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Persécutions et survie des idées
La persécution contre les Frères était endémique,
surtout dans les villes où ils étaient minoritaires
et non sous la protection de grands seigneurs. À cette persécution,
appelaient sans relâche les calvinistes (qui y succomberont à leur
tour) et, bien entendu, les catholiques ultra majoritaires.
La tradition
royale avait été de tolérance
et d'indifférence devant les pressions de Rome, mais le
succès de la Contre-Réforme et la pénétration
importante des Jésuites en Pologne changèrent progressivement
le climat à la Cour.
On n'attendait qu'un prétexte
pour sévir. Celui-ci
se présenta lorsqu'en mars 1638, on prétendit, à tort
ou à raison, que deux écoliers de Rakow avaient abattu,
au bord d'un chemin, un crucifix à coups de pierres. L'évêque
de Cracovie tint toute la ville de Rakow comme responsable. Le
Sénat décréta la fermeture de l'imprimerie,
de l'Académie et des écoles et… l'expulsion
de Rakow de tous les "ariens". Ceux-ci se réfugièrent
dans d'autres domaines, mais la destruction de l'Unitarisme sarmate était
bel et bien commencée. En 1568, la Diète prit un
arrêt définitif : les Frères devaient soit
se convertir au catholicisme, soit abandonner leurs biens et s'exiler,
sinon ils étaient exécutés.
Ceux qui restèrent
en Pologne firent comme les Marannes en Espagne : converties de
façade, de nombreuses familles
restèrent secrètement unitariennes, les femmes jouant
un grand rôle dans la transmission; Mais au fil des ans,
toute trace de survie du non trinitarisme en Pologne fut effacée.
Un millier de Frères, ayant tout perdu, partit pour la
Transylvanie. Le voyage fut si rude que seule la moitié de
la troupe parvint dans le pays d'accueil où, après
quelques générations, elle se fondit dans l'Unitarisme
transylvain.
Quelques familles fortunées purent passer en
Allemagne ou aux Pays-bas. En Allemagne, elles eurent une existence
précaire
et secrète, traqués qu'elles étaient par les
pasteurs luthériens locaux. Seules des universités
bavaroises, comme Altdorf, furent plus hospitalières.
En
Hollande au contraire, les Remonstrants, protestants
arminiens opposés au dogme de la prédestination,
souvent proche du –socinianisme, secoururent remarquablement
les Frères
Polonais parvenus jusqu'à eux. Ils envoyèrent même
secrètement des subsides en Pologne. Mais leur mérite
le plus éminent fut d'assurer, avec les réfugiés,
la publication des œuvres de Socin et de ses disciples dans
la fameuse "Bibliothèque des Frères
Polonais",
en huit volumes édités à partir de 1665 à Amsterdam.
Des exemplaires de cette publication (en latin) furent répandus
un peu partout en Europe. Spinoza avait la B.F.P.
dans sa bibliothèque.
Wiszowati,
le petit-fils de Socin, fut bien accueilli en France où il
fréquenta Descartes, Gassendi et
Mersenne. Son traité "De la religion rationnelle" influencera
nombre d'encyclopédistes. Rousseau lui-même fut proche
des idées sociniennes, crime dont il fut souvent accusé.
Enfin,
les écrits sociniens furent connus en Angleterre
où ils influencèrent John Biddle (1615-1662),
souvent appelé le père de l'unitarisme anglais, ainsi
que les "latitudinaires" anglicans. Il furent aussi connus
par Newton qui, dans ses manuscrits secrets, en dresse un résumé,
par les amis de son cercle d'amis, en particulier son secrétaire à la
Royal Society, le pasteur anglican Jean-Théophile
Désagulier qui fut -avec le pasteur Anderson-
un des principaux fondateurs de la Franc-Maçonnerie moderne,
au départ chrétienne
non-confessionnelle mais non déiste, comme on l'a parfois
soutenu.
Ce n'est qu'en 1774 que Théophile Lindslay et Joseph
Priestley, pasteurs "dissenters" ouvrirent le premier
temple unitarien à Londres.
Quand Priestley fut contraint à l'exil en 1793, après
une émeute qui avait détruit sa maison et son laboratoire,
le pasteur découvreur de l'oxygène joignit ses efforts à ceux
des puritains de Nouvelle Angleterre pour y fonder tout un réseau
de prospères églises unitariennes.
Ainsi les efforts
et les souffrances, le laboratoire d'idées
des Frères Polonais, n'avaient pas été en
vain. Transmise au monde occidental, la petite flamme de l'Unitarisme
brûle toujours. Comme elle s'est maintenue, avec un courage
inouï, dans les vallées
des Carpathes.
Est-il possible, mais ce serait navrant, que l'héroïsme
et l'intelligence, le désintéressement et la foi
de nos prédécesseurs, ces "Fous de l'Evangile",
se perdent dans les sables froids de l'indifférence et du
conformisme ?
historien, Digne, mai 2001
Fin de la série d'articles
à propos des "Frères Polonais"
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