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 Histoire
Eugène Goblet d’Alviella


Un personnage hors du commun

Je n’ai jamais attaché d’importance aux divergences théologiques dans les organisations qui reconnaissent le droit de chacun à l’indépendance de sa pensée.

Voilà une déclaration qui ne laisse aucun doute sur l’indépendance intellectuelle et religieuse de Goblet d’Alviella.

Ce dernier, qui ne fut pas « le dernier des derniers », mais bien Grand Maître du Grand Orient de Belgique – Souverain Grand Commandeur du Suprême Conseil du Rite Ecossais Ancien et Accepté – Sénateur libéral – Vice-président du sénat – Ministre – professeur à l’Université Libre de Bruxelles – historien des religions – expert es symbolisme, fut aussi, par choix, protestant unitarien et même, pourrait-on dire "unitarien universaliste", et ce sens qu’il avait compris, dans une période d’intolérance religieuse et de lutte entre Rome et les « hérétiques », qu’on ne brûlait certes plus, mais qu’on vouait aux gémonies, que les chemins sont divers qui mènent au sommet.

Goblet d’Alviella naquit (ce qui n’a rien de bien original !) à Bruxelles le 10 août 1846. Son père était franc-maçon, et Eugène décidé de suivre ses traces, puisqu’en 1870 il fut initié à la loge « Les Amis Philantropes » (GOB) à Bruxelles.

Mais sa carrière maçonnique, qui fut brillante, n’est pas le sujet de ce petit travail dédié à un chercheur infatigable, ouvert à toutes les traditions religieuses.

En 1911 il publie « Croyances, rites et institutions », en trois tomes dans lesquels il étudie, entre autres choses, l’évolution de l’idée de Dieu.
Grand voyageur devant l’Eternel, Goblet parcourt le monde et va rencontrer, à Londres, des chrétiens « sortant de l’ordinaire » selon l’expression consacrée : shakers, dont il ne reste aujourd’hui qu’une dizaine d’exemplaires aux Etats-Unis, et qui se distinguaient par des danses très élaborées durant le culte dominical - tabernacle ranters (hurleurs de tabernacles), c'est-à-dire, en fait, pentecôtistes – quakers - baptistes, etc.

À ce sujet Jo Gérard, in La Franc-Maçonnerie en Belgique, éditions J.M. Collet, Bruxelles, 1988, rappelle ce qu’écrivait Voltaire : « S’il n’y avait en Angleterre qu’une religion, le despotisme serait à craindre, s’il y en avait deux, elles se couperaient la gorge, mais il y en a trente, et elles vivent en paix, heureuses ».

Goblet, qui rejetait l’athéisme, fut séduit par les mouvements religieux rationnalistes, comme le théisme du pasteur Charles Voyset, le déisme de Moncure Conway, et surtout, semble-t-il, l’unitarisme, descendant de l’arianisme et du socianisme, et qui prospérait alors en Angleterre alors qu’il y connaît un déclin de nos jours. Il prônait, lui qui n’était pas rattaché à une Eglise, ce que Ralph Waldo Emerson avait écrit Tout le cours des choses tend à nous enseigner la foi .

L’unitarisme moderne fut lancé par le pasteur William Channing (1780-1842), qui niait la divinité de Jésus et les faits miraculeux décrits dans les Evangiles. Il rejetait également les décisions conciliaires, et notamment celles de Nicée (325), concile qui avait défini la notion de Trinité.

Comme l’indique l'historien Hugh Boudin, in « Eugène Goblet d’Alviella, historien et franc-maçon », éditions de l’Université de Bruxelles, c’est un attaché au Parquet du procureur général , un certain Van Meenen, qui s’était attaché à traduire l’œuvre de Channing. Naquit ainsi « Principes du christianisme unitaire. Traduit de l’anglais et précédé d’une notice et d’une préface ». L’ouvrage était paru en 1855.

Alors que de nombreuses personnalités du Parti libéral auquel appartenait Goblet d’Alviella, se convertissaient au protestantisme, comme Walter Frère-Orban et d’autres, notre homme rêvait d’une Eglise protestante ouverte mais capable de combattre le catholicisme qui, pour lui, était l’ennemi à abattre. Est-ce étonnant lorsqu’on lit ces lignes extraites du journal « Le Bien Public » (1876) : « Et cette religion auguste (le catholicisme), si visiblement soutenue et protégée par Dieu ; on ose la comparer à des sectes qui n’ont aucun témoignage divin en leur faveur ; on ose la mettre en parallèle avec les religions infâmes de Luther et de Calvin, nées toutes deux dans la fange de la lubricité !»

Peu de temps auparavant, le pasteur Théophile Bost, de la paroisse protestante de Verviers-Hodimont, avait publié « Le Protestantisme libéral», qui avait soulevé un tollé dans les milieux protestants conservateurs. L’année précédent l’article ordurier du « Bien public », Emile de Laveleye avait, lui, publié une étude ma foi bien documentée et qui n’était pas tendre avec l’Eglise romaine, « Le Protestantisme et le Catholicisme dans leurs rapports avec la liberté et la prospérité des peuples. Etude d’économie sociale », Bruxelles 1875. Elle fut traduite en douze langues et atteignit quarante-six éditions !

La thèse de Laveleye est celle-ci : les pays protestants sont plus avancés sur le plan social, l’enseignement y étant mieux organisé que dans les pays catholiques. On imagine sans peine le scandale provoqué par ce genre d’affirmation dans les milieux inféodés à Rome.

Bien sûr Goblet avait lu ces ouvrages, et avec passion. Mais aussi ceux d’Auguste 1839-1901) et de Paul Sabatier (1858-1928), d’Edouard Reuss (1804-1891), d’Eugène Réveillaud (1851-1935), etc.

Sa conviction était faite : il fallait offrir au peuple une Eglise protestante libérale, éloignée des dogmes et des mots d’ordre ecclésiaux. Aidé par un ancien pasteur méthodiste, et franc-maçon, James Hocart (1843-1923), il créée l’Eglise protestante libérale de Bruxelles, qui cependant n’attira jamais qu’un « public » intellectuel, le petit peuple étant sensible aux prédications des pasteurs du Réveil, lesquels seraient qualifiés aujourd’hui d’évangéliques, sinon de fondamentalistes. Cette Eglise existe encore, et est rattachée à l’Eglise unitarienne d’Angleterre. Elle se réunit en principe une dimanche sur deux, et est reconnue par l’Etat belge.

Protestant libéral, unitarien, Goblet d’Alviella était surtout universaliste, et aurait pu adhérer aux principes de l’Association unitarienne universaliste :
Nous, assemblées de membres de l’Association unitarienne universaliste, sommes vouées à la reconnaissance et à la promotion des principes suivants :

1- La valeur et la dignité intrinsèques de toute personne.
2- La justice, l’équité et la compassion comme fondements des relations humaines.
3- L’acceptation mutuelle et l’encouragement à la croissance spirituelle au sein de nos assemblées.
4- La liberté et la responsabilité de chaque personne dans sa recherche de la vérité, du sens de la vie et de la signification des choses.
5- La liberté de conscience et le recours au processus démocratique, aussi bien dans l’ensemble de la société qu’au sein de nos assemblées.
6- L’aspiration à une humanité où règnerait la paix, la liberté et la justice pour tous.
7- Le respect du caractère indépendant de toutes les formes d’existence qui constitue une trame dont nous faisons partie.
L’Association unitarienne universaliste insiste également sur : la part de sagesse de toutes les religions qui est, pour nous, une source d’inspiration morale et spirituelle. Les enseignements du christianisme et du judaïsme qui nous convient à aimer notre prochain (...). Le message humaniste qui nous incite à utiliser notre raisonnement et à prendre en considération les résultats de la science, et qui met en garde notre âme et notre esprit contre toute forme d’endoctrinement et de fanatisme religieux. Les enseignements spirituels des traditions nomades qui célèbrent le cycle sacré de la vie, nous invitant à vivre en harmonie avec les rythmes de la nature. Remplis de gratitude envers le pluralisme religieux qui enrichit et ennoblit notre foi (…).
Ordonnance adoptée lors des assemblées générales de 1984,18854 et 1995. Traduite pour l’Eglise unitarienne de Montréal.

Toutefois, le protestantisme libéral unitarien d’Eugène Goblet d’Alviella, resta assez tiède. En témoigne son testament dans lequel il précise que si son épouse le désire, il accepte que ses funérailles soient présidées par un pasteur libéral. Manifestement il ne s’agit pas là des dernières volontés d’un protestant exacerbé !

Quoi qu’il en soit, et pour ne pas faire long, nous convions ceux qui voudraient, et rendre hommage à ce grand homme, et s’instruire quant à ses idées, à visiter son tombeau à Court-Saint-Etienne. Sur l’imposant monument on peut lire les maximes suivantes :

Tu aimeras Dieu de toutes tes forces et ton prochain comme toi-même. Il n’y a pas de commandement plus grand. (Marc XII, 28-31)
Quelle est la loi suprême ? C’est la tendresse envers tous les êtres.( Vishnou Sarman, Hitopadeça I, 114)
Ma doctrine consiste dans la droiture du cœur et dans l’amour du prochain (Confucius, Lün YU IV, 15)
Aime l’humanité. Suis Dieu (Marc Aurèle, « pensées VII, 31)
Aux bonnes pensées, aux bonnes paroles, aux bonnes actions appartient le paradis (Avesta, fragment III,2)
Ma loi est une loi de grâce pour tous. (Bouddha, Divyâvadâna, XIII)
Ô mon cœur, ne me charge pas devant le Dieu du jugement (Livre des Morts, CXXV).

Et enfin ce texte magnifique d’Emerson Du dedans ou de l’au-delà une lumière brille à travers nous sur les choses et nous rend conscient que nous ne sommes rien, mais que la lumière est tout.

Eugène Goblet d’Alviella, penseur dont l’œuvre fut féconde, homme politique certes assez conservateur mais humain, franc-maçon de haut vol, mérite notre respect.

Il entra dans le « Grand peut-être » en 1925, regretté par tous ceux qui avaient pu admirer sa force de travail et sa rectitude morale. Ces cendres reposent dans le caveau qu’il avait fait construire par l’architecte Samyn, son frère franc-maçon.

Jacques Cécius, Spa, 16 juin 2007

NOTE Pour approfondir la question, lire Eugène Goblet d'Alviella, historien et franc-maçon, Ed.  Alain Dierkens, Collection Problèmes d'histoire des religions, Bruxelles 1995

 

 



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