Rachad Armanios
La création du Consistoire (organe disciplinaire de l'Eglise)
accorde un statut inédit à la religion... À travers
cet organe, qui quadrille la ville de Genève, l'Eglise réformée
impose un contrôle moral et religieux très strict.
Et jugé intolérable même par ceux qui ont rappelé Calvin
de son exil français (les notables Ami Perrin et François
Favre). Le Consistoire poursuit les hérésies, la
paillardise, l'ivrognerie, le blasphème, la luxure...
Est-ce le pendant
protestant de l'Inquisition ?
«Comme instrument de contrôle,
oui. Mais la grosse différence, c'est que le Consistoire
n'est pas un organe judiciaire.» Il n'instruit pas de procès
et ne prononce pas de sanctions pénales. Son bâton?
L'excommunication, parfois traduite civilement par le bannissement.
Dans les cas d'hérésie caractérisée,
comme le montre l'affaire Michel Servet, médecin espagnol
brûlé vif pour avoir nié la Trinité,
c'est l'autorité civile (dans ce cas sous dénonciation
du réseau de Calvin), qui prononce la sentence. En l'occurrence,
Calvin a même plaidé pour une peine moins sévère:
la strangulation avant le bûcher.
Servet alibi à l'intolérance
Le cas de Michel Servet mérite qu'on s'y arrête. Pas
parce qu'il serait le symbole de l'intransigeance calviniste, comme
l'a prétendu Voltaire. Au contraire: «La sentence prononcée
est, à l'époque, logique. Antitrinitaire radical, provocateur,
Servet propageait par ses écrits le désordre social.»
Mais
aujourd'hui, Servet fait figure d'alibi, relève Christian
Grosse (1): «En citant le cas exceptionnel de Servet, on
accepte l'intolérance de Calvin, la présentant comme
normale, puis on tire un trait sur la question. Or, en se focalisant
sur
Servet, on perd de vue la dimension sociale du traitement de la
dissidence à Genève.
De plus, l'intransigeance est certes la norme au XVIe siècle,
mais à Genève, elle a été appliquée
avec des moyens particulièrement efficaces.»
Impossible
pour l'historien de passer outre la question de l'intolérance, à étudier
comme processus d'uniformisation religieuse. Chaque semaine, devant le Consistoire, des citoyens sont dénoncés
pour avoir fait usage d'eau miraculeuse, pour avoir dit la prière
aux morts... La Réforme touche donc les Genevois dans leur
quotidien. La messe est abolie, les fêtes du calendrier abandonnées,
les tavernes transformées en lieux de prières...
Du moins s'y essaie-t-on.
Christian Grosse constate que le projet
calviniste
de créer un nouvel homme, un nouveau chrétien, échoue
en partie : les tavernes servent encore à boire, la fête
des rois subsiste, Noël, dès le XVIIe siècle,
se célèbre sous d'autres formes... Quant aux patriciens,
ils s'accrochent à leur habits «luxueux», signe
de leur distinction sociale.
Rachad Armanios, Le Courrier
(1) Christian Grosse, maître assistant au Département
d'histoire de l'Université de Genève et auteur
d'une thèse
intitulée les Rituels de la Cène |