4) l'Ecclesia Minor
En tout cas, la rupture est consommée avec les calvinistes
dès 1565 et, à côté de l'Eglise évangélique
de Confession helvétique, apparaît l'Ecclesia Minor,
l'Eglise plus petite des chrétiens qui rejettent la Trinité.
Entr'eux, les fidèles de cette Petite Eglise s'appellent
simplement Chrétiens ou Frères. A l'étranger,
on les nommera "Frères polonais" et au XVIIe siècle "sociniens",
on va voir pourquoi.
L'organisation de cette église est assez
lâche, ponctuée
de synodes (qui ont un rôle consultatif) et de débats
théologiques. Leurs sessions vont peu à peu faire
progresser et éclairer la doctrine; C'est que, comme l'affirme
le synode de 1565, "dans la véritable église
de Dieu, nul ne peut commander à l'autre en matière
de foi". Les historiens constatent que pendant le siècle
d'existence de l'Eglise Mineure, on ne dérogera jamais à ce
principe de la foi libre.
Quels événements saillants
faut-il retenir des débuts
de la première église chrétienne non trinitaire
au monde ?
Dès le début, les protestants "orthodoxes" réclamèrent
les sanctions les plus lourdes contre les protestants non trinitaires
: mort ou expulsion. Le roi Sigismond II, catholique peu fanatique,
ne consentit qu'à l'expulsion des non trinitaires étrangers.
Cela concerne surtout trois italiens : Bernado Ochino, âgé de
77 ans, qui atteignit à grand peine la Moravie où il
mourut de la peste avec ses trois enfants; Alciati,
qui se réfugia à Danzig;
et Valentini Gentilis qui, arrivé à Berne,
fut exécuté sur
l'ordre de Théodore de Bèze (qui avait été très
favorable au bûcher de Michel Servet).
En 1567 fut publiée à Alba
Julia -en Transylvanie conquise à l'unitarisme- une œuvre
collective des minsitres de Sarmatie et de Transylvanie où l'on
reconnaît la
participation de Grégoire Paul, de Francis Dávid
et de Briandata (devenu médecin et conseiller du roi de
Transylvanie). On y discerne aussi la "patte" d'un nouveau
venu, Fauste Socin. Cette œuvre, intitulée "De
falsa et vera Unius Dei cognitione" (De la fausse et vraie
connaissance du Dieu Un), comprend très mystérieusement
des passages entiers de l'œuvre de Servet, alors qu'on avait
toujours pensé que tous ses exemplaires avaient été détruits.
Ce
livre est comme la bible du premier unitarisme.
Il n'y a pas d'autre Dieu, éternel et créateur,
que le Père. Dieu n'est pas en trois personnes : il est
Un (d'où le
sobriquet railleur d'"unitariens"). Jésus
n'existe pas de toute éternité, c'est un homme, conçu
miraculeusement du souffle de Dieu, et le Père, en raison
de ses mérites, l'a établi Seigneur et Christ, Médiateur
unique.
S'effacent automatiquement le dogme de la Trinité,
celui de l'incarnation divine et donc, comme le disent les anglais,
de
la Rédemption vicaire.
Si les synodes de la petite Eglise
des Frères sont très
libres, la discussion y est souvent vive. C'est qu'il y a chez
les non trinitaires une aile radicale qui entend pratiquer à la
lettre l'enseignement de leur maître, Jésus le Nazôréen.
La question du baptême, très débattue au début,
ne provoque pas de conflits chez les Frères, dont la grande
majorité se rallie au baptême des adultes : les fidèles
sont des gens qui entrent volontairement et en connaissance de
cause dans le courant des professants, et non des chrétiens
sociologiques, héréditairement. Le baptême
par immersion se répand, au point que les ennemis des Frères
les appellent sarcastiquement les "Plongeurs". Cela les
incite, quand ils le peuvent, à les jeter à la rivière
la plus proche, souvent glacée…
On vient de mentionner
une aile radicale de ces unitariens qui entendent revenir à l'inspiration
originelle du christianisme. Selon l'enseignement du Galiléen,
qu'ils prennent entièrement
au sérieux, ils veulent être pacifiques, humbles,
pauvres et justes. Ils remettent en question la société civile
comme non chrétienne et s'efforcent de bâtir une communauté fidèle à la
Parole de Dieu.
Cette tendance était particulièrement
représentée à Cracovie
(avec Goniadz et Paul) et à Lubin (avec Niemojewski et Csechovic).
D'après
eux, le chrétien doit renoncer au "droit
du glaive", c'est-à-dire à la violence militaire, à la
peine capitale et à toute autorité basée sur
la force. Ces non-violents ne se contentèrent pas de pieux
discours. Nombre de gentilshommes les mirent en pratique.
- Ozarowski, riche noble et Frère
polonais, remet au roi tous ses domaines, donnés à ses
ancêtres pour leur
courage à la guerre.
- Przypkowski déclare au tribunal
de Cracovie : "Reconnaissant
que mes sujets dans les villages sont, au même titre que
moi, des créatures de Dieu, je ne veux pas que ces sujets,
ni leurs fils ni leurs filles, vivent plus longtemps dans la servitude
: ainsi je les affranchis, eux et leur postérité,
de toutes les charges. Je consens à ce qu'eux-mêmes
et leurs enfants jouissent pour tous les temps d'une pleine liberté".
Les
nobles de Cujavie vendirent leurs biens et distribuèrent
le produit de la vente à leurs ex-sujets. D'autres, moins
capables de perfection évangélique, adoptèrent
un train de vie beaucoup plus modeste, portant l'habit gris des
petites gens, l'épée de bois sur le côté,
et réduisant grandement les charges de leurs sujets.
Cela
se passait non pas le 4 août 1789, mais 220 ans auparavant;
Ce fut une explosion de fureur parmi les nobles et les ecclésiastiques
inquiets de la contagion possible. Le cardinal Hosius écrivait
: "Si sa Majesté pouvait agir avec eux ainsi qu'on
avait agi avec Servet à Genève ou Gentile à Berne,
sa gloire serait éternelle". Le roi fit, momentanément,
la sourde oreille. Les historiens ont nommé avec ironie
ces aristocrates naïfs et sincères les "Fous de
l'Evangile". C'est un titre de gloire.
Il ne faut pas se dissimuler
que de tels actes étaient exceptionnels
dans une société féodale, qu'ils contribuaient à déstabiliser.
De même, ils laissaient planer un doute sur la volonté de
défense d'un Royaume très menacé par ses voisins.
D'autres
Frères prônaient une attitude plus réaliste
de participation raisonnable à la vie de la société.
Ce furent par exemple Jacques Paléologue et le leader des
non trinitaires de Lituanie, Simon Budny. Ils pensaient qu'une
attitude aussi radicale attirerait la foudre sur la Petite Eglise
et la conduirait rapidement à l'estermination.
Ils furent
relayés par un humaniste et théologien de stature
internationale qui fit passer le mouvement dans son âge adulte
: Fauste Socin.
Albert
Blanchard-Gaillard,
historien
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" Fauste
Socin "
" Théologie
socinienne "
" L'Académie
de Rakow "
" Persécutions
et survie des idées "
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