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 Histoire
Condorcet


Jean-Antoine-Nicolas Caritat, marquis de Condorcet (1743-1794)
Philosophe, mathématicien et homme politique, Jean-Antoine-Nicolas Caritat, marquis de Condorcet est né à Ribemont dans l'Aisne (Picardie), le 17 septembre 1743, dans une famille de la noblesse.

Son père, officier de cavalerie, meurt quand il a quatre ans. À l’âge de onze ans, il est envoyé par son oncle au collège des Jésuites de Reims, puis plus tard (1758) à Paris dans le collège de Navarre, également tenu par les Jésuites. Pendant ses études, il se distingue dans les sciences mathématiques. Pour terminer ses études, il rédige son Essai sur le calcul intégral (1765) qui lui vaut d’être élu à l'Académie royale des sciences (1769). Il en sera nommé secrétaire perpétuel en 1776.

Auparavant Condorcet s’est fait remarquer dans la controverse philosophique avec les Lettres d'un théologien à l'auteur (l'abbé Sabatier de Castres) du Dictionnaire des trois siècles (1774). La même année, il est nommé inspecteur général des Monnaies dans l'Aisne par Turgot, nouveau contrôleur général des Finances, dont il soutient activement la politique.

C’est en 1782 qu’il est élu à l'Académie française. Il se lie d’amitié avec Voltaire (dont il écrit une biographie) et d’Alembert et entame des activités de plus en plus militantes pour la défense des droits de l'homme en général, des droits des femmes (notamment la contraception et le droit de vote) ainsi que des Noirs en particulier. Il soutient notamment la cause des jeunes États-Unis d'Amérique et propose des projets audacieux de réformes politiques, administratives et économiques destinées à transformer la société française.

Lorsque éclate la Révolution française, Condorcet se trouve être l'un des derniers survivants authentiques de l'esprit des lumières qui avait animé Voltaire et les encyclopédistes.

À l'annonce de la convocation des états généraux, 1789, l'activité politique de Condorcet s’ intensifie encore. En 1790 il fonde avec Sieyès la "Société de 1789", en dirige le Journal, tout comme il édite parallèlement la Bibliothèque de l'homme public (1790-1792), la Chronique de Paris (1792-1793), le Journal d'instruction sociale (1793).

En 1791, il est élu à l'Assemblée législative et en 1792 à la Convention. Il s’y engage pour son Projet de réforme de l'instruction publique en 1792, qui prévoit cinq niveaux d'instruction: les écoles primaires, les écoles secondaires, les instituts, les lycées et la Société Nationale des Sciences et des Arts. Cependant sa présentation de ce projet d’envergure à l'Assemblée au nom du Comité d'instruction publique, les 20 et 21 avril 1792, tombe vite aux oubliettes. Les idées de gratuité, d'obligation, de laïcité et d'universalité qu'il contient attendront un siècle pour passer dans les faits.

À l’époque, le développement de la connaissance de la nature, des mathématiques sociales et l'idée de progrès indéfini des sciences voient plutôt émerger un nouveau cléricalisme dans le domaine politique et dans les sociétés savantes. La déesse Raison, le dieu Progrès et leur fille, la Science, deviennent déjà les objets d'un nouveau culte et d'une nouvelle théologie.

Condorcet fut l'un des premiers à identifier et à analyser à la fois ce déplacement de cléricature et le danger intellectuel qu'il représente: lorsque l'Église se voit dépossédée de son monopole éducatif, il ne s'ensuit pas nécessairement que l'idéal du savoir universel s'empare de l'École et celui de la liberté individuelle de la République.

Dans son Premier mémoire sur l'instruction publique (1790), Condorcet dénonçait déjà ce transfert de cléricature au sein de l'école, transfert qui en pervertit la destination. On embrigade l'enfance dans des fêtes, des célébrations, des défilés; le culte de la Nation, la déesse Nature, l'arbre de la Liberté remplacent la citoyenneté, la science et la responsabilité autonome. En réalité, l'école a ses nouveaux prêtres.

Le mot le plus dur de Condorcet contre cette nouvelle classe politique ira à Robespierre, qui ne le lui pardonnera pas, lorsqu'il le traitera de « faux curé »!

Pour le « mouton enragé » qu'est Condorcet, tous ces nouveaux cultes ne sont que la négation de la culture. L'idole sociale se substitue à l'idole religieuse, le politique vaticine, le résultat reste le même: un dogme en remplace un autre, au détriment de l'instruction véritable du citoyen.

Politiquement proche des Girondins (tout en gardant son indépendance), il ne vote pas la mort de Louis XVI et critique le projet de Constitution présenté par Hérault de Séchelles. De ce fait il est obligé de se cacher dès juin 1793 pour échapper aux agents de la Terreur. Le décret officiel de sa condamnation à mort porte la date du 3 octobre 1793.

Pendant cinq mois, il trouve un refuge sûr dans la maison de Madame Vernet, rue Servandoni, à Paris. Il y rédige l'Avis d'un proscrit à sa fille, qui reste un très beau livre de morale, dans lequel s’exprime toute la tendresse qu’il portait à son épouse et à sa fille. Cependant, il profite surtout de ce sursis de vie qui lui reste pour écrire son œuvre principale, la somme de sa vie, L’Esquisse d'un tableau historique des progrès de l'esprit humain. Il y exprime son intime conviction que les sciences vont connaître un immense développement et affirme que le progrès de l'humanité entière peut être assuré grâce à une éducation bien orientée.

Avant tout, Condorcet craint la création d'une nouvelle cléricature, scientiste, tout aussi immobiliste et conservatrice que le clergé. Comment le commun des mortels pourra-t-il distinguer le vrai savant du charlatan? Comment se garder contre la tentation du pouvoir que donne le savoir? Sur ces deux questions difficiles, la théorie du progrès peut apporter un éclairage nouveau.

Pour mieux en comprendre le sens et la portée, gardons à l’esprit son contraire: l'obscurantisme, dénoncé avec vigueur à propos des prêtres chaldéens, archétypes de tous ces savants qui tentent de conserver jalousement le savoir, afin de garder le pouvoir intellectuel et moral sur le peuple. En réalité, l'obscurantisme ne réside pas dans l'ignorance, mais dans la volonté délibérée et dans l'art d'empêcher le dévoilement universel des vérités lentement acquises par les sciences et les techniques. Dépositaire du vrai ou victime lui-même des illusions, le faux savant sécrète un savoir illusoire pour mieux conserver sa puissance.

À l'inverse, lorsque Condorcet parle de Progrès de l'Esprit humain, c'est non seulement du savoir qualitatif et quantitatif qu'il s'agit, mais aussi de sa diffusion auprès de tous. Il s'agit de créer une éducation pour tous, une véritable éducation universelle pour tous les hommes, quels qu'ils soient. Le progrès intellectuel et surtout moral de l'humanité dans son ensemble a pour condition ce dernier point. Quantitativement, la masse des vérités disponibles augmente; qualitativement, l'ensemble de ces savoirs obéit à une combinatoire rationnelle qui en rend la diffusion plus aisée. Toute la question est celle des possibilités matérielles de cette diffusion par l'instruction universelle. C'est là la tâche des politiques: l'amélioration du sort des hommes passe par l'éducation de tous et par leur commune participation au progrès du savoir.

De ce point de vue, nations, individus, peuples se rejoignent dans une même unité générale que recouvre la notion d'Esprit humain. C'est bien ce dernier qui est susceptible d'une amélioration indéfinie:

« Nos espérances sur l'état à venir de l'espèce humaine peuvent se réduire à ces trois points importants: la disparition de l'inégalité entre les nations; les progrès de l'égalité dans un même peuple; enfin le perfectionnement réel de l'homme.»

À propos de ce perfectionnement, il convient de se garder d'une erreur fréquente qui dénaturerait l'intention de Condorcet: il ne faudrait pas chercher dans cette marche progressive la réalisation de quelque force immanente de l'histoire, force cachée dont on pourrait néanmoins deviner la forme et anticiper le but. Rien n'est plus éloigné de Condorcet que la représentation déterministe du mouvement historique.

La perfectibilité est une notion qui traduit chez lui une espérance, un idéal, dont la légitimité est rendue possible par un double constat explicite.

D'abord, l'idéal de progrès humain, entendu concrètement comme amélioration de la connaissance et des moeurs, ne présente aucune contradiction interne qui en ruinerait la pertinence logique.

Ensuite, l'histoire des sciences, des techniques et des rapports des hommes à ces deux domaines du savoir montre qu'il y a effectivement eu un progrès au cours des siècles de notre aventure intellectuelle. À partir de ce dernier constat, Condorcet estime qu'il n'est pas illégitime d'espérer que ce même progrès se poursuive dans le futur. Et puisque ce progrès a une influence sur les moeurs des hommes, c'est-à-dire sur la morale en général, on peut penser qu'il se fera aussi sur le plan politique et humain.

Il s'agit donc d'une hypothèse au sens strict. Condorcet ne dit jamais que le progrès est nécessaire; il demande simplement qu'on l'admette comme possible et il le fait entièrement reposer sur l'idée fondatrice de perfectibilité humaine. Cette dernière s'oppose aussi bien à l'anthropologie antique, qui assigne à l'homme une place définitive dans un cosmos fini, qu'à la métaphysique chrétienne, qui lui attribue une essence stable d'origine divine. L'idée de perfectibilité indique seulement que l'Esprit humain est ouvert sur un avenir indéterminé. Il peut tout aussi bien régresser que progresser. Impossible dans tous les cas de lui assigner des bornes.

L'idée de progrès représente donc, pour Condorcet, plus un programme qu'une loi de l'histoire: il ne se réalisera qu'à condition que les hommes en prennent conscience et décident de lui donner le jour. C'est la représentation du progrès et la confiance en leur perfectibilité qui aide les hommes à se perfectionner sans cesse. On comprend mieux alors la méfiance de Condorcet à l’égard du dogmatisme, surtout lorsque celui-ci prend la forme du scientisme le plus délirant.

Le 25 mars 1794 Condorcet, averti d’une perquisition, quitte son refuge et se rend à Fontenay-aux-Roses, où il ne trouve pas l'hospitalité espérée chez son ami Suard . Le 27, il est arrêté à Clamart, dans une auberge où il s’est arrêté, fatigué et affamé. Emprisonné, il s'empoisonne probablement (à l’aide d’un poison qu’il cachait dans sa bague) à la maison d’arrêt de Bourg-la-Reine (Bourg-l'Égalité) entre le 27 et le 29 mars 1794 pour échapper à l'échafaud. Son cadavre est jeté dans la fosse commune. Le procès-verbal officiel conclut à une mort naturelle due à une crise d'apoplexie…

Pourtant, c'est Marie-Joseph Chénier qui lui fait rendre hommage par l'important décret du 18 décembre 1794: «Les études primaires forment le premier degré de l'instruction: on y enseignera les connaissances rigoureusement nécessaires à tous les citoyens. Les personnes chargées de l'enseignement dans ces écoles s'appellent "instituteurs"». La République salue ainsi le « dernier des philosophes, sans lequel elle n'existerait point ».

(sources : FCE - Luxembourg)

 

 



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