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 Histoire
Le christianisme unitarien


Jean-Claude Barbier

La Réforme anti-trinitaire du XVIème siècle, méconnue est actuellement en plein essor. Le XVIème siècle européen a été plus riche en Réformes qu'on ne le pense habituellement. L'impulsion donnée en 1517 par le moine augustin Martin Luther (jusqu'à sa mort en 1546), en rupture de ban avec Rome, libéra maintes énergies. Aux luthériens s'ajouta rapidement, souvent en contrepoint, la Réforme "helvétique" basée à Genève avec Jean Calvin (à Genève de 1536 à 38 puis de 1541 à sa mort en 1564) et à Zurich avec Ulrich Zwingli (de 1523 à 1531). Les Strasbourgeois, avec Martin Bucer (mort en 1551), à leur tête, suivaient Luther, tandis que nos Huguenots français se référèrent au calvinisme.

En terres allemandes acquises aux luthériens, des Réformés "mystiques", dont les spéculations n'étaient pas agréées, furent exilés des villes où ils résidaient, par exemple Caspar Schwenckfeld (réformé à partir de 1522, mort en 1562), dont les adeptes fonderont plus tard une Eglise schwenckfeldienne aux Etats-Unis, et Sébastien Franck (réformé à partir de 1530 et mort en 1542), précurseur d'un universalisme chrétien.

Des anabaptistes prônèrent une Réforme plus exigeante, refusant le baptême des enfants, la participation à la guerre, le recours aux tribunaux, des mœurs plus strictes, etc. Nombre d'entre eux furent noyés dans le Limmat à Zurich sur l'ordre de Zwingli. Un groupe d'anabaptistes fonda la brève "Jérusalem céleste" de Münster (1534-1535) pour y affirmer la pure morale évangélique. Des anti-trinitaires italiens, rejetant le dogme de la Trinité à la suite de Michel Servet, se retrouvèrent en exil dans les pays européens les plus septentrionaux (Pologne et Lituanie) et les plus orientaux (Transylvanie). Enfin, le ralliement des Vaudois au calvinisme et des Anglicans au protestantisme n'alla pas sans une préservation de leur propre identité. Il conviendrait de parler en conséquence des Réformes et non de la Réforme ou du protestantisme au singulier.

Michel Servet est né en 1509 à Villanueva de Sixena, en pays Aragon, entre Lerida et Huesca. Il commença des études de Droit à Toulouse puis devint médecin à la Sorbonne, à Paris. En 1531 et 1532, par l'imprimerie strasbourgeoise Haguenau, il publie "Des erreurs de la Trinité" et "Deux livres de dialogues sur la Trinité". On le retrouve, sous le nom de Michel de Villeneuve, médecin à Charlieu puis à Vienne, entre temps correcteur d'imprimerie à Lyon, ré-éditeur de la géographie de Ptolémée, commentateur biblique ajoutant introductions et notes à la bible traduite par le dominicain Santes Pagnini. En plus, il édite un traité sur les sirops, découvre la petite circulation sanguine, et se montre fort intéressé par l'alchimie de son temps ! Bref, un parfait humaniste de la Renaissance. Dans la plus grande clandestinité, il écrit (toujours en latin) une "Restitution du christianisme …" qui le conduira tout droit à la prison de Vienne, d'où il s'échappera, puis entre les mains de Calvin à Genève, qui le fit mettre sur le bûcher au sommet de la colline de Champel, le 27 octobre 1553, additionnant sur son sort les deux inquisitions de l'époque. A l'aube de ce siècle, on érigea une stèle à sa mémoire à Genève (1903), et des statues à Annemasse (1908), Paris (devant la mairie du 14ème) (1908) et Vienne (1911). En Espagne, des monuments à Huesca, à Zaragossa et dans son village natal. De nos jours, plusieurs établissements scolaires portent son nom (à Charlieu, Vienne, Lyon, Annemasse, Lille, etc.), ainsi que des rues (Genève, Lyon, Vienne, Dijon, etc.). C'est la célébrité, … mais posthume.

Le réformé Sébastien Castellon prit sa défense dans un pamphlet contre Calvin qui marque une première revendication de liberté religieuse : "tuer un homme, ce n'est pas défendre une doctrine, mais c'est tuer un homme". Pendant ce temps, en Transylvanie, à l'autre bout de l'Europe, le prince de Transylvanie, Jean Sigismond, promulgua en 1568, à Turda (actuelle Roumanie), le premier édit de tolérance, ceci à l'instigation des nouveaux Réformés qui se disaient "chrétiens d'un commun accord" et qui étaient menés par le brillant orateur que fut le théologien hongrois Ferencz David (1520-1579). A partir de 1600, ceux-ci (non luthériens et non "helvétiques") furent désignés comme "unitariens" compte tenu de leur revendication d'un Dieu Un, non incarné en un Fils, ni manifesté dans une tierce personne que serait le Saint-Esprit. Pour eux, Jésus est un homme, un maître spirituel et non un dieu, ni Dieu incarné, et le Saint-Esprit est tout simplement le souffle divin.

Deux Eglises de théologie unitarienne existèrent au XVIème siècle.
Une Eglise des frères de Pologne et de Lituanie qui a rejeté la Trinité - dite plus simplement. La Petite Eglise polonaise (l'Ecclesia minor) ou encore Les Frères polonais. Elle durera près d'un siècle, de 1565 à 1658, et sera supprimée sur ordre politique inspiré par la Contre Réforme. A son apogée, elle eut quelques 40 000 fidèles, plus de 200 paroisses et des écoles. Son collège de Rakow était célèbre dans les pays protestants environnants et fréquenté par des Allemands, des Tchèques, des Ukrainiens, etc. Une imprimerie y publiait des œuvres théologiques, dont le célèbre Catéchisme de Rakow en 1605, qui sera peu de temps après traduit en néerlandais puis en anglais (et tout récemment en finnois et en italien !). Elle reçut le concours de théologiens italiens exilés à cause de leurs idées anti-trinitaires, dont Faust Socin (en Pologne à partir de 1579 jusqu'à sa mort en 1604).

Une seconde Eglise vit le jour en Transylvanie à partir de 1568, également aidée par des Italiens anti-trinitaires, dont le médecin Georges Biandrata (en Pologne en 1558, mort en 1590). A la fin du XVIème siècle, 425 paroisses relevaient de cette nouvelle confession chrétienne. Cette Eglise a survécu à la Contre-Réforme de l'empire austro-hongrois, au nazisme puis au régime communiste de Ceauscescu. Elle comptait 80 000 fidèles au recensement de la population roumaine de 1992 ; et il faut y ajouter, en Eglise doublon, quelque 25 000 fidèles en Hongrie.

Le courant anti-trinitaire se développa au XVIIème siècle en Angleterre, et surtout au XXème siècle aux Etats-Unis. Aujourd'hui, on compte plus de 750 000 unitariens dans le monde entier, répartis dans une quarantaine de pays. Depuis 1995, un International Council of Unitarians and Universalists (ICUU), dont le siège est à Prague, constitue, un lieu de rencontres et d'activités communes pour cette famille devenue internationale et qui, sous l'appellation d'unitarisme-universalisme, s'est étendue à d'autres sensibilités spirituelles (à partir du milieu du XIXème siècle aux Etats-Unis en s'inspirant de l'œuvre du philosophe transcendantaliste Ralph Waldo Emerson, un ancien ministre unitarien de Boston). La composante chrétienne reste importante avec les Eglises historiques de Roumanie et de Hongrie et de nombreuses congrégations en Grande-Bretagne et aux Indes, ainsi qu'avec les Eglises universalistes dans plusieurs pays d'Asie (Japon, Philippines, Indonésie).

En France, une Association unitarienne française (qui devint ensuite francophone avec la Belgique francophone et la Suisse romande) (AUF), fut fondée en 1986, puis une Assemblée fraternelle des chrétiens unitariens (AFCU) en 1996. Théodore Monod, qui aimait se dire "chrétien pré-nicéen", assuma la présidence d'honneur de l'AUF (de 1986 à 1996), puis celle de l'AFCU (de 1996 à sa mort). L'AFCU est en partenariat statutaire avec l'Association des chrétiens unitariens du Burundi, l'Association des chrétiens unitariens du Congo, et la Congregazione italiana cristiano unitariana.

De son côté, le Réseau francophone Correspondance unitarienne, également de sensibilité chrétienne, touche par son bulletin mensuel environ 200 unitariens ou sympathisants et participe, par ses bulletins et par des articles, au site protestant libéral et chrétien unitarien "Profils de liberté", dont l'audience dépasse les 20 000 visiteurs par mois.

Jean-Claude Barbier, Bordeaux le 14 juin 2005

 

 



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