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 Spiritualités
De Zoroastre à Jésus


Roger Sauter

Une véritable révolution :
une vie heureuse après la mort


Au début du VIIème siècle avant J.-C., Zaratoustra, Zoroastre en français, voulut réformer la vieille religion utilitaire de l'Iran, qu'on appelle mazdéisme en l'honneur du dieu principal, Mazda. Il nous sera utile de connaître un peu cette religion, pour mieux apprécier la réforme zoroastrienne.

Outre Mazda, les mazdéens adoraient d'autres divinités, par exemple Mithra. Les "mages", prêtres et devins, leur offraient des sacrifices d'animaux, à l'instar de tous les prêtres de l'Antiquité. Devins, ils buvaient une drogue appelée "haoma", analogue au "soma" hindou. Également sorciers (1), ils pratiquaient la magie. Ils imposaient aux fidèles des rites, tout cela ayant pour but d'obtenir des avantages matériels. Cette religion ne proposait aucun idéal moral.

Zoroastre

Nous nous intéressons au fondateur du zoroastrisme parce que plusieurs éléments de cette nouvelle religion ont passé plus tard dans le judaïsme puis dans le christianisme. Autrefois, on n'avait que des idées fantaisistes sur ce sage iranien. Mais les recherches des orientalistes, dès le XVIIIème siècle, ont permis la découverte et l'étude critique des manuscrits de l'Avesta, écriture sainte des anciens Iraniens avant l'arrivée de l'islam en 652. Or l'Avesta est la source essentielle de ce que nous savons de

Zoroastre et de sa religion. La partie la plus ancienne, intitulée Gathas, nous a conservé des paroles du prophète réformateur lui-même.
Zoroastre est né autour de l'an 700 avant notre ère dans une famille de riches éleveurs installés à l'est de l'ancien Iran, région agricole arrosée par l'Oxus, faisant aujourd'hui partie de l'Afghanistan. Ses parents étaient aussi des poètes sacrés et des chantres. Le jeune Zoroastre se révéla bientôt un bon élève, doté d'un caractère non seulement doux et pacifique, mais également altruiste, sensible aux injustices dont les paysans avaient à souffrir de la part des nomades pillards et des seigneurs égoïstes. Zoroastre aimait beaucoup les bêtes, surtout les bovins, dont la vie humaine dépendait, comme aujourd'hui chez nous.

Dès l'âge de quinze ans, Zoroastre commença à dire tout haut ce qu'il ressentait, blâmant les injustices, demandant l'abolition des sacrifices de bovins, ce qui ne pouvait que déplaire aux mages. Son audace gêna sa famille. Il s'isola de plus en plus, adopta une nourriture végétarienne. Pour finir, il alla en Bactiane, où il passa une dizaine d'années dans la montagne, ayant pour seul compagnon son cousin Maïdiomaha, scon premier disciple. Et c'est dans cette retraite que Zoroastre bénéficia d'une expérience religieuse, sous la forme d'entretiens mystiques avec Ahoura Mazda, en qui il voyait le dieu unique, Seigneur du Ciel et de la Terre. Son Dieu, il le prie ainsi :

" Toi dont le regard protecteur veille de toute éternité sur l'Ordre et la Bonne Pensée, Ô Mazda Ahoura, de ta bouche céleste enseigne-moi les Lois du monde."

Zoroastre veut tout savoir : d'où vient la méchanceté, ce qui est juste, et aussi la cause des phases de la lune ou la marche des astres au firmament. C'est ainsi que Zoroastre, au cours de longues méditations, conçut une nouvelle religion, le zoroastrisme, que nous allons maintenant décrire et illustrer par des extraits de l'Avesta.

Monothéisme moral et universel : " Tu es le Premier et le Dernier, O Mazda, Toi, Père de la pensée bonne, Toi, le véritable instructeur de l'Ordre et de la Droiture, le Maître des manifestations de la Vie."

Pacifisme et Altruisme : "Je loue la bonne religion de Mazda, qui repousse les querelles et fait déposer les armes ... Il fait régner le Seigneur, celui qui secourt les pauvres."

Primat de l'activité agricole : (Ahoura Mazda répondit :) "Celui qui veut du bien au juste, au parent, au confrère et au serviteur, et qui veille activement sur le bien du troupeau, celui_là prend parti pour le Bien. Il est un collaborateur de la Bonne Pensée." (...) L'homme qui réjouit la Terre, c'est celui qui sème le plus de blé, de légumes et d'arbres fruitiers, O Zaratoustra, également celui qui irrigue ou qui draine, selon les cas."

Abolition du sacrifice des animaux : Zoroastre demande aussi l'interdiction de la chasse pour le seul plaisir. Il préconise le végétarisme.

Abolition de la magie et des idoles : Magie et rites des Mages sont illusoire une exploitation de la crédulité populaire. En outre, Mazda Ahoura ne peut être représenté par une idole, car il est le Seigneur du Ciel. Son seul symbole est le feu, que les zoroastriens entretiennent dans les sanctuaires - les pyrées.

Victoire finale du Bien : Dans le monde créé par Ahoura Mazda, deux énergies antagonistes sont à l'oeuvre : le Saint Esprit (Spenta Maniou) aidé des anges_gardiens, contre le Mauvais Esprit (Ara Maniou, plus connu sous le nom d'Ahriman), chef des démons hostiles aux humains. Tous les maux dérivent de cette lutte.

Mais Zoroastre annonce une bonne nouvelle : Ahoura Mazda veut et obtiendra la victoire du Bien sur le Mal. En conséquence, chaque être humain aurait intérêt a bien choisir son camp. Le Prophète appelle donc les "mal partis" à se convertir. Écoutons-le :

" Que le pécheur s'amende. Qu'il craigne la redoutable gloire victorieuse engendrée par Mazda, gloire qui accompagnera le Sauveur _ le Sochiante - et ses compagnons, lorsqu'il fera un monde nouveau ou l'on ne connaîtra ni la viellesse ni la mort ..."

Résurrection des morts et jugement : "Alors, les morts se lèveront et l'immortalité leur sera donnée. Le monde se renouvellera à souhait. Les créatures bénies du Bien seront soustraites à la mort. Quant au Trompeur (Ahriman), il tombera et sera détruit."

Par ce sens donné à l'histoire, avec cette perspective d'une vie heureuse possible après la mort, Zoroastre lançait une véritable révolution religieuse.

Diffusion de la nouvelle religion   

Descendu de sa montagne, Zoroastre vint prêcher sa religion nouvelle à Bactres, touchant bientôt la cour du prince-gouverneur et quelques nobles. L'un de ceux-ci lui donna même sa fille en mariage. Ses disciples propagèrent leur foi dans les alentours, en dépit de l'opposition bien naturelle des mages. Après la mort du fondateur, le zoroastrisme diffusa lentement vers l'ouest, atteignant finalement l'entourage des rois de Perse. Si bien que de 520 à 225 environ, une série de Grands Rois adoptèrent le zoroastrisme. Témoin en est cette inscription de Darius 1er :

" Le mal qui fut fait, en bien je le changeai. Les nations qui s'entretuaient ont cessé de se battre, par la grâce d'Ahoura Mazda, afin que celui qui est fort ne frappe ni ne dépouille le pauvre"

Au cours des siècles, comme toute autre religion, le zoroastrisme évolua, surtout sous la pression du ritualisme des mages traditionnels. Après la conversion de l'Iran à l'islam, des groupes restés fidèles aux grandes idées de Zoroastre n'eurent pas la vie facile ! Aussi, beaucoup d'entre eux s'en allèrent en Inde, ou ils prospérèrent sous le nom de Parsis.

Influence sur le judaïsme  

Pendant les deux siècles de la domination perse sur le Proche Orient, de -539 à -330 environ, bien des Juifs eurent l'occasion d'entrer en contact avec le zoroastrisme. Ils en apprécièrent le monothéisme moral, qui leur rappelait celui des grands prophètes hébreux, d'Amos à Jérémie. Et ils en vinrent à adopter la vision zoroastrienne d'une humanité soumise à une lutte entre les forces du Bien et celles du Mal, avec la promesse d'un Jugement et d'une juste rétribution post mortem, notions nouvelles pour ces Juifs.

Minoritaires, ils durent longtemps rester dans la clandestinité parmi leurs compatriotes, car, à Jérusalem comme dans la diaspora juive, la soumission au légalisme et au ritualisme de la caste sacerdotale était de rigueur. Toutefois, des "nouveautés" empruntées au zoroastrisme purent gagner du terrain en Israël. durant l'occupation de la Palestine par des rois grecs, mais en se mêlant à des notions hébraïques. C'est alors que, vers l'an -200 environ, apparurent les premiers écrits juifs contenant ces nouveautés : anges et archanges, le "Fils de l'homme", Fin du monde, etc.

Citons en particulier le livre d'Hénoch (environ -190) et le livre de Daniel (-160). Voici quelques textes illustrant l'introduction en Israël ces idées nouvelles:

Les anges :

"Quelqu'un semblable à un homme cria : Gabriel, explique-lui la vision qu'il a eue." (Dan. 6 :16)
" Mikaël, l'un des princes de premier rang, vint à mon aide." (Dan. 10 :13). Ainsi, les messagers anonymes de jadis sont devenus des anges gardiens pourvus de noms hébreux. Ils sont si nombreux qu'ils sont hiérarchisés. A leur tête voici les archanges : Gabriel, Mikaël, Raphaël et Ouriel.

Satan et les démons :

"L'ange du seigneur et le Satan se tenaient aux côtés du Grand prêtre Josué. L'ange dit au Satan : Que le Seigneur te fasse taire." (Zach. 3 : 1-2, texte daté -520). "Satan fut hostile à Israël et poussa David à faire le recensement d'Israël." (Chron. 21 :1). Autrefois Satan était un serviteur de Dieu (cf. Job 1 : 6) de même le "mauvais esprit" envoyé à Saül (I Sam. 16 :14). Les démons, absents de l' Ancien Testament, apparaissent dans les livres apocryphes et joueront un grand rôle au temps de Jésus.

Le Jugement dernier :

" En ce temps-là, la terre rendra son dépôt, le Chéol rendra ce qu'il. a reçu (...). Le Seigneur des Esprits fera asseoir son Elu sur un trône de Gloire pour juger toutes les oeuvres des Saints (...). Ceux qui seront sauvés ne verront plus la face des pécheurs et des méchants. Le Seigneur des Esprits demeurera avec eux. Ils revêtiront des vêtements blancs. La douleur viendra sur eux (les méchants), oui, la douleur les saisira lorsqu'ils verront le Fils de l' Homne, assis sur son trône de gloire ”. (Henoch, extraits des ch. 61-62)

“ En ce temps-la, Mikaël, le grand prince, celui qui veille sur les enfants de ton peuple, interviendra. Ce sera un temps d'angoisse tel qu'il n'y en a encore jamais eu, mais ton peuple en réchappera, ainsi que tous ceux que l'on trouvera inscrits dans le Livre. Beaucoup de ceux qui dorment dans la poussière se relèveront, les uns pour la Vie éternelle, les autres pour l'Horreur éternelle." (Dan. 12 : 1-2)

Le haut-clergé et tous ceux intéressés au statu quo rejetèrent la croyance de la résurrection et au Jugement; ils formèrent le parti des Sadducéens. Ces conservateurs concevaient la vie après la mort comme une vie morne et tranquille dans le Cheol ténèbreux, qui rassemblait sans distinction riches et pauvres, bons et méchants. (cf. Job 14 : 7-12)

Le Fils de l'homme d'Hénoch, c'est le Sochiante de Zoroastre chargé d'adresser un ultime appel à la conversion puis de présider au Jugement. L'image du Fils de l'homme s'asseyant sur le trône sera reprise par Jésus : "Quand le fils de l'homme viendra, accompagné de tous les anges, alors il s'assiéra sur son trône de gloire." (Matt. 25 : 31)

Qui sera admis au Royaume de Dieu ?   

Pour Jésus et Jean-Baptiste, comme pour Zoroastre, ce seront les coeurs purs, les pacifiques, les miséricordieux. (Les béatitudes, Matt 5 : 3-12). Les juifs pharisiens, par contre, comptaient obtenir leur salut par l'observance fidèle des rites et des tabous ordonnés par la Loi. les Esséniens, eux, se fiaient à leurs rites de purification. Quant aux Judéens nationalistes, ils n'espéraient pas un jugement des individus, mais le salut collectif de leur peuple, sous la forme d'une victoire du Messie sur les étrangers hostiles à Israël, une libération politique et le rétablissement de l'indépendance, après quoi viendrait le bonheur.

Psaume de Salomon 17 : 23-32, 35-36 :

"Seigneur, suscite-leur pour roi un fils de David; ceins-le de force pour écraser les dominateurs impies ! purifie Jérusalem de tous ces étrangers qui la foulent. (…) Et lui, le Roi juste enseigne de Dieu, les gouvernera. Il ne se commettra aucune injustice en ces jours-là, car tous seront saints, et leur Roi sera le Messie."

De tels sentiments agitaient le peuple au temps de Jésus et plusieurs personnages se présentèrent comme Messie libérateur se heurtant à l'imparable puissance romaine. Ce qui profita à la conception pharisienne du salut.

Conclusion : Jésus et Zoroastre  

Entre Jésus et Zoroastre, que de points communs ! et aussi des différences !

Points communs

Tous deux recherchaient la relation directe avec Dieu sur la montagne loin de la foule. Ces entretiens mystiques réalisaient et nourrissaient leur amour pour le Seigneur et nourrissaient leur amour pour les êtres humains. C'est là qu'ils élaborèrent leur enseignement. Ils prêchèrent la bonté, et critiquèrent l'illusion de ceux qui croyaient plaire à Dieu au moyen de pratiques. Ils rejetèrent la magie. Tous deux conçurent l'histoire de l' humanité comme une lutte des anges contre Satan et ses démons, lutte se terminant un jour par la victoire Bien, la résurrection générale des morts, un Jugement et une juste rétribution, selon des critères d'ordre moral.

Différences

Jésus, au contraire de Zuroastre, n'a pas explicitement demandé l'abolition des sacrifices d'animaux, même s'il a prédit la chute du Temple. Il ne se déclara pas végétarien et n'accorda pas une importance primordiale à l'agriculture parmi les activités de l'homme. D'autre part. Jesus eut une vie courte et ne se maria pas, tandis que Zoroastre fonda un foyer et semble avoir vécu assez longtemps. Ceci peut expliquer le fait que l'Avesta ne rapporte rien de précis sur sa mort. Tout au contraire, les évangiles racontent en détail la Passion de Jésus et sa crucifixion. De plus, ils nous parlent de sa résurrection, de ses apparitions et de son ascension, et même de son retour sur terre pour instaurer son Royaume. Rien de tel à propos de Zoroastre.

Concernant la prédication, nous constatons une autre différence, non pas de fond mais de forme. Zoroastre nous a laissé des hymnes et des préceptes, conservés dans l'Avesta. Leur diffusion ne dépassa guère les frontières de l'ancien iran. Jésus, quant à lui, utilisa admirablement les ressources de la poésie sémitique, avec ses rythmes et ses paraboles. Enfin, et c'est très important, les paroles de Jésus furent non seulement mémorisées mais mises par écrit dans la langue universelle de l'époque, le grec. Le monde entier peut les lire aujourd'hui, ce qui est loin d'être le cas des paroles de Zoroastre.

J'espère avoir montré par quelle filière certaines doctrines, lancées en Iran au VIIème siècle avant notre ère sont parvenues jusqu'à nous, à travers le judaïsme; Jésus et le christianisme.

Roger Sauter, Genève le 2 février 1995

Exposé fait à l'Union protestante libérale par le professeur Roger Sauter
Texte intégral sur le site Anti-scientologie

(1) ndlr : sorcier au sens occidental du terme, à savoir le magicien.
Notice bibliographique
DU BREUIL, Paul, Le zoroastrisme, PUF, Paris, 1982.
AUTRAN, Charles, Mithra, Zoroastre et la préhistoire aryenne du christianisme, Payot, Paris, 1906.

Une amie de Profils de libertés nous recommande de lire les oeuvres de Jean Kellens car les études avestiques ont connu une grande révolution ces cinq dernières années. Nous vous proposons donc de découvrir l'article de Jean Kellens, professeur au Collège de France, "L'Avesta, Zoroastre et les sources des religions indo-iraniennes".  



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