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 Histoire
Mateo Gribaldi à Farges


« Mateo Gribaldi à Farges », article publié dans le Journal de Farges, en 1998, reproduit dans Théolib, n° 24, décembre 2003, « hommage à Michel Servet », pp. 24-26

J’aime Farges, paisible village de l’Ain, sis au pied du Jura, 18 km à l’ouest de Genève. Fière sentinelle, son église veille à l’entrée nord. Ses solides maisons de pierre ont traversé les siècles, de même que son joli château donnant sur un parc fort agréable. Voyez aussi sa belle école-mairie dominant l’agglomération, et sa poste rose si avenante ! Oui, Farges est un endroit idéal pour se délasser, d’autant mieux que son château comporte un bon hôtel restaurant.

Au XVIe siècle déjà, Farges enchantait le juriste piémontais Mateo Gribaldi, qui venait y passer les vacances d’été, oubliant la foule de Padoue, ville où il enseignait le droit. À cette époque, vers 1550, le pays de Gex, Farges compris, était en mains bernoises, donc protestantes. Une raison de plus pour que le vacancier italien se plaise à Farges car il avait, lui aussi, adopté la Réforme. À Padoue, il devait cacher ses opinions par crainte de l’Inquisition. Farges lui offrait en outre l’avantage d’être proche de Genève, où vivait une petite colonie d’Italiens réfugiés là parce que protestants. Il allait s’y joindre pour le culte dominical et aimait discuter avec ses compatriotes après le sermon.

Pendant l’été 1553, Gribaldi et les Italiens de Genève discutent des idées et du sort de Michel Servet, arrêté le 13 août. Il est question de le condamner à mort. Opposés à la peine de mort pour hérésie, Gribaldi sollicite de Calvin un entretien sur le sujet, mais le Réformateur refuse. Servet sera brûlé le 27 octobre.

L’été suivant ramène notre juriste à Farges. Cette fois, il confie à quelques Italiens réfugiés à Genève, qu’il est, comme Servet, anti-trinitaire, niant la divinité de Jésus. La confidence finira par être connue du pasteur italien, qui en en informera Calvin. D’autre part, à Padoue, on découvre que le professeur Gribaldi est un partisan de la Réforme, mais, comme il est très estimé, on lui propose un titre honorifique en échange de son abjuration. Il refuse l’un et l’autre. Que lui importe : il a un «nid» à Farges, où il revient.

Peu après, il a la chance d’être nommé professeur à Tübingen (au sud de Stuttgart, en Allemagne). Quittant Farges, Gribaldi ira donc en Allemagne. Passant par Genève, il va saluer ses amis. Informé de sa présence en ville, Calvin l’invite à s’entretenir avec lui. Arrivé au lieu du rendez-vous, Gribaldi tend la main à Calvin, mais celui-ci refuse de la serrer. Vexé, Gribaldi quitte aussitôt la salle. On l’arrête. Il doit s’expliquer devant le Petit Conseil. Pour finir, on lui permet de poursuivre son voyage, non sans lui interdire de revenir à Genève.

À Tübingen, ses futurs collègues l’accueillent avec bonté. Mais bientôt les choses se gâtent : des lettres envoyées par Calvin et par Bèze le dénoncent comme hérétique dangereux. Le sénat de l’Université le prie donc d’exposer ses vues sur la religion et lui accorde un délai de six semaines pour s’y préparer. Or Gribaldi utilise ce délai pour retourner à Farges. Le duc de Wittenberg, averti de la fuite du professeur italien, exige alors des Bernois qu’il soit arrêté et puni, Berne ayant alors autorité sur le pays de Gex. Gribaldi est donc conduit en prison à Gex, puis jugé. L’accusé se défend si bien qu’on lui impose seulement de quitter les territoires bernois dans les six mois.

Où donc mener ma famille ? se dit Gribaldi. Les réformés sont aussi intolérants que les catholiques. Et voici qu’un nouveau malheur l’atteint : la mort de son épouse, qui le laisse veuf avec sept enfants.

Heureusement, les Bernois compatissent et l’autorise à rester à Farges avec sa progéniture, à condition de se tenir tranquille. Et c’est à Farges, en effet, que Matéo Gribaldi demeura jusqu’à la fin, mis à part un bref séjour à Grenoble où il enseigna quelque temps, dissimulant ses convictions religieuses. En 1558, il accueillit fraternellement à Farges trois Italiens qui fuyaient Genève où Calvin les persécutait parce qu’ils rejetaient le dogme de la Trinité. Ces exilés allèrent ensuite en Pologne, royaume alors généreux. Gribaldi mourut en 1564, victime de la peste qui sévissait en Suisse à cette époque.

Les Fargeois se souviennent-il de lui ?

Roger Sauter

 

 



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