Henry
Babel
C’était quelque peu avant minuit, en
Allemagne, du temps où l’Allemagne était une
véritable mosaïque au cœur d’un empire qui
rassemblait sous un même sceptre quelque trois cent cinquante
territoires, duchés et principautés.
S’il était une ville dont nul ne se doutait
qu’il en sortirait un homme capable de se dresser, seul, face
à cet empire et de marquer durablement le cours de l’histoire,
c’est bien la petite ville d’Eisleben dans le comté
de Mansfeld. Avec ses quatre mille habitants, ses toits serrés
autour de son château fort, ses remparts flanqués de
tours rondes et ses fossés enjambés de ponts-levis,
rien ne la distinguait particulièrement de la plupart des
cités de la fin du Moyen Age.
Or, au terme de ce 10 novembre
1483, au foyer de M. et Mme Hans Luther, jeune couple fraîchement arrivé
de la campagne, installé dans une maison modeste mais de
belle apparence sise dans la «longue rue», naquit un
enfant auquel les parents tinrent à donner le prénom
de Martin. Pourquoi le choix de ce prénom? Parce que, en
bons catholiques qu’ils étaient, M. et Mme Luther tinrent
à présenter aussitôt leur enfant au baptême
qui eut lieu le jour suivant, fête de la Saint-Martin, dans
l’église du quartier.
Martin Luther ! Qui eut songé que ce nom obscur
connaîtrait un destin exceptionnel ?
En vérité, il était originaire
du village de Möhra, à une journée de marche
de là, à la lisière de cet immense océan
de conifères qu’est la forêt thuringienne dont
émergent, au loin, les rochers blancs des trois sommets du
massif d’Allemagne centrale. Et comme en témoignait
encore, au début de notre siècle, les dalles et les
croix du cimetière, nombreux avaient été les
Luther dans ce village.
Très curieusement, ce nom si typiquement germanique
aurait eu, selon certains auteurs, une origine franque puisqu’il
dériverait de celui de Lothaire, second fils de l’empereur
Charlemagne, que, dans leur langue rude, les paysans saxons prononcèrent
d’abord Luder puis Ludher. C’est d’ailleurs successivement
sous cette double forme que Luther devait signer ses premiers écrits.
S’il choisit finalement Luther c’est que l’ancien
allemand Lauter signifie «limpide»
et que la racine gréco-latine «Eleutherius» désigne
«homme libre».
Homme libre, Luther eut beaucoup
d'obstacles à
surmonter pour le devenir, raison pour laquelle sa vie fut une aventure
à la fois si dramatique et si merveilleuse.
Henry Babel,
Le protestantisme. De la Réforme d’hier
à celle d’aujourd’hui et de demain, Roto-Sadag,
Genève, 1984
Henry Babel fut le titulaire
de la chaire de Calvin en la cathédrale Saint-Pierre à Genève est
un écrivain merveilleux. Grâce à cet ouvrage
simple et clair, les grands Réformateurs deviennent contemporains.
Luther, le petit chanteur ambulant devenu le maître à
penser de la moitié de l’Europe; Zwingli, le montagnard
helvétique qui, en une décennie, changea le destin
de son pays; Calvin, le réfugié français qui
métamorphosa Genève en Rome protestante.
Aux yeux de l’auteur,
leur œuvre ne fut cependant qu’un début. Aussi,
après avoir évoqué les grandes étapes
de l’évolution du protestantisme, il en trace le programme
qui se résume dans la pensée de Paul Valéry:
«La vraie fidélité dans les grandes choses n’est
pas de refaire ce que les autres ont fait mais de retrouver l’esprit
qui a fait les grandes choses.»
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