Jacques Cécius
Lorsqu'on évoque l'unitarisme et le socianisme,
souvent on pense qu'il s'agit d'une seule et même chose,
ce qui est faux dans une grande mesure, comme nous allons le voir à propos
du « Catéchisme de Rakow », même
s'ils ont beaucoup de choses en commun.
Les idées sociniennes seraient, selon le « Dictionnaire
des Hérésies dans l'Eglise catholique » (1),
antérieures à Fausto Socin lui-même. En
effet, l'arianisme, cette « hérésie » qui
faillit triompher aux IVe et Ve siècles constitue le point
de départ des idées qui seront reprises par le théologien
italien au XVIe siècle.
Vers la moitié du XVIe siècle déjà,
des gentilshommes de Vicence avaient formé une société au
sein de laquelle les idées unitariennes étaient étudiées
et commentées. Mais elle ne dura que ce que durent les roses
de « l'hérésie » quand Rome
est en position de crosser les déviants, et elle fut dissoute
par les autorités civiles à la dévotion (sic !)
du Vatican. Certains de ses membres furent même exécutés
d'une toute autre façon qu'on exécute une cantate
de Bach…
Parmi ceux qui parvinrent à échapper à ce
triste sort, Lelio Socin, oncle de Fausto, qui s'enfuit en Helvétie
où les calvinistes ne lui offrirent pas une hospitalité des
plus chaleureuse comme
on peut le penser. Il parti donc pour la Pologne où il fut
mieux accueilli, et pu même y prêcher ses idées
antitrinitaires. Mais, au cours d'un déplacement à Zurich
il décéda prématurément en 1562, âgé seulement
de trente-sept ans.
Son neveu Fausto avait hérité de
ses écrits mais, prudent, évita de les répandre
là où il vivait, c'est à dire à la
cour de Florence. Imitant en cela son oncle, il prit le parti de
se rendre en Suisse où, comme on s'en doute, il ne faut
pas non plus reçu à bras ouverts par les rigides
disciples de Calvin. Il s'en alla donc lui aussi pour la Pologne,
plus exactement à Racow. Des anciens du groupe de Vicence
l'accueillirent chaleureusement, et l'aidèrent à mettre
en ordre les papiers de son oncle. Il écrivit le fameux « Catéchisme
de Rakow », quasiment mis le même pied que la
Bible par les sociniens d'alors.
Que dit ce catéchisme ?
La Bible est la seule règle de foi, mais
ne peut être comprise qu'à la lumière de la
Raison - la Trinité, la divinité de Jésus,
le péché originel, les effets des sacrements, l'éternité des
peines, les mystères et les miracles sont à rejeter
- de même pour la création par la seule volonté de
Dieu, la prescience divine, la
Providence - chacun est libre de penser ce qu'il voulait de Jésus :
Fils de Dieu, Logos, etc… parce que formé dans le
sein de Marie, vierge, par le Saint Esprit et que Dieu lui a alors
insufflé son Verbe. Cependant, pour Socin il est tout aussi
bon de croire qu'il est le fils de Joseph et de Marie, mais alors
divinement inspiré. La mort de Jésus est un exemple
pour les hommes, mais nullement une expiation pour un péché originel
qui n'existe pas. En conséquence il ne peut être adoré comme
Dieu. Enfin, à l'encontre des Réformateurs, Fausto
Socin insiste sur les œuvres qui assurent la salut. Il ne retient
que le baptême par immersion et
la cène comme sacrements, ceux-ci étant des aides
utiles pour vivre sa foi. Rien de plus. Quant à la justice
rétributive, elle peut déboucher soit sur une privation
de Dieu, soit sur des peines plus cruelles. Cela étant,
ces peines ne sont pas éternelles. Enfin la résurrection
de la chair est rejetée comme étant incompatible
avec la raison.
Fausto Socin était « objecteur
de conscience » comme nous dirions aujourd'hui. Il interdisait
"d'ester" en justice, d'exercer une fonction judiciaire, de prêter
serment. Il était enfin un adversaire convaincu de la peine
capitale.
Les Pères de l'Eglise, tant latins que
grecs, les conciles, le clergé et l'Eglise romaine en général
il les considérait comme ayant été, ou étant,
inutiles.
Particulièrement tolérants, les
adeptes de Socin donnèrent à leurs groupes la plus
grande autonomie, tant en matière d'organisation que de
doctrine, chaque croyant devant faire appel aux lumières
de sa raison.
Fausto Socin crut un moment
avoir réussit à unifier
le protestantisme en Pologne. Il dû déchanter et se
réfugia chez un ami dans la région de Cracovie, où il
décéda à l'âge de soixante-cinq ans.
Les sociniens continuèrent cependant à faire
des émules, notamment dans les milieux intellectuels. Mais
catholiques et protestants réalisèrent un oecuménisme
contestable pour les persécuter. Il ne leur resta plus qu'à se
disperser dans d'autres pays, Angleterre, Allemagne, Hollande,
etc. Cependant là où ils s'établissaient les
Eglises officielles firent prendre des mesures contre eux.
Comme l'écrit Hervé-Masson « C'est
ainsi que si le socianisme n'existe plus en tant que confession
distincte, il est loin d'être mort idéologiquement.
Il a été et reste à la proue de toutes les écoles « déistes ». »
Pour terminer signalons
une erreur que l'on trouve parfois, comme chez Jean-Charles Pichon
(2) et qui consiste à présenter
Lelio et Fausto Socin comme deux frères.
Le socianisme est
l'œuvre de Fausto, le neveu, le premier n'ayant fait que de
mettre au point un embryon de doctrine.
Jacques Cécius
(1) Hervé-Masson, Sand éd., 1986.
(2) « Histoire
universelles des sectes et sociétés secrètes »,
Lucien Souny éd., 1993.
|