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 Histoire
Le millénarisme au haut Moyen Age


Jean Georgelin

La cause est désormais entendue ; il n’y a pas eu de terreur de l’an mil au sens strict du terme. Les millénaristes ou, comme on disait au 19e siècle, les millénaires, sont des chrétiens qui ont cru que le Christ devait régner temporellement avec les saints pendant une période de mille ans qui serait close par le Jugement Dernier, cela découlant d’une tradition apocalyptique juive (Ezéchiel, Isaïe). Cette idée d’une ère de mille ans a peut-être été l’origine de la confusion que certains ont faite avec les supposées peurs de l’an mil et la croyance d’une fin du monde après mille ans de christianisme.

Des facteurs socio-économiques ont souvent joué dans la naissance des mouvements millénaristes. Si le triangle Rhin-Londres-Bohême a été leur épicentre, c’est qu’il s’agit d’une région surpeuplée, avec une large frange de pauvres, d’opprimés, de marginaux dont le mode de vie s’est effondré ; ces gens ont offert à l’exaltation un terrain de choix.

Les millénaristes n’apparaissent comme groupes organisés qu’au milieu d’une révolte qui les dépasse de loin. La croisade aussi a joué son rôle, la figure attachante et énigmatique de Frédéric II étant alors perçue comme celle d’un Messie.

A la même époque apparaît Joachim, évêque de Fiore. Ce moine cistercien diffuse un argumentaire selon lequel notre ère doit finir et une nouvelle ère doit s’instaurer avec un autre évangile. L’homme charnel y sera remplacé par l’homme spirituel. Le rayonnement de Joachim a été considérable, les grands du monde d’alors le consultant et des esprits d’élite tel Dante s’en inspirant.

Suivent les Flagellants dont la première apparition remonte à 1260. Il s’est agi de rédempteurs sacrificiels, fouettés, stimulés par les famines et les pestes. En Italie, les conflits entre pape et empereur en suscitent ; de là ils passent en Allemagne. Mais tout est loin d’être clair dans ce mouvement né d’un courant clandestin et pourvu d’une tradition ésotérique. Les derniers bûchers de flagellants s’allument en 1430.

Ayant eu des liens avec eux, surgit plus tard une élite de surhommes amoraux avec une doctrine sociale révolutionnaire : c’est l’hérésie du Libre Esprit. Les frères du Libre Esprit se distinguent par leur amoralisme total et par leur penchant vers le monachisme. Leur influence se retrouve dans certains soulèvements sociaux des Flandres (1323), dans la jacquerie française (1358), dans la grande révolte d’Angleterre (1381). Mouvement troublant, mystérieux qui perdure au 17e siècle encore en Angleterre (une émeute millénariste est écrasée à Londres en 1660). Cette hérésie s’apparente aux béguins et béguines que l’on ne saurait pourtant, sans abus, classer comme millénaristes.

L’hérésie des tambourineurs en Bavière s’est éteinte en 1476. Elle a inspiré quelques mouvements combattus par Luther. Thomas Munzer s’en est-il inspiré ? L’anabaptisme lui-même ne saurait être rattaché au millénarisme. L’historien N. Cohn évoque une filiation possible jusqu’au nazisme, plutôt dans la ligne de la Sainte Vehme germanique. Quant au socialisme phalanstérien de Fourier, d’inspiration démocratique et républicaine, il est, bel et bien, un millénarisme.

Que retenir de cette floraison de mouvements ? Tout au long du Moyen Age, ils ont contribué à préparer le terrain sur lequel a germé la Réforme, puis l’Europe moderne.

Jean Georgelin, Évangile et liberté, juin 2000 

 

 



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