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 Histoire
La riche et dramatique histoire des Frères polonais (chrétiens non trinitaires)
1565-1658


4) l'Ecclesia Minor

En tout cas, la rupture est consommée avec les calvinistes dès 1565 et, à côté de l'Eglise évangélique de Confession helvétique, apparaît l'Ecclesia Minor, l'Eglise plus petite des chrétiens qui rejettent la Trinité.
Entr'eux, les fidèles de cette Petite Eglise s'appellent simplement Chrétiens ou Frères. A l'étranger, on les nommera "Frères polonais" et au XVIIe siècle "sociniens", on va voir pourquoi.

L'organisation de cette église est assez lâche, ponctuée de synodes (qui ont un rôle consultatif) et de débats théologiques. Leurs sessions vont peu à peu faire progresser et éclairer la doctrine; C'est que, comme l'affirme le synode de 1565, "dans la véritable église de Dieu, nul ne peut commander à l'autre en matière de foi". Les historiens constatent que pendant le siècle d'existence de l'Eglise Mineure, on ne dérogera jamais à ce principe de la foi libre.

Quels événements saillants faut-il retenir des débuts de la première église chrétienne non trinitaire au monde ?

Dès le début, les protestants "orthodoxes" réclamèrent les sanctions les plus lourdes contre les protestants non trinitaires : mort ou expulsion. Le roi Sigismond II, catholique peu fanatique, ne consentit qu'à l'expulsion des non trinitaires étrangers. Cela concerne surtout trois italiens : Bernado Ochino, âgé de 77 ans, qui atteignit à grand peine la Moravie où il mourut de la peste avec ses trois enfants; Alciati, qui se réfugia à Danzig; et Valentini Gentilis qui, arrivé à Berne, fut exécuté sur l'ordre de Théodore de Bèze (qui avait été très favorable au bûcher de Michel Servet).

En 1567 fut publiée à Alba Julia -en Transylvanie conquise à l'unitarisme- une œuvre collective des minsitres de Sarmatie et de Transylvanie où l'on reconnaît la participation de Grégoire Paul, de Francis Dávid et de Briandata (devenu médecin et conseiller du roi de Transylvanie). On y discerne aussi la "patte" d'un nouveau venu, Fauste Socin. Cette œuvre, intitulée "De falsa et vera Unius Dei cognitione" (De la fausse et vraie connaissance du Dieu Un), comprend très mystérieusement des passages entiers de l'œuvre de Servet, alors qu'on avait toujours pensé que tous ses exemplaires avaient été détruits.

Ce livre est comme la bible du premier unitarisme.
Il n'y a pas d'autre Dieu, éternel et créateur, que le Père. Dieu n'est pas en trois personnes : il est Un (d'où le sobriquet railleur d'"unitariens"). Jésus n'existe pas de toute éternité, c'est un homme, conçu miraculeusement du souffle de Dieu, et le Père, en raison de ses mérites, l'a établi Seigneur et Christ, Médiateur unique.

S'effacent automatiquement le dogme de la Trinité, celui de l'incarnation divine et donc, comme le disent les anglais, de la Rédemption vicaire.

Si les synodes de la petite Eglise des Frères sont très libres, la discussion y est souvent vive. C'est qu'il y a chez les non trinitaires une aile radicale qui entend pratiquer à la lettre l'enseignement de leur maître, Jésus le Nazôréen. La question du baptême, très débattue au début, ne provoque pas de conflits chez les Frères, dont la grande majorité se rallie au baptême des adultes : les fidèles sont des gens qui entrent volontairement et en connaissance de cause dans le courant des professants, et non des chrétiens sociologiques, héréditairement. Le baptême par immersion se répand, au point que les ennemis des Frères les appellent sarcastiquement les "Plongeurs". Cela les incite, quand ils le peuvent, à les jeter à la rivière la plus proche, souvent glacée…

On vient de mentionner une aile radicale de ces unitariens qui entendent revenir à l'inspiration originelle du christianisme. Selon l'enseignement du Galiléen, qu'ils prennent entièrement au sérieux, ils veulent être pacifiques, humbles, pauvres et justes. Ils remettent en question la société civile comme non chrétienne et s'efforcent de bâtir une communauté fidèle à la Parole de Dieu.

Cette tendance était particulièrement représentée à Cracovie (avec Goniadz et Paul) et à Lubin (avec Niemojewski et Csechovic).

D'après eux, le chrétien doit renoncer au "droit du glaive", c'est-à-dire à la violence militaire, à la peine capitale et à toute autorité basée sur la force. Ces non-violents ne se contentèrent pas de pieux discours. Nombre de gentilshommes les mirent en pratique.
-  Ozarowski, riche noble et Frère polonais, remet au roi tous ses domaines, donnés à ses ancêtres pour leur courage à la guerre.
-  Przypkowski déclare au tribunal de Cracovie : "Reconnaissant que mes sujets dans les villages sont, au même titre que moi, des créatures de Dieu, je ne veux pas que ces sujets, ni leurs fils ni leurs filles, vivent plus longtemps dans la servitude : ainsi je les affranchis, eux et leur postérité, de toutes les charges. Je consens à ce qu'eux-mêmes et leurs enfants jouissent pour tous les temps d'une pleine liberté".

Les nobles de Cujavie vendirent leurs biens et distribuèrent le produit de la vente à leurs ex-sujets. D'autres, moins capables de perfection évangélique, adoptèrent un train de vie beaucoup plus modeste, portant l'habit gris des petites gens, l'épée de bois sur le côté, et réduisant grandement les charges de leurs sujets.

Cela se passait non pas le 4 août 1789, mais 220 ans auparavant; Ce fut une explosion de fureur parmi les nobles et les ecclésiastiques inquiets de la contagion possible. Le cardinal Hosius écrivait : "Si sa Majesté pouvait agir avec eux ainsi qu'on avait agi avec Servet à Genève ou Gentile à Berne, sa gloire serait éternelle". Le roi fit, momentanément, la sourde oreille. Les historiens ont nommé avec ironie ces aristocrates naïfs et sincères les "Fous de l'Evangile". C'est un titre de gloire.

Il ne faut pas se dissimuler que de tels actes étaient exceptionnels dans une société féodale, qu'ils contribuaient à déstabiliser. De même, ils laissaient planer un doute sur la volonté de défense d'un Royaume très menacé par ses voisins.

D'autres Frères prônaient une attitude plus réaliste de participation raisonnable à la vie de la société. Ce furent par exemple Jacques Paléologue et le leader des non trinitaires de Lituanie, Simon Budny. Ils pensaient qu'une attitude aussi radicale attirerait la foudre sur la Petite Eglise et la conduirait rapidement à l'estermination.

Ils furent relayés par un humaniste et théologien de stature internationale qui fit passer le mouvement dans son âge adulte : Fauste Socin.

Albert Blanchard-Gaillard, historien  

Lire la suite dans :
" Fauste Socin "
" Théologie socinienne "
"
L'Académie de Rakow "
" Persécutions et survie des idées "

 

 



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