3) les chrétiens non
trinitaires
Les premiers leaders du non-trinitarisme en Pologne furent en
effet des pasteurs ou même des dignitaires de l'Eglise évangélique
de Confession helvétique, c'est-à-dire des églises
réformées. Leur conversion à l'Unitarisme
ne fut pas un miracle soudain : elle avait été précédée
par des discussions et l'influence discrète de réfugiés
ou voyageurs étrangers dans cette tolérante Pologne.
Le professeur Kot, grand spécialiste avant-guerre de l'histoire
religieuse polonaise, nous raconte qu'en 1546, à l'occasion
d'un repas à Cracovie où étaient conviés
théologiens
et savants, un mystérieux visiteur, connu seulement sous
le pseudonyme de SPIRITUS, et que nous identifions
aujourd'hui avec l'anabaptiste Adam Pastoris,
fit des réflexions sur
un livre de prières qu'il avait trouvé dans la bibliothèque
de son hôte. Constatant qu'il y figuraient des prières
adressées les unes à Dieu le Père, les autres à Dieu
le Fils, d'autres au Saint-Esprit, demandant à chacun des
faveurs différentes -et pour ainsi dire spécialisées-,
il fit la réflexion suivante : "Vous avez donc trois
Dieux, braves gens !". Les polonais se récrièrent,
exposant la thèse classique. Cependant, nous dit un témoin, "cette
conversation se grava profondément dans nos esprits".
Les
Anabaptistes et Frères bohème étaient
nombreux à s'être réfugiés dans la République.
Certes, ils ne faisaient pas profession d'antitrinitarisme. Cependant,
leur conviction de ne faire foi qu'à ce qui est expressément écrit
dans les Evangiles rejetait dans le néant toutes les constructions
théologiques postérieures au temps de Jésus.
Par là, prenait du poids l'argument selon lequel certains
dogmes, dont celui de la Trinité, n'avaient pas de base
scripturaire.
Il convient de ne pas oublier la présence en
Pologne de nombreux italiens de marque, réfugiés
après
l'installation de l'Inquisition dans la péninsule en 1542.
On y voit Bernardo Ochino, ancien Vicaire Général
des Capucins ; Giorgio Biandrata, médecin à la
Cour de la reine Bona Sforza, femme de Sigismond Ier , et qui sera
un
des trois administrateurs de l'Eglise Réformée de
Petite Pologne ; Stancaro, notoirement hérétique
; sans oublier le juriste Lelio Sozzini (Lélius Socin).
Tous
sont très admirés dans cette Pologne un peu
fruste. Ils répandent des idées non-trinitaires qui
commencent à faire leur chemin dans les esprits de nombre
de jeunes ministres réformés dont les églises
ne comptent aucun leader d'envergure. Certains de ces pasteurs
prennent des risques en proclamant ouvertement leur christianisme
non trinitaire. "Luther
a détruit le toit de l'église papiste, disait l'un
d'eux, Calvin les murs, nous, nous détruisons les fondations".
Ces fondations, ce sont la théologie nicéenne non
scripturaire et l'autoritarisme constantinien. Il est temps de
revenir au vrai christianisme, celui des Pauvres du Sermon sur
la Montagne.
Ainsi en 1556, trois ans seulement après le
supplice de Michel Servet, un jeune pasteur, Pierre
de Goniadz (ou Gonésius)
fait doublement scandale au synode réformé de Secemin,
en Petite Pologne. Il déclare en préambule à la
réunion rejeter le dogme de la Trinité : "La
Trinité n'existe pas, affirme-t-il, ce n'est qu'une invention
récente. Le Credo d'Athanase est à rejeter, c'est
une affabulation. Dieu le Père est le seul Dieu, en dehors
de lui il n'y en a aucun autre. Christ est le serviteur du Père".
De plus, il se présente au synode une épée
de bois au côté, en signe de pacifisme et d'anti-autoritarisme.
C'est mettre au premier plan, conjointement à la recherche
de la vérité dans l'Evangile, le côté social,
existentiel, mis en pratique de l'Evangile. On imagine le tumulte.
Gonésius est condamné par tout ce que le Royaume
compte de calvinistes orthodoxes. Mais le jeune ministre persiste
dans son attitude, qu'il radicalise même jusqu'au refus de
prêter serment (chose impensable dans une société féodale),
et au refus également de baptiser les enfants, comme les
anabaptistes qui ne prennent en compte qu'une religion de professants.
Goniadz
se met à faire des adeptes parmi la noblesse et
le clergé. On ne peut rien contre lui car il est soutenu
par deux des plus puissantes familles du pays : celle du prince
Radziwill, déjà cité, et celle du magnat lituanien
Jean Kiska, qui lui confie dans ses terres une charge de ministre
du culte. Kizka confie de nombreuses paroisses à des ministres "unitariens",
ou comme on disait alors, "ariens" ou "ébionites".
Goniadz
répand dans toute la Pologne des œuvres théologiques
comme "De Filio Dei hominé Christo Jesu" (Du Fils de Dieu, un
homme, Christ Jésus), ouvrages lus jusqu'en Allemagne et en Suisse. Il
est soutenu du haut de la chaire de Cracovie par un autre ministre prestigieux,
Grégoire Paul de Brerzezni qui, orateur brillant et fougueux, va rapidement
prendre la tête du mouvement protestant non trinitaire en Petite Pologne
et en Lituanie, deux régions où il est fortement implanté.
Une des œuvres de Grégoire Paul, la "Tabula de Trinitae" eut
l'honneur d'être vigoureusement critiquée depuis Genève par
Calvin que Grégoire Paul raille en retour dans un poème en latin
où il le nomme "Calve" (le Chauve).
Est-il besoin de dire qu'il
ne reste rien de toutes ces œuvres théologiques des années
1550 à 1560, qui furent soigneusement détruites par les chrétiens
majoritaires ?
Albert
Blanchard-Gaillard,
historien
Lire la suite dans
:
" L'Ecclesia
Minor "
" Fauste
Socin "
" Théologie
socinienne "
" L'Académie
de Rakow "
" Persécutions
et survie des idées "
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