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 Spiritualités
Fautil exorciser les païens
au risque de les rendre muets ?

Jean-Claude Barbier

C’était dans un village du centre du Bénin. On me présenta, avec la fierté que procure le sentiment de transmettre la Tradition, une jeune fille qui venait d’être possédée par une divinité dont je suivais l’extension du culte. Dans ce village, la divinité en question ne s’était plus manifestée depuis les années trente, c’est-à-dire depuis l’arrivée des missionnaires chrétiens.

La jeune fille était habillée en conséquence, de rouge, de blanc et de noir, les couleurs du vodoun, la grande religion coutumière de cette région d’Afrique de l’Ouest. Elle me dit qu’elle avait été baptisée catholique, mais qu’elle ne l’était plus depuis qu’elle était devenue médium de cette divinité, non pas que celle-ci ait exigé la rupture d’un pacte, une conversion, mais par le fait que les chrétiens n’acceptent pas la double appartenance religieuse. L’anthropologue que je suis se réjouissait que la mémoire historique d’un culte ancien soit ainsi revivifiée, conservée en cette jeune personne, transmise de nouveau ; mais en même temps, le chrétien, que je suis aussi, ne pouvait que regretter que cette jeune femme ne puisse demeurer avec Yéshoua et bénéficier de son chérissement.

Eh ! quoi ! ne peut-on pas être à la fois fidèle à sa culture d’origine et de foi chrétienne ? Faut-il donc abandonner femmes épousées en polygamie, objets cultuels qui témoignent de l’histoire - et qu’il faut maintenant jeter au rang de fétiches maudits -, charges familiales et politiques impliquant des cérémonies coutumières ; ne faut-il plus écouter la sagesse des vieux; etc. ? Pour quelle soit disante incompatibilité ?

Encore célibataire et sans enfant, sans responsabilité au sein de la communauté chrétienne, vivant dans l’anonymat que procure l’analphabétisme, l’absence de situation matrimoniale et la pauvreté quotidienne, elle avait été disponible pour une autre aventure. Désormais, elle jouissait d’un rôle éminent au sein du village, parlant au nom d’une divinité. Elle était fêtée et consultée.

Elle me fit penser à cette voyante de Philippes (Actes des apôtres, 16, 11-24) que Paul rabroua vertement et exorcisa sur le champ. Luc, pour justifier ce geste à notre intention, écrivit que c’était une esclave qui travaillait pour ses patrons ; et il paraît que ceux-ci ne furent pas du tout contents. Il faut dire, que la pauvre voyante ne faisait guère le poids en face de Lydie, la commerçante de pourpre, suffisamment riche pour se dispenser d’une protection masculine et agir en chef de ménage, invitant en sa demeure les nouveaux venus - et, qui plus est, " craignante de Dieu ". Paul, que l’on accuse souvent (à tort) d’anti-féminisme, n’avait pourtant d’yeux que pour elle !

La prophétesse de Philippes ne disait pourtant pas de vilenies puisqu’en cherchant à attirer l’attention des nouveaux venus, à la manière des griots, elle proférait des dires on ne peut plus flatteurs : " Ces hommes sont les serviteurs d’El le Sublime. Ils vous annoncent la route du salut. ". Et voilà que notre missionnaire, un peu nerveux et n’appréciant sans doute pas le piaillement des femmes hystériques, à bout de patience (" plusieurs jours " d’après le texte), a soudain la révélation que c’est un esprit mauvais qui inspire la pythie. " Excédé " nous dit Luc, le missionnaire se tourne et crie à l’esprit : " Je t’enjoins au nom de Iéshoua’ le messie de sortir d’elle ". Et l’esprit, mauvais ou pas, d’obtempérer.

Mais, voilà, Paul en reste là et oublie de lui donner une nouvelle parole, à savoir le baptême, s’arrêtant ainsi en cours d’opération, et la pauvre voyante demeure muette. Interloquée, sans doute humiliée publiquement par cette violence, elle n’a plus rien à dire ; elle n’a plus de rôle dans la société, fusse celui d’une esclave qui ramenait des gains à ses maîtres. La logique des chrétiens est implacable : la vérité - puisqu’elle révélait à sa manière l’intention des missionnaires et la raison de leur venue - peut provenir aussi bien de l’inspiration divine que de Satan !

D’une part il y a ce que dit Lydie et qui trouve grâce aux yeux du missionnaire et ce que dit la pythie …La lumière et les ténèbres. Voilà un monde coupé en deux. Pauvre pythie ! Paul ne s’est même pas adressé à elle ; comme à travers elle, il parla directement à l’esprit. Elle, seulement médium - qui plus est d’un esprit décrété mauvais - , fut réduite à une ombre, à une absence d’autonomie.

Et qu’aurait fait Iéshoua’ de Nazareth, lui qui s’arrêta dans un village de Samarie - les hérétiques aux yeux des Juifs de Jérusalem - et qui écouta patiemment la femme qui ne retenait pas ses maris … ? Lui qui risqua, lui aussi, d’être exorcisé car la rumeur s’enflait dangereusement, disant qu’il guérissait au nom de Ba’al-Zeboul, le chef des démons (Mt. 12,24). De même que le prophète que nous aimons fut-il injustement calomnié, de même des païens ne furent-ils pas toujours compris par les Ecritures. Le premier commandement, avait pourtant dit le prophète, est d’aimer les autres…

Jean-Claude Barbier, chrétien unitarien, 6 octobre 2003  



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