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 Histoire
Jacques Gruet


Roger Sauter

  1 - Qui est Gruet ?
  2 - Danses et chausses
  3 - Le placard
  4 - Le procès

Nous savons bien avec quel souci des âmes Calvin entreprit, dès 1541, de discipliner le peuple de Genève; avec l’aide de pasteurs français aussi décidés que lui; également avec le soutien des autorités de la ville.

Il s’agissait de faire accepter leurs conceptions de la morale et de la religions à des habitants qui avaient joui auparavant d’une certaine liberté, surtout en matière de mœurs. Un Consistoire, comprenant des pasteurs et des assesseurs, fut chargé, entre autres, d’admonester les coupables, d’infliger des amendes ou de simplement menacer. On imagine l’ambiance déplaisante régnant dans la cité. Certes, les fautifs pauvres ou de conditions modestes se soumettaient en silence à l’humiliation de comparaître devant les pasteurs et ils en acceptaient les sanctions. Par contre, les citoyens riches et influents, en général instruits, supportaient fort mal cette censure des opinions et de modes de vie. Il s’ensuivait parfois des violences verbales, réciproques d’ailleurs, opposant accusés et pasteurs.

Déjà nette en 1545, la tension atteignit un seuil critique en 1547. L’autorité de Calvin était en jeu. C’est alors qu’un libre-penseur, Jacques Gruet, offrit au Consistoire l’occasion de «faire un exemple» - comme on dit - en le condamnant à mort. L’exécution eut lieu le 26 juillet 1547, cinq ans avant celle de Michel Servet, notons-le. 

1 - Qui est Gruet ?

Fils d’un notaire genevois, Jacques Gruet était un employé de bureau. On lui connaissait un penchant pour les lettres; il savait manier la plume, en patois comme en français, en vers comme en prose.

Au cours d’un séjour à Lyon, Jacques Gruet s’était imprégné d’idées contraires à la religion et même à la morale de l’époque. De retour à Genève, il se plut à confier à sa plume ses pensées non-conformistes, mais prenant soin de ne rien publier, par crainte du Consistoire.

Par contre il ne put cacher ses visites aux gens hostiles à Calvin et à son régime. Avec eux, il contestait aux pasteurs le droit de tout régler dans la vie privée des Genevois et aspirait à plus de liberté. 

2 - Danses et chausses

Parmi les bourgeois rebelles à la nouvelle discipline, s’affirmait une femme téméraire, Françoise Perrin, surnommée la Franchequine, fille de François Favre, homme influent de Genève. Le capitaine Perrin, son mari, commandait la garde. Bravant l’interdiction édictée par Calvin, la Franchequine se permettait de danser. Comparaissant ensuite devant le Consistoire pour y être corrigée, elle se défendait avec vivacité, suscitant les reproches acerbes des pasteurs.

Jacques Gruet, on s’en doute, approuvait la rebelle. Lui-même dansa, lors d’une noce, en 1546. En conséquence, sommé de comparaître devant le Consistoire, il se comporta avec impertinence, plutôt comme accusateur qu’en accusé. De son côté, Calvin qualifia publiquement le rebelle de «méchant et balafré», ce qui n’était certes pas le bon moyen d’amender le coupable.

Autre interdiction mal acceptée, surtout chez les jeunes: l’interdiction de porter ces «chausses chapelées», c’est-à-dire découpées au genou, à la mode suisse.

Pour la fête des Arquebusiers, en mai 1547, les organisateurs demandèrent l’autorisation de porter ce costume suisse, mais Calvin refusa. Pour finir, le Conseil de Ville, ennuyé, supprima la fête afin d’éviter de possibles désordres. Mais le ressentiment populaires s’accroissait, bien qu’incapable de s’exprimer. 

3 - Le placard

Le 23 juin 1547, la Franchequine comparut une fois de plus devant le Consistoire pour avoir dansé. Exaspérée, elle injurie Abel Poupin, l’un des pasteurs, acharné défenseur des mœurs. Elle le traite de «gros groin de porc»! Imaginez l’esclandre! On l’expulsa, les pasteurs portèrent plainte, la police ordonna l’arrestation de Françoise Perrin. Mais celle-ci s’enfuit à temps de la ville et alla se mettre à l’abri des poursuites dans une propriété de la famille, à la campagne.

A une époque où les gens n’avaient guère de distraction, les aventures de la Franchequine remplirent les conversations. Jacques Gruet, en particulier, s’échauffa. Lui, le timide, voulut aussi faire un coup d’éclat, mais… anonymement. Trois jours plus tard, avec précaution, sans témoin, il pénétra dans la cathédrale St.-Pierre. Avec de la cire, il fixa à la chaire une feuille de papier portant quelques lignes en patois genevois. C’est le «placard Gruet», le plus ancien texte patois dont on possède encore l’original, conservé aux Archives cantonales.

Ce qu’on put y lire avec stupéfaction, le lendemain, le voici en français: «Gros pansu, toi et tes compagnons feriez mieux de vous tenir! Si vous nous poussez à bout, il n’y a personne qui vous gardera qu’on vous mette en tel lieu que peut-être vous maudirez l’heure que vous sortirez à jamais de votre moinerie. C’est désormais assez blâmé! Que diable! Il est sûrs que ces foutus prêtres renégats viennent ici pour nous mettre en ruine. Après qu’on a assez enduré, on prend sa revanche. Gardez-vous qu’il ne vous en coûte… Nous ne voulons pas tant avoir de ministres. Notez bien mon dire». 

4 - Le procès

Abel Poupin, le «gros pansu», ancien cordelier, cria au scandale. Le Consistoire porta plainte contre inconnu, mais la police eut très vite l’impression que l’auteur du placard était Jacques Gruet, connu pour ses opinions non conformes et pour ses écrits.

Arrêté, interrogé, l’écrivain nia tout d’abord avoir écrit le pamphlet. Une perquisition à son domicile mit à jour des papiers de sa plume qui s’avérèrent encore plus compromettants que le placard. Continuant à rejeter l’accusation d’avoir affiché le feuillet séditieux, l’inculpé affirma pourtant qu’il en approuvait le contenu. Enfin, menacé de torture, il avoua, expliqua comment il avait procédé, et pour quels motifs.

Non contents de cet aveu, ses accusateurs cherchèrent à savoir si le coupable avait agi à l’instigation de la famille Favre. Mais Jacques Gruet, malgré la torture, nia une telle complexité, répétant sans faiblir qu’il avait agi seul, de sa propre initiative. Il avait, dit-il, agi «par folie». Folie, en effet, que d’offrir à Calvin, qui suivait de près le procès, l’occasion d’affermir son autorité.

Ainsi que nous l’avons dit, Jacques Gruet fut condamné à mort, puis exécuté le 26 juillet 1547.

Les bons Bergers avaient exterminé le Loup qui mettait en danger les Moutons. Pour les premiers, c’était une peine capitale justifiée, et non un homicide blâmable. Qu’en pense notre lecteur?

Roger Sauter 

 

 



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