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 Histoire
La riche et dramatique histoire des Frères polonais (chrétiens non trinitaires)
1565-1658


3) les chrétiens non trinitaires

Les premiers leaders du non-trinitarisme en Pologne furent en effet des pasteurs ou même des dignitaires de l'Eglise évangélique de Confession helvétique, c'est-à-dire des églises réformées. Leur conversion à l'Unitarisme ne fut pas un miracle soudain : elle avait été précédée par des discussions et l'influence discrète de réfugiés ou voyageurs étrangers dans cette tolérante Pologne.

Le professeur Kot, grand spécialiste avant-guerre de l'histoire religieuse polonaise, nous raconte qu'en 1546, à l'occasion d'un repas à Cracovie où étaient conviés théologiens et savants, un mystérieux visiteur, connu seulement sous le pseudonyme de SPIRITUS, et que nous identifions aujourd'hui avec l'anabaptiste Adam Pastoris, fit des réflexions sur un livre de prières qu'il avait trouvé dans la bibliothèque de son hôte. Constatant qu'il y figuraient des prières adressées les unes à Dieu le Père, les autres à Dieu le Fils, d'autres au Saint-Esprit, demandant à chacun des faveurs différentes -et pour ainsi dire spécialisées-, il fit la réflexion suivante : "Vous avez donc trois Dieux, braves gens !". Les polonais se récrièrent, exposant la thèse classique. Cependant, nous dit un témoin, "cette conversation se grava profondément dans nos esprits".

Les Anabaptistes et Frères bohème étaient nombreux à s'être réfugiés dans la République. Certes, ils ne faisaient pas profession d'antitrinitarisme. Cependant, leur conviction de ne faire foi qu'à ce qui est expressément écrit dans les Evangiles rejetait dans le néant toutes les constructions théologiques postérieures au temps de Jésus. Par là, prenait du poids l'argument selon lequel certains dogmes, dont celui de la Trinité, n'avaient pas de base scripturaire.

Il convient de ne pas oublier la présence en Pologne de nombreux italiens de marque, réfugiés après l'installation de l'Inquisition dans la péninsule en 1542. On y voit Bernardo Ochino, ancien Vicaire Général des Capucins ; Giorgio Biandrata, médecin à la Cour de la reine Bona Sforza, femme de Sigismond Ier , et qui sera un des trois administrateurs de l'Eglise Réformée de Petite Pologne ; Stancaro, notoirement hérétique ; sans oublier le juriste Lelio Sozzini (Lélius Socin).

Tous sont très admirés dans cette Pologne un peu fruste. Ils répandent des idées non-trinitaires qui commencent à faire leur chemin dans les esprits de nombre de jeunes ministres réformés dont les églises ne comptent aucun leader d'envergure. Certains de ces pasteurs prennent des risques en proclamant ouvertement leur christianisme non trinitaire. "Luther a détruit le toit de l'église papiste, disait l'un d'eux, Calvin les murs, nous, nous détruisons les fondations". Ces fondations, ce sont la théologie nicéenne non scripturaire et l'autoritarisme constantinien. Il est temps de revenir au vrai christianisme, celui des Pauvres du Sermon sur la Montagne.

Ainsi en 1556, trois ans seulement après le supplice de Michel Servet, un jeune pasteur, Pierre de Goniadz (ou Gonésius) fait doublement scandale au synode réformé de Secemin, en Petite Pologne. Il déclare en préambule à la réunion rejeter le dogme de la Trinité : "La Trinité n'existe pas, affirme-t-il, ce n'est qu'une invention récente. Le Credo d'Athanase est à rejeter, c'est une affabulation. Dieu le Père est le seul Dieu, en dehors de lui il n'y en a aucun autre. Christ est le serviteur du Père".

De plus, il se présente au synode une épée de bois au côté, en signe de pacifisme et d'anti-autoritarisme. C'est mettre au premier plan, conjointement à la recherche de la vérité dans l'Evangile, le côté social, existentiel, mis en pratique de l'Evangile. On imagine le tumulte. Gonésius est condamné par tout ce que le Royaume compte de calvinistes orthodoxes. Mais le jeune ministre persiste dans son attitude, qu'il radicalise même jusqu'au refus de prêter serment (chose impensable dans une société féodale), et au refus également de baptiser les enfants, comme les anabaptistes qui ne prennent en compte qu'une religion de professants.

Goniadz se met à faire des adeptes parmi la noblesse et le clergé. On ne peut rien contre lui car il est soutenu par deux des plus puissantes familles du pays : celle du prince Radziwill, déjà cité, et celle du magnat lituanien Jean Kiska, qui lui confie dans ses terres une charge de ministre du culte. Kizka confie de nombreuses paroisses à des ministres "unitariens", ou comme on disait alors, "ariens" ou "ébionites".

Goniadz répand dans toute la Pologne des œuvres théologiques comme "De Filio Dei hominé Christo Jesu" (Du Fils de Dieu, un homme, Christ Jésus), ouvrages lus jusqu'en Allemagne et en Suisse. Il est soutenu du haut de la chaire de Cracovie par un autre ministre prestigieux, Grégoire Paul de Brerzezni qui, orateur brillant et fougueux, va rapidement prendre la tête du mouvement protestant non trinitaire en Petite Pologne et en Lituanie, deux régions où il est fortement implanté. Une des œuvres de Grégoire Paul, la "Tabula de Trinitae" eut l'honneur d'être vigoureusement critiquée depuis Genève par Calvin que Grégoire Paul raille en retour dans un poème en latin où il le nomme "Calve" (le Chauve).

Est-il besoin de dire qu'il ne reste rien de toutes ces œuvres théologiques des années 1550 à 1560, qui furent soigneusement détruites par les chrétiens majoritaires ?

Albert Blanchard-Gaillard, historien  

Lire la suite dans :
" L'Ecclesia Minor "
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Fauste Socin "
" Théologie socinienne "
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L'Académie de Rakow "
" Persécutions et survie des idées "

 

 



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   les Frères polonais:
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 2 : la réforme en Pologne
 3 : les non trinitaires
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