monod
est né le 9 avril 1902 à Rouen d'une longue lignée
"maraboutique", disait-il, de pasteurs protestants qui
débutait au 18e siècle. Son père,
Wilfred, homme lui-même remarquable, ayant épousé
sa cousine, Théodore affirmait, avec son humour décapant,
qu'il était "le résultat des dégâts
que peuvent faire les mariages consanguins".
Qu'on en juge: renvoyé
de l'école à cinq ans pour impertinence, il fréquente
quotidiennement le Muséum d'Histoire naturelle (qu'il ne
quittera plus jusqu'à sa mort); à 15 ans, il crée
une Société d'Histoire naturelle et une revue. Bachelier
à 16 ans, licencié de Sciences naturelles à
18, il est aussitôt recruté pour une première
expédition océanographique.
C'est le début
d'une longue et exceptionnelle carrière de savant, de naturaliste
et d'explorateur. Docteur ès sciences à 24 ans, il
est assistant, puis professeur au Muséum d'histoire naturelle
de Paris de 1922 à 1974. Directeur de l'Institut Français
d'Afrique Noire de 1938 à 1965, il est doyen de la Faculté
des Sciences de Dakar de 1957 à 1959. Il est élu membre de l'Académie
des Sciences en 1963.Mais plus que par ces titres prestigieux, c'est
par ses activités sur le terrain qu'il est connu: océanographe,
il plonge en 1954 à -1450 m avec le bathyscaphe du Pr. Picard;
il est aussi bien zoologiste, botaniste, géologue, ethnologue.
Il a parcouru les déserts de long en large depuis 1923 (
sauf de 1930 à 34 pour cause de mariage et de paternité,
et sauf pendant la seconde Guerre mondiale).
Il m'est impossible de
rendre compte du nombre exact de ses explorations qui en font le
fondateur de "l'érémologie" , ou science
des déserts. En 1991, à 89 ans, il conduit encore
cinq expéditions, de janvier à décembre, pour
une durée de 75 jours. Il est capable de parcourir à
pied 900 km d'un point d'eau à l'autre. Quand la maladie
le terrassera, le 5 décembre 1999, ce sera le jour prévu
d'un nouveau départ pour la Mauritanie.
Théodore
Monod est aussi un homme de convictions, dans la lignée d'Albert
Schweitzer pour le Respect de la Vie: contre l'armement atomique
et la guerre, contre les brutalités de la chasse et de la
corrida, pour la protection la meilleure des hommes, des animaux
et de la nature. Il ne se contente pas de déclarations, il
est de toutes les marches, jeûnes de protestation ou occupations
de sites.
C'est aussi un homme de
foi : il reste fidèle aux attaches protestantes libérales
de ses parents (il sera président du conseil presbytéral
de l'Oratoire du Louvre) , tout en en regrettant la timidité
et l'affadissement. Lui se considère comme un "libertaire
chrétien" ou un "chrétien libre", "qui
a des convictions spirituelles et qui, au nom même de ces
convictions, cherche à s'affranchir et à affranchir
les êtres humains de tous les esclavages qui les menacent…".
Nous nous sommes trouvés ensemble, il y a 15
ans, sur les sentiers peu fréquentés du christianisme
libre. Lui aimait à se dire "chrétien pré-nicéen".
Il entendait par là qu'il acceptait tout ce qui a précédé
le "concile" de Nicée en 325, mais aucun des dogmes
élaborés partir de cette date, pas plus que l'organisation
étatique et autoritaire du christianisme.
Théologiquement, c'était un chrétien
non-trinitaire (ou unitarien). Il était d'ailleurs Président
d'honneur de l'Assemblée fraternelle des Chrétiens
unitariens. Théodore était tout à fait partisan
"d'être fidèle au plus pur esprit du christianisme",
qui pour lui n'était pas un drapeau tribal, une forteresse
d'où agresser les autres, comme le font les fanatiques religieux
en Irlande, en Bosnie ou en Israël-Palestine. Il était
bien loin de tous les intégrismes, lui qui ne polémiquait
jamais et, en matière de croyance disait souvent: "je
ne sais pas", y compris en ce qui concerne l'après mort.
C'était un des plus purs et des plus hauts "cherchants"
, et dans cette recherche, jusqu'au bout, il s'engagea totalement,
de corps et d'âme. Ce qui pour lui était le cœur
de sa foi, et de l'enseignement du "rabbi Iechouah", c'était
le Sermon sur la Montagne et les Béatitudes : "Heureux
les Pauvres par l'Esprit, les affligés, les cœurs purs, les pacifiques, Béatitudes que
dans le cadre de la Fraternité spirituelle des Veilleurs
(en grec grégoroï) il récitait tous les jours
dans le texte grec, tout en jeûnant la totalité du
vendredi.
Nous, à qui il avait fait l'honneur d'accorder
sa confiance et son amitié, et qui travaillions spirituellement
avec lui, nous étions éblouis par la vivacité
d'esprit de ce jeune homme de plus de quatre-vingt dix ans, gêné
"seulement" par sa cécité et des rhumatismes.
Nous l'aimions et le vénérions. Il inspirait, et inspire
toujours notre recherche.
Il a comme il disait souvent "passé sur
l'autre rive" , rendant ainsi "la barque prêtée".
Mais si ce corps qu'il a si peu ménagé est maintenant
inerte, son esprit est, et sera toujours, vivant en nous, ses disciples,
ses amis.
Albert Blanchard-Gaillard, novembre 2000
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